9 Doigts
À l'occasion de la sortie nationale de 9 Doigts ce mercredi 21 mars, son réalisateur F.J. Ossang revient sur ses choix graphiques et ses inspirations.
9 Doigts est tourné en noir et blanc et en pellicule. Ce sont des choix plastiques forts, relèvent-ils de la pure cinéphilie ?
F.J. Ossang : J’ai déjà tourné plusieurs films en noir et blanc – ce procédé est idéal pour intensifier la croix du regard des acteurs, autant que pour déterritorialiser les paysages. La température de couleurs ne saurait mentir sur les latitudes (rires) ! Le noir et blanc est beaucoup plus économique pour atteindre à une même qualité artistique. Du temps des grands producteurs, un studio n’autorisait un tournage couleurs qu’à condition d’un budget bien plus élevé. Concernant la pellicule – le cinéma argentique, disons que c’est "sexuel" - mon désir du cinématographe passe essentiellement par le "film" et non les capteurs électroniques. "Le désir c’est probablement tout ce que l’homme possède" (Jacques Rigaut). J’ai amplement répondu à cette question dans un livre intitulé Mercure insolent (2013).
Vous avez réalisé un film de groupe, de troupe, avec d’excellents acteurs français qui sont des nouveaux venus chez vous : Paul Hamy, Damien Bonnard, Gaspar Ulliel, Lisa Hartmann... Comment s’est composé le casting ?
F.J. O. : La distribution s’est composée de façon naturelle. J’avais envie de tourner avec Pascal Gregorry – qui a tout de suite accepté, bien que le film ait pris 3 ans à se monter en production. Puis un ami décorateur m’a présenté Paul Hamy. J’avais rencontré Damien Bonnard dans un festival de courts métrages. Quant à Gaspard Ulliel, je le pressentais comme un des plus étonnants acteurs actuels. Ce dernier ne connaissait pas mes films. Quand il les a découverts, son adhésion a relevé de la solidarité : il a résolu de venir en dépit des accidents et des retards de production. Tous les autres sont des complices des films précédents. Lionel Tua, Diogo Doria, Elvire. Et puis il y a les jeunes : Lisa Hartmann, Alexis Manenti…
F.J. Ossang : J’ai déjà tourné plusieurs films en noir et blanc – ce procédé est idéal pour intensifier la croix du regard des acteurs, autant que pour déterritorialiser les paysages. La température de couleurs ne saurait mentir sur les latitudes (rires) ! Le noir et blanc est beaucoup plus économique pour atteindre à une même qualité artistique. Du temps des grands producteurs, un studio n’autorisait un tournage couleurs qu’à condition d’un budget bien plus élevé. Concernant la pellicule – le cinéma argentique, disons que c’est "sexuel" - mon désir du cinématographe passe essentiellement par le "film" et non les capteurs électroniques. "Le désir c’est probablement tout ce que l’homme possède" (Jacques Rigaut). J’ai amplement répondu à cette question dans un livre intitulé Mercure insolent (2013).
Vous avez réalisé un film de groupe, de troupe, avec d’excellents acteurs français qui sont des nouveaux venus chez vous : Paul Hamy, Damien Bonnard, Gaspar Ulliel, Lisa Hartmann... Comment s’est composé le casting ?
F.J. O. : La distribution s’est composée de façon naturelle. J’avais envie de tourner avec Pascal Gregorry – qui a tout de suite accepté, bien que le film ait pris 3 ans à se monter en production. Puis un ami décorateur m’a présenté Paul Hamy. J’avais rencontré Damien Bonnard dans un festival de courts métrages. Quant à Gaspard Ulliel, je le pressentais comme un des plus étonnants acteurs actuels. Ce dernier ne connaissait pas mes films. Quand il les a découverts, son adhésion a relevé de la solidarité : il a résolu de venir en dépit des accidents et des retards de production. Tous les autres sont des complices des films précédents. Lionel Tua, Diogo Doria, Elvire. Et puis il y a les jeunes : Lisa Hartmann, Alexis Manenti…
De manière générale, comment l’écrivain que vous êtes envisage-t-il le travail avec les acteurs ? Les mots sont importants, comme on dit, mais chez vous l’écriture est une seconde peau. Quand vous ne filmez pas, vous composez des textes…
F.J. O. : Les acteurs et le réalisateur ont une alliance objective : que le film soit raté, et c’est nous qui sommes déshonorés. Les acteurs ne sont-ils la chair du film…
D’abord polar melvillien, 9 doigts se mue en récit d’aventures maritimes. L’eau, la mer, l’île sont d’ailleurs des décors récurrents dans votre œuvre. Y a-t-il un utopiste en vous ?
F.J. O. : Utopie/dystopie, je ne saurais dire. Le film reproduit 3 mouvements – du film noir au film d’aventures maritimes – via les dérives du Vaisseau Fantôme. 9 Doigts ressort aussi d’un film de science-fiction "à l’envers". La science-fiction place des vaisseaux dans le grand vide sidéral noir, quand ici c’est l’inverse…
Le chef de bande interprété par Damien Bonnard s’appelle Kurtz. Les passagers du Sri Ahmed Volkenson V vivent une désorientation telle qu’ils pensent être à bord d’un "vaisseau-fantôme". Le film ne nous ramènerait-t-il pas vers les limbes d’Apocalypse Now ?
F.J. O. : Le choix de Kurtz est plus intuitif que volontaire. Je n’ai relu Au Chœur des ténèbres qu’après qu’une jeune Russe me l’ait offert à Vladivostok pour rendre hommage à 9 Doigts. Mais c’est vrai que Joseph Conrad compte parmi les auteurs essentiels, formateur de ma jeunesse, comme Edgar Allan Poe. Le rapprochement avec Apocalypse Now (inspiré de Conrad) est très flatteur au-delà du budget squelettique de 9 Doigts…
F.J. O. : Les acteurs et le réalisateur ont une alliance objective : que le film soit raté, et c’est nous qui sommes déshonorés. Les acteurs ne sont-ils la chair du film…
D’abord polar melvillien, 9 doigts se mue en récit d’aventures maritimes. L’eau, la mer, l’île sont d’ailleurs des décors récurrents dans votre œuvre. Y a-t-il un utopiste en vous ?
F.J. O. : Utopie/dystopie, je ne saurais dire. Le film reproduit 3 mouvements – du film noir au film d’aventures maritimes – via les dérives du Vaisseau Fantôme. 9 Doigts ressort aussi d’un film de science-fiction "à l’envers". La science-fiction place des vaisseaux dans le grand vide sidéral noir, quand ici c’est l’inverse…
Le chef de bande interprété par Damien Bonnard s’appelle Kurtz. Les passagers du Sri Ahmed Volkenson V vivent une désorientation telle qu’ils pensent être à bord d’un "vaisseau-fantôme". Le film ne nous ramènerait-t-il pas vers les limbes d’Apocalypse Now ?
F.J. O. : Le choix de Kurtz est plus intuitif que volontaire. Je n’ai relu Au Chœur des ténèbres qu’après qu’une jeune Russe me l’ait offert à Vladivostok pour rendre hommage à 9 Doigts. Mais c’est vrai que Joseph Conrad compte parmi les auteurs essentiels, formateur de ma jeunesse, comme Edgar Allan Poe. Le rapprochement avec Apocalypse Now (inspiré de Conrad) est très flatteur au-delà du budget squelettique de 9 Doigts…
"On me colle cette image d’apocalypse. C’est sûr que l’on s’approche d’une fin – il y a des signes !"
La vérité sur ce qui se trame à bord est de plus en plus opaque pour les personnages, surtout lorsque les puissances extrêmes entrent en jeu. 9 Doigts a-t-il à voir avec une certaine colère politique ? Je pense également à la musique qui est une sorte de feu jeté sur un monde en apocalypse. Mais un feu qui ravive et ranime les consciences…
F.J. O. : Je crois que c’est clair si l’on entend les dialogues. Mais personne n’écoute plus, comme une famille rivée devant la télévision. Au fond, c’est toujours la même chose. On me colle cette image d’apocalypse. C’est sûr que l’on s’approche d’une fin – il y a des signes ! Mais l’apocalypse, c’est aussi la révélation, le moment où les choses se dévoilent. Il y a cohabitation de l’Âge des Ténèbres, et de l’Âge d’Or naissant. Mais je crains que l’apocalypse soit en partie derrière nous, et que nous n’ayons rien vu, (rires) !
Outre la collaboration avec 10 :15 Productions, votre cinquième long métrage a été financé sur vos deniers personnels et via le crowfunding. Dans la présentation du projet, il est question d’œuvrer dans "une industrie de plus en plus normée". Qu’entendez-vous par là ?
F.J. O. : Ce n’est pas ça. J’ai obtenu l’Avance sur Recettes sur le scénario en décembre 2013 (dernière commission présidée par POL – Paul Otchakovsky-Laurens). Ensuite, ma société OSS/100 Films & Documents s’est rapprochée d’une structure de production plus importante, qui s’est dérobée au bout de 2 ans, découragée par le refus de toutes les télévisions et câbles de France et de Navarre. C’est alors que nous avons résolu en 2016 de coproduire avec la jeune structure 10:15 Productions. Sur Dharma Guns, nous avions eu déjà recours à une souscription populaire, bien avant que cela s’appelle le Kroud-Funding !
9 Doigts est une co-production avec la société O Som E Furia. La dernière partie du film est tournée aux Açores. Quel rapport avez-vous avec le Portugal et avec son cinéma ?
F.J. O. : La participation d’O Som e Furia est intervenue dès 2014. Mes rapports avec le Portugal sont étroits, puisque j’y ai débarqué l’année 1986 – plus ou moins à la suite de Raul Ruiz, avant d’y tourner Le Trésor des îles chiennes en 1989. Quant aux Açores, 9 Doigts clotûre une sorte de Trilogie argentique açorienne : Le Trésor des îles chiennes (1991) – Dharma Guns (2011) – 9 Doigts (2018)… Avec le temps, je suis presque devenu un portugais des affaires extérieures, de langue française, qui a tourné au Chili et en Russie - où l’on dit qu’Ossang est le secret le mieux gardé du cinéma français (rires) !
Pourquoi avoir dédicacé le film au poète surréaliste haïtien Magloire Sainte-Aude ?
F.J. O. : C’est un poète essentiel de l’immédiat après-guerre. Pas exactement surréaliste. Une sorte de croisement vaudou de Maurice Scève ou de Mallarmé – qu’André Breton a révélé. "Quel limon des nausées, / Hors de l’encrier couronné, / La Tanagra danse / Au lambeau des minuits inclinés ?"
F.J. O. : Je crois que c’est clair si l’on entend les dialogues. Mais personne n’écoute plus, comme une famille rivée devant la télévision. Au fond, c’est toujours la même chose. On me colle cette image d’apocalypse. C’est sûr que l’on s’approche d’une fin – il y a des signes ! Mais l’apocalypse, c’est aussi la révélation, le moment où les choses se dévoilent. Il y a cohabitation de l’Âge des Ténèbres, et de l’Âge d’Or naissant. Mais je crains que l’apocalypse soit en partie derrière nous, et que nous n’ayons rien vu, (rires) !
Outre la collaboration avec 10 :15 Productions, votre cinquième long métrage a été financé sur vos deniers personnels et via le crowfunding. Dans la présentation du projet, il est question d’œuvrer dans "une industrie de plus en plus normée". Qu’entendez-vous par là ?
F.J. O. : Ce n’est pas ça. J’ai obtenu l’Avance sur Recettes sur le scénario en décembre 2013 (dernière commission présidée par POL – Paul Otchakovsky-Laurens). Ensuite, ma société OSS/100 Films & Documents s’est rapprochée d’une structure de production plus importante, qui s’est dérobée au bout de 2 ans, découragée par le refus de toutes les télévisions et câbles de France et de Navarre. C’est alors que nous avons résolu en 2016 de coproduire avec la jeune structure 10:15 Productions. Sur Dharma Guns, nous avions eu déjà recours à une souscription populaire, bien avant que cela s’appelle le Kroud-Funding !
9 Doigts est une co-production avec la société O Som E Furia. La dernière partie du film est tournée aux Açores. Quel rapport avez-vous avec le Portugal et avec son cinéma ?
F.J. O. : La participation d’O Som e Furia est intervenue dès 2014. Mes rapports avec le Portugal sont étroits, puisque j’y ai débarqué l’année 1986 – plus ou moins à la suite de Raul Ruiz, avant d’y tourner Le Trésor des îles chiennes en 1989. Quant aux Açores, 9 Doigts clotûre une sorte de Trilogie argentique açorienne : Le Trésor des îles chiennes (1991) – Dharma Guns (2011) – 9 Doigts (2018)… Avec le temps, je suis presque devenu un portugais des affaires extérieures, de langue française, qui a tourné au Chili et en Russie - où l’on dit qu’Ossang est le secret le mieux gardé du cinéma français (rires) !
Pourquoi avoir dédicacé le film au poète surréaliste haïtien Magloire Sainte-Aude ?
F.J. O. : C’est un poète essentiel de l’immédiat après-guerre. Pas exactement surréaliste. Une sorte de croisement vaudou de Maurice Scève ou de Mallarmé – qu’André Breton a révélé. "Quel limon des nausées, / Hors de l’encrier couronné, / La Tanagra danse / Au lambeau des minuits inclinés ?"