L’archéologie poétique d’Axel Sourisseau
Du 4 septembre au 31 octobre 2024, le poète Axel Sourisseau, grâce à une bourse du CNL, a été accueilli lors d’une résidence partagée entre la Maison Julien Gracq de Mauges-sur-Loire (49) et le Chalet Mauriac de Saint-Symphorien (33). L’auteur ligérien a réparti son temps d’écriture entre les deux territoires pour son projet poétique choral Mille fanions s’agitaient sur les coupoles.
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Axel Sourisseau vit à Nantes. Il y a fait des études d’Histoire de l’art et d’archéologie entre 2006 et 2009, puis a rejoint l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour poursuivre un Master en Histoire de l’architecture et un autre en commissariat d’exposition entre 2009 et 2012.
À la suite de ses études, Axel Sourisseau intègre une structure prestigieuse d’art contemporain. Le travail est passionnant, l’expérience enrichissante, pourtant il n’est pas comblé. Il réalise que son désir est ailleurs, dans l’écriture. Il prend alors la décision de la mettre au centre de sa vie. En réalité, il nourrit ce vœu depuis qu’il est enfant : être auteur. Alors il lâche tout pour s’y consacrer. Sans ancrage et sans attendu, il prend divers petits boulots alimentaires et invente son espace de liberté.
Son parcours universitaire nourrit son imaginaire. De l’Histoire de l’art est né son amour pour les objets, pour leur typologie qui permet de déterminer leur histoire. Il s’appuie sur la méthodologie des fouilles archéologique pour construire ses récits poétiques.
En 2017, il part travailler dans un hôtel à Berlin. Sur le temps libre qu’il lui reste, il écrit une prose poétique inspirée notamment d’un voyage en Arménie, Le Ravin aux ritournelles, et l’envoie aux éditions de La Crypte. Cette maison d’édition landaise organise depuis 1984 un prix qui récompense de jeunes poètes francophones de moins de trente ans qui n’ont jamais été publiés par un éditeur professionnel. Six mois plus tard, il apprend qu’il est lauréat du prix de La Crypte1. C’est pour lui une reconnaissance - le prix est décerné par un jury de poètes, d’écrivains, et du comité de lecture des éditions de La Crypte – et le début d’une aventure éditoriale puisque le prix consiste en l’édition à trois cents exemplaires de l’œuvre sélectionnée. Par la suite, en 2020, il publiera son deuxième ouvrage Catafalques aux éditions de La Crypte.
Cette rencontre avec l’équipe des éditions de La Crypte est essentielle pour Axel Sourisseau dans son parcours. La maison d’édition l’accompagne dans ses premiers pas d’auteur. Grâce à elle, il anime ses premiers ateliers d’écriture, fait ses premières lectures publiques et participe à ses premiers salons et festivals.
En 2023, il publie Nos bouches gorgées d’herbe pourpre aux éditions Lunatique, une maison d’édition indépendante bretonne sise à Vitré, en Ille-et-Vilaine, mais reste fidèle aux éditions de La Crypte puisque de nouveaux projets en communs sont prévus.
Mille fanions s’agitaient sur les coupoles - le projet qui accompagne Axel Sourisseau en résidence - est un récit poétique choral qui entre en résonance avec notre monde contemporain marqué par les catastrophes naturelles, les migrations de population. Il interroge la nécessité de l’adaptation à un environnement inhospitalier et le devoir de mémoire. Il met en scène des communautés villageoises réfugiées dans les ruines d’une ville, ses bâtiments et ses souterrains. Une archéologue arpente la cité et tente de ranimer la mémoire du passé en partie perdue.
La résidence partagée d’Axel Sourisseau se déroule sur deux temps : en septembre à La Maison Julien Gracq, puis en octobre au Chalet Mauriac, « une alternance qui permet d’appréhender différemment le temps mis à disposition, et un rapport à l’environnement qui évoluera en fonction de la géographie », explique Jérémy Fabre, le directeur de la Maison Julien Gracq. Pour Axel Sourisseau, changer de cadre est un avantage : "cette différence d’ambiance, le paysage ouvert et le paysagé fermé, offre des leviers poétiques. Je me mets dans la peau des territoires qui m’entourent, cela joue sur mon écriture."
Lors de la première période, à la Maison Julien Gracq, il opère un défrichage formel sur la construction, l’organisation et la structuration du livre. Ce travail préparatoire s’inspire de loin de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Il peaufine la carte du lieu où se déroule son histoire et l’organise comme une prospection archéologique en quadrillant la zone. Il crée un plan imaginaire, réalise une carte de la ville, sélectionne des zones précises, des lieux qui seront l’ancrage principal des quatre sections du livre. Il formalise des marqueurs : des paysages et leur transformation. Il se concentre sur la toponymie, invente des bâtiments, leur nom d’où naît des légendes. Cette phase d’organisation est essentielle car le récit choral part dans différentes directions et l’auteur tâche de ne pas trop se disperser. Elle lui permet alors de donner un cadre et des contraintes pour laisser travailler l’imagination à l’intérieur de ce cadre. Il se nourrit de publications scientifiques, notamment des livres parus dans la collection des Cahiers archéologiques de Paris 1, comme La Métamorphose des lieux et des objets dans le monde antique et médiéval, sous la direction de Laure Laüt (éditions de la Sorbonne, 2017). Il écrit ce qui en émerge. Il affiche sur les murs de son espace de travail l’ensemble de ses recherches, zones, angles, mots-clés, notes, et se laisse aller au texte poétique. Il les rassemble, les relie et part au Chalet Mauriac pour la seconde partie du travail : la retranscription.
À St Symphorien, Axel Sourisseau retranscrit sur son ordinateur les textes qui lui semblent aboutis. Il élague, il travaille de façon aléatoire, sans respecter l’ordre chronologique du récit. Des reliefs apparaissent. Il aime l’idée du jeu de piste, a envie que ses personnages – les villageois et l’archéologue – donnent des clés au lecteur mais il ne veut pas que tout soit éclairé pour garder une part du mystère. Il réfléchit avec un typographe pour insérer dans le recueil de vraies fausses inscriptions. Dans cette écriture, le paysage et le bois l’accompagnent. Il se crée un scriptorium, une bulle. Il travaille le soir et la nuit. En journée, il fait le point, se balade en forêt. Il est en immersion dans son cocon. L’écrin du parc, à l’écart de l’agitation, les pluies d’automne, l’aident à se recentrer, à rassembler ses idées.
Axel Sourisseau a commencé cette résidence « un peu cassé de toutes parts ». En deux mois, il a retrouvé la sensation d’être à sa place. Il a rencontré les autres résidents. Ils ont échangé sur leurs pratiques. Des amitiés se sont construites petit à petit, et se sont poursuivies au-delà. Lui qui se sentait étouffé par son quotidien se remet à respirer. Les équipes organisatrices qui l’accueillent sont à l’écoute, prévenantes. Il a pu avancer sur son projet par l’ensemble de cet apport humain, réfléchir sur les intentions d’un travail qu’il porte depuis 2018.
Il espère présenter une première version aboutie de son recueil au printemps 2025. À Nantes, il continuera à écrire et animera des ateliers d’écriture. Ces deux mois de résidence lui ont permis de renouer avec la création et avec lui-même.
Bibliographie :
- Le Ravin aux ritournelles, éditions de La Crypte, 2018 – Prix de La Crypte 2017
- Catafalques, éditions de La Crypte, 2020
- Nos bouches gorgées d’herbes pourpres, éditions Lunatique, 2023
1Né à l’initiative de Pierre Seghers (éditeur et poète), Marcel Saint-Martin (peintre et poète), Marie-Louise Haumont (romancière, prix Femina) et Jean Lalaude (professeur agrégé), le prix est soutenu par la ville de Hagetmau et le conseil départemental des Landes.