"Où s'adosse le ciel" ou comment l’Homme se crée une identité
 
             
            La parole fait l’être humain. L’adage est populaire, on le sait. Les mots répétés entérinent un système de croyances qui se transmet de génération en génération. Ainsi se forme la mémoire collective, socle des religions polythéistes et monothéistes et aussi de toutes les croyances que nous portons sur nous-mêmes.
Où s’adosse le ciel en fait la démonstration.
Dans le roman de David Diop, cette langue de la croyance qui n’est pas celle des faits — et qui peut toutefois se tailler la part du lion au sein de nos existences — dessine la trajectoire de Bilal Seck, un homme au sang prétendument impur.
L’introduction du personnage est déroutante. Il y a ce sang vicié qu’il déplore. Et un discours qu’il répète telle une prière. "Je suis le voyant, l’élu des élus. Je suis le rapporteur omniscient, le lien vivant entre le passé et le présent, le scribe d’hier et d’aujourd’hui. Les paroles du grand ancêtre sont ma sauvegarde."
Nous sommes à la fin du XIXème siècle. Bilal Seck se trouve à La Mecque où il a effectué un pèlerinage avec son maître dont il se pense l’ami depuis l’enfance. Alors qu’une épidémie décime la région et que les cadavres s’amoncellent, son maître l’abandonne. Bilal Seck se trouve meurtri par cet acte de trahison. Pour retrouver son centre, le sens de l’existence ou simplement l’espoir d’un lendemain qui ne lui grignotera pas les entrailles avant de le laisser pour mort sur les rives de la mer rouge, Bilal Seck psalmodie ces mots : "Je suis le voyant, l’élu des élus…"
Bilal Seck ne tombera pas malade. Réchapper du choléra n’est pas anodin. Mais Bilal Seck ne s’arrête pas sur les faits. Il est porté par la croyance, la conviction. Son sang est impur. Et il doit transmettre à son tour la parole sacrée.
Je suis le voyant, l’élu des élus…
L’évocation de ces phrases le ressource, l’incite à marcher — et nous propulse, nous, lecteurs, dans une autre histoire, ancienne de deux mille ans, nourrie de mythologie antique. Sous le règne de Ptolémée Philadelphe, roi grec qui impose aux égyptiens des croyances hellénistes, un peuple désigné comme "les sacrifiés" décide de fuir l’Egypte. Il est guidé à travers le désert par un prêtre, nommé Ounifer, en conflit avec le chef du clergé de l’Egypte. Ounifer parvient par le maniement habile des mots à mener ses fidèles sur une route aride et désertique, en direction d’une terre promise où s’adosse le ciel. Là, ils seront libres de prier leurs dieux égyptiens.
Sur le sol craquelé, les bouches assoiffées ne peuvent se contenter de beaux discours. Peu à peu, les sacrifiés suffoquent. La difficulté du voyage exacerbe les tensions et crée des alliances inattendues.
La lecture du roman offre des questionnements et il nous faut parcourir le désert du Sahara et suivre les pérégrinations des différents personnages pour espérer des réponses. Tels des assoiffés de la narration, captivés par la plume précise, érudite et romanesque de David Diop, nous sommes exhortés à saisir les ressorts complexes de l’identité humaine qui s’arment de croyances et d’amour pour faire face à l’adversité. Les mythes sont nombreux, les références également mais la lecture toujours fluide, le récit toujours plus haletant jusqu’à la résolution de l’intrigue qui se dévoile tel un cadeau. En un mot : bravo.
 
           
         
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
