Tempête Yonna
La tempête des hommes : une équipée sauvage mais immobile, dans l’œil du cyclone. Après son véritable premier roman noir Scalp publié en 2018 aux éditions du Seuil, Cyril Herry nous propose encore un mélange des genres : roman noir et humaniste. Écrire, être en retrait, au cœur de la nature, à distance, mais au cœur de l’humain. Cyril Herry est photographe, cinéaste, écrivain, passionné de nature, observateur des hommes : l’œil du photographe ancre ses romans. "Ce qui m’intéresse dans la photographie, ce n’est pas ce qu’elle montre, mais sa faculté à refléter ce que j’ai pu ressentir en me trouvant dans la nature à un moment particulier."1
Tempête Yonna, publié par In8, est sélectionné pour l'édition 2022-2023 De livre en livre, le prix des lycéennes, lycéens et apprenti(e)s de Nouvelle-Aquitaine.
Une grève générale des transports paralyse le pays depuis plusieurs jours lorsqu’une tempête baptisée Yonna ravage ce pays et isole le hameau de Braconne du reste du monde. Ce hameau déjà loin de tout même lorsque le vent ne souffle pas, se trouve coupé du monde pour une durée indéterminée. "Je suis parti d’un lieu pour écrire mon nouveau roman Tempête Yonna : un hameau situé en Creuse, où j’ai vécu pendant quelques années. J’ai modifié sa configuration pour les besoins de l’histoire que j’avais en tête, puis je l’ai peuplé, exactement comme on met des comédiens en scène au théâtre."2 Ce hameau est un microcosme et son approche le sujet du roman. Quinze personnes sont coincées là, dont une jeune femme qui porte le même prénom que la tempête. Quinze personnes véritablement confrontées aux dégâts et qui vont devoir s’organiser pour vivre et survivre : plus d’eau potable, d’électricité, d’accès aux routes, des arbres arrachés...Quinze spécimens humains sont placés sous l’objectif d’un microscope, en période de catastrophe naturelle. Préférant ne pas attendre les secours, le groupe s'organise. La survie du groupe doit alors s'appuyer sur chaque individu qui le compose.
La tempête semble un prétexte pour nous parler de la fragilité des hommes et du désordre du monde. Cyril Herry se sert d'un huis-clos à ciel ouvert pour rappeler à l'Homme quelle est sa place au sein d'une nature oubliée, que les passions des Hommes sont bien peu de choses. Après cette tempête qui dévaste tout, les hommes, en réparant, se livrent peu à peu ou dévoilent un part d’ombre. Mais ce n’est pas une lecture à livre ouvert, plutôt une lecture obscure même si le style est fluide et les chapitres courts. Le mystère que porte chacun des personnages – sauvagerie ou détresse, rêve ou passion – enferme le hameau et ses 15 habitants.
La tempête ne lave pas les noirceurs de l’âme. La tempête ne fait pas cas des hommes où qu’ils soient. Elle ne fait pas cas non plus de la nature, elle la dévaste, la torture. Le monde bascule et la noirceur des hommes s’estompe dans un élan de solidarité pour survivre. Un épisode éphémère malgré l’accalmie après la tempête. À travers l’histoire, un roman tendu, à la limite, éclaire notre réalité, la fragilité des hommes.
Tempête Yonna, c’est un roman noir, véritablement noir comme la noirceur des hommes. Le retour à la réalité est dur pour Braconne.
"Ç’avait toujours été ainsi. Catastrophes naturelles et tragédies humaines possédaient ce don de rapprocher les individus, de mettre en sommeil l'âpreté et le fiel, de recoudre provisoirement les plaies. Mais ça ne durait jamais longtemps ; au premier geste brutal, ça se déchirait et ça se remettait à saigner, à suinter le pus et à faire mal. C'était de nouveau chacun pour soi, ici comme n'importe où ailleurs, puisqu'on avait la mémoire courte et que les mœurs individuelles avaient toujours miné l'intérêt collectif."
Après la solidarité, la folie des hommes reprend le dessus : "À sa mère, avant de prendre l’escalier, Lou avait dit : tu as mal choisi ton jour pour crever".
Le pari de Cyril Herry est réussi et son huis clos fonctionne avec une grande efficacité. Les relations, les tensions entre les habitants se tissent, montent et l'on pressent la catastrophe, mais laquelle ? Un huis-clos étouffant même si cela se passe en pleine nature, un thriller où les protagonistes vont se découvrir et se dévoiler au fil des pages. Un retour à la vie primaire ? Les instincts reprennent vite le dessus. Jalousie, amour, haine transforment ces hommes en une meute.
"Elle eut tout juste le temps de se tourner en entendant des pas derrière elle, elle prit la balle en pleine poitrine... il rechargea son fusil à pompe..."
Tempête Yonna est avant tout un roman noir, avec beaucoup de morts, violentes le plus souvent, un roman noir, avec les codes du genre et l’ambiance lourde, une intrigue éprouvante et sanglante. Chacun, avec ses cassures, avec ses failles – le manque d’amour dans l’enfance, le rejet, le repli sur soi… – essaie de s’en sortir, comme il peut, entre culpabilité et colère. Mais la violence domine.
Un roman en rupture qui donne toute sa force à l’histoire : après la tempête, on suit la "douceur" de la solidarité, rassurante, porteuse d’espoir, pour basculer dans un rythme effréné de violence. Ce roman se lit vite, presque sans reprendre de respiration. L’histoire retiendra une belle construction, un texte gangréné par l’espoir et la violence. Personne ne sort indemne de cette lecture et c’est là la force et le talent de Cyril Herry.
1 2 "Cyril Herry et Antonin Varenne, le roman pour éclairer notre réalité", Prologue, avril 2021.