Trailer Park au Kentucky, ping-pong au chalet
Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe, réalisateurs, sont en résidence du 10 au 21 avril au chalet Mauriac pour leur projet de long-métrage, documentaire de création consacré à une communauté hillbillie de l’Estearn Kentucky, États-Unis d’Amérique.
D’où est né ce projet sur lequel vous travaillez et où en êtes-vous arrivant ici ?
Thomas & Diane – Nous aimons tous les deux les États-Unis, Diane y était déjà allée plusieurs fois, moi jamais, et le moment où nous avons décidé d’y aller ensemble a coïncidé avec un moment particulier de notre vie. Une crise existentielle en relation avec notre manière de vivre en France, et avec la France en général. Une vie au sein d’une grande métropole urbaine, Paris, avec beaucoup de contraintes. Nous désirions partir loin de ce quotidien, raison aussi pour laquelle nous avons choisi le Kentucky, un État que personne ne fréquente.
Nous avions le désir commun et flou de faire un film sur l’Amérique, pays bien sûr très connu, mais qui me passionne et où je me suis toujours sentie bien. Quelque chose lié à son imaginaire et au sentiment de liberté que l’on y éprouve. Même si ce rapport à la liberté est complexe… une complexité qui fait partie de notre projet de film.
Nous avions le désir commun et flou de faire un film sur l’Amérique, pays bien sûr très connu, mais qui me passionne et où je me suis toujours sentie bien. Quelque chose lié à son imaginaire et au sentiment de liberté que l’on y éprouve. Même si ce rapport à la liberté est complexe… une complexité qui fait partie de notre projet de film.
Thomas & Diane & Thomas – La thématique de la liberté est effectivement ce qui nous a guidé là-bas. Elle est au cœur de la construction des États-Unis, inscrite dans la Constitution. La partie appalachienne du Kentucky en particulier est une terre extrêmement libre, non alignée pendant la guerre de Sécession, située sur une frontière, plutôt rattachée géographiquement au Nord mais dont la culture est plutôt du Sud.
Ce premier voyage de quelques jours date de 2013, puis le projet a mûri deux années, vers un séjour plus long. Notre rencontre avec Brian Ritchie, vite devenue une amitié, a permis au canevas du film de se préciser au fil du temps, et de prendre de l’ampleur. Rencontre déterminante. Brian, devenu le protagoniste du film, nous a fait découvrir sa région, située à l’est de l’État, rurale, pauvre, sauvage, très isolée, à laquelle nous ne attendions vraiment pas.
Diane & Thomas & Diane & Thomas – Tout le monde se fout du Kentucky, cela n’intéresse personne, et personne ne peut penser qu’on s’y intéresse ! Et nous moins encore, qui venions alors de Paris ! Nous y avons pourtant rencontré une culture, une nature luxuriante, et cet homme, Brian, poète et fermier, dont l’existence simple, à l’opposé de la nôtre, stressante, fatigante, éloignée souvent de la dimension artistique, à chaque voyage nous a attirés un peu plus. Et nos échanges, sur place et par mails, ont nourri l’idée que le film se ferait là-bas.
Il faut dire que l’organisation sociale est particulière, très précaire. Brian et d’autres comme lui vivent dans des Trailer Park (ensemble de mobile-homes plantés au milieu des montagnes) et surtout en dehors des lois et des règles édictées par le gouvernement de Washington. Proches en cela du courant anarchiste non individualiste américain, qui prône une libre association entre individus plutôt qu’une société organisée, hiérarchisée. Forcément un aspect intéressant, intrigant, exaltant, lieu d’une liberté absolue. Même si elle a bien sûr un prix. Car si l’État n’intervient plus, les gens doivent se débrouiller entièrement par eux-mêmes, ce qui demande une très grande organisation. Ce qu’essaient de faire tous ces gens-là. Micro-communauté et micro-société ont toujours fait partie de l’histoire du Kentucky. Et cette partie du côté des Appalaches a toujours eu un statut particulier, depuis les guerres entre tribus indiennes jusqu’à la sécession avec la Virginie. Et elle en a gardé ce terreau fait de violences et de luttes fratricides. Raison pour laquelle cette terre est appelée The Dark and Bloody Ground, qui est le titre de notre projet.
Ici, nous en sommes à sa réécriture. Et désormais le dossier sur lequel nous travaillons est destiné à obtenir de nouveaux financements et à préparer sa phase de développement.
Que vous apporte ce temps de résidence, que recherchiez-vous en l’envisageant il y a déjà plusieurs mois, quelle nécessité a-t-il à ce moment de l’écriture de votre projet ?
Thomas & Diane & Thomas – Une mise à l’écart des contraintes professionnelles et quotidiennes bien sûr, surtout la possibilité de se consacrer enfin, tous les deux ensemble, au projet. Une immersion complète, totale. C’est la première fois que nous pouvons écrire à deux en même temps. Cette résidence arrive parfaitement au bon moment. En février, nous étions en repérage dans le Kentucky, alors avoir ce temps-là maintenant nous permet d’entrer complètement dans l’écriture du film… et du dossier.
Dans le chalet Mauriac, la table sur laquelle travaillent Diane et Thomas a au moins la surface d’une table de ping-pong, jeu que Diane évoque justement à propos de leur façon de travailler. Et en effet, autour de cette table, chacun s’est placé d’un côté, à une extrémité. On se souvient que pour arriver à jouer à deux au ping-pong il est préférable de ne pas tenir les deux raquettes à la fois avec les quatre mains. Plutôt ping d’un côté, pong de l’autre. Pour se renvoyer la balle. Une part du dossier pour lui, une autre pour elle. Diane est prolixe, Thomas plus laconique. Relire ensemble leur permettra ensuite de trouver la forme idéale. S’ils arrivent à constituer un dossier dont ils sont contents, qui leur servira de base pour la suite, la partie sera gagnée.
Et ici, ils disent d’une même voix que voir les autres travailler les maintient dans un rythme.
Cette partie de ping-pong aura deux gagnants.