Le Gospel, nouvelle paroisse du cool
Dotée d'un catalogue déjà bien fourni et pourvue d'une ligne radicalement singulière, la toute jeune maison d'édition Le Gospel s'installe dans le paysage de la littérature underground avec la force de l'évidence. Le cerveau de l'affaire s'appelle Adrien Durand. Bordelais d'adoption depuis 2018, il s'est lancé dans l'aventure éditoriale avec beaucoup de passion et peu de capital.
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Le Gospel a commencé sous la forme d'un fanzine, pour devenir, quelques années plus tard, une maison d'édition. Racontez-nous cette mutation.
Adrien Durand : C'est un projet que j'ai monté tout seul quand je suis arrivé à Bordeaux. Je viens du secteur musical, j'ai travaillé longtemps comme attaché de presse indépendant et on a commencé à me proposer d'écrire des textes, des biographies d'artistes ou des piges pour la presse musicale.
En arrivant à Bordeaux, je repartais de zéro et j'avais bien envie de me plonger dans un projet papier, de prendre du recul. À trop travailler dans des médias comme Vice, de style très viral, on finit par passer plus de temps à faire du community management qu'à écrire des articles. J'en avais marre de tout ça.
J'ai rouvert un blog et j'ai fait un premier fanzine limité à 100 exemplaires ; un truc photocopié en noir et blanc, que j'ai appelé Le Gospel. La maquette évoluait, les tirages restaient très limités et se retrouvaient épuisés au bout de deux jours... J'ai rencontré des gens qui m'ont proposé d'écrire avec moi, un graphiste est venu étoffer le projet. Et puis j'ai rencontré Sylvain Arrestier, avec qui j'ai fondé les éditions Le Gospel.
Qu'est-ce qui a déclenché ce passage du fanzine au livre ?
A.D : Ce qui s'est passé, c'est que j'ai commencé à bosser sur un premier projet de bouquin que j'ai écrit de manière très spontanée. Je n'aime que la musique triste a été écrit en deux semaines et je l'ai sorti de suite. C'était un format hybride, entre le fanzine et le livre. J'en ai fait 300, c'est parti très vite alors j'en ai refait 200, puis 500… Vu le format, les gens ont pensé que c'était un livre et non un fanzine et donc ça s'est fait comme ça. On s'est dit : maintenant, on est une maison d'édition.
Vous comptez déjà six titres édités en un an d'existence, avec un programme dense pour l'année à venir. C'est la boulimie du début ou vous comptez garder cette cadence ?
A.D : Éditer six titres par an est bien notre ambition ! On ne souhaite pas devenir gigantesques, mais on est suivi par une communauté de gens et c'est important pour nous que chaque titre résonne avec le reste du catalogue de manière cohérente. La ligne défendue s'appuie sur une écriture très subjective, à la première personne et de tradition plutôt anglo-saxonne.
Pour ce qui est des textes, on a beaucoup de traductions, qu'on fait faire mais que je fais aussi parfois, par souci d'économie. J'ai cette culture musicale du digging, c'est-à-dire aller chercher ce qui est sous le tapis, et je suis surtout un grand lecteur de romans. Avec Le Gospel, on ne cherche pas à éditer des essais sur la musique mais vraiment des romans installés dans la musique. Le problème quand tu es nouveau, c'est que personne ne veut te vendre des titres parce que personne ne te connait. Pour Ce qui vit la nuit de Grace Krilanovich, on a bénéficié du fait que pour les auteurs américains, être édités en France représente un certain prestige. Cela nous a permis d'obtenir le titre à une somme raisonnable. Ensuite, on a beaucoup retravaillé l'objet et notamment sa couverture, qui a sûrement beaucoup participé au succès du livre. On voulait que ça a l'air culte de suite.
Ça coûte combien d'ouvrir sa propre maison d'édition ? Vous avez reçu des aides, institutionnelles, familiales ?
A.D : Pour recevoir des aides, il faut justifier d'un chiffre d'affaires de 10 000 euros minimum, de trois titres au catalogue et d'un diffuseur. On devrait cocher tous les critères pour 2025. Sylvain et moi avons mis chacun la somme de 2 500 euros dans la société pour forger le capital de départ. Une somme qu'on a remise pour le lancement des premiers titres. On n'a pas fait de crowdfunding, ça m'embête toujours un peu de monter un projet en comptant sur l'argent des autres. Je vois souvent des éditeurs qui demandent à leurs auteurs de faire les hommes-sandwichs toute la journée sur les réseaux sociaux, je trouve que l'éditeur sort de son rôle quand il fait ça.
Par contre, on rémunère correctement les gens avec lesquels on travaille. On paye décemment le graphiste, la traductrice, les correcteurs… c'est important pour nous. En tant qu'indépendant, ça me tient à cœur. Je me suis installé à Bordeaux pour des raisons personnelles et non pas par goût particulier pour le territoire mais je constate qu'on vit beaucoup moins dans la précarité qu'à Paris. Ce qui permet de faire plus de choses peut-être…
Vivez-vous de votre activité d'éditeur ?
A.D : Pour l'instant, Le Gospel fonctionne en autodiffusion, d'où la difficulté d'en vivre ou d'arrêter nos activités parallèles. Le fait de ne pas être distribués dans les grandes surfaces ou grosses librairies indépendantes nous coupe de pas mal d'opportunités… La bonne nouvelle, c'est qu'on passe chez Harmonia Mundi en octobre !
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Titres déjà parus :
Ce qui vit la nuit, Grace Krilanovich
L'histoire secrète de Kate Bush (et l'étrange art de la pop) Fred Vermorel
Les carnets de l'underground, Gabriel Cholette
Les heures défuntes, Alice Butterlin
Tuer nos pères puis renaître, Adrien Durand