Célia Houdart : "Écouter la musique qui émane des choses, de la vie, du temps"
Célia Houdart publie chez P.O.L Villa Crimée, un livre né d'une commande autour du projet architectural de logements sociaux dans la rue de Crimée, dans le dix-neuvième arrondissement de Paris. Oeuvre dont elle donne ce mardi à l'Iboat et ce mercredi 14 novembre à la BFM de Limoges une lecture amplifiée avec Sébastien Roux dans le cadre du festival Ritournelles. En septembre, l’auteure était en résidence à La Petite Escalère, le jardin de sculptures posé sur les bords de l'Adour, entre Landes et Pays basque.
Ces jours-ci, paraît chez P.O.L un nouveau texte, intitulé Villa Crimée. On vous accompagne dans cette villa qui n'en est pas une, plutôt un immeuble avec de nombreuses fenêtres. Par touches, à la façon d'un pointillisme, vous entrez dans les appartements, dans les vies, dans l'histoire des lieux comme le fait, mais dans un genre tout différent que celui de Georges Perec dans La vie mode d'emploi. Comme ce texte est-il venu ?
Célia Houdart : Dans le titre du livre, le mot "villa" renvoie à un usage du terme moins connu peut-être, plus citadin : une voie, souvent pavée, bordée de maisons. Après la Villa E. 1027 de Tout un monde lointain, mon précédent roman, je trouvais amusante cette fausse piste. Il s'agit en effet ici d'un tout autre type de villa : un projet architectural au 168, rue de Crimée, dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, qui, d'un geste un peu miraculeux, réunit 31 logements sociaux dont sept ateliers d'artistes, autour d'une cour pavée.
Célia Houdart : Dans le titre du livre, le mot "villa" renvoie à un usage du terme moins connu peut-être, plus citadin : une voie, souvent pavée, bordée de maisons. Après la Villa E. 1027 de Tout un monde lointain, mon précédent roman, je trouvais amusante cette fausse piste. Il s'agit en effet ici d'un tout autre type de villa : un projet architectural au 168, rue de Crimée, dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, qui, d'un geste un peu miraculeux, réunit 31 logements sociaux dont sept ateliers d'artistes, autour d'une cour pavée.
Le livre est né d'une commande. L'architecte du site, Sarah Bitter (agence METEK) a invité une danseuse, un philosophe, une cinéaste, une compagnie de danse verticale a réagir à ce lieu encore en chantier, pour parler d'architecture autrement. Nous avons tous participé à un film : Crimée enchantée. Histoire(s) d'une architecture, réalisé par Sophie Comté Kouyaté. Certains de mes textes constituent la voix off du film. Mais j'ai, comme on dit, dépassé la commande. On m'a demandé un texte, j'ai écrit un livre. La situation d'écriture était passionnante. La rue de Crimée est dans mon quartier. Cela a été l'occasion pour moi d'explorer son histoire, la question du logement social, de l'habitat décent, du "commun" aujourd'hui dans un quartier de grande mixité, en pleine mutation depuis le 11ème siècle. J'y parle de démolitions, de ruines, de savoirs-faire, de Paris, et de moi aussi, un peu. C'est la première fois. Bien sûr j'ai pensé à la Vie mode d'emploi de Perec, dont je connaissais le principe formel. Mais j'avoue que j'ai lu le livre cet été, après coup. Avec une grande émotion. C'est une œuvre merveilleuse.
Comme Perec, j'entre dans des appartements, j'écris des vies imaginaires. J'aimais bien l'idée de construire un objet à la forme rigoureuse, précise, repérable : 212 fenêtres. Mais qui puisse accueillir du divers, des côtoiements, des instantanés, tout un bric-à-brac.
Dans vos précédents textes, tous publiés chez P.O.L., vous veillez toujours à donner à lire l'étrangeté, le mystère, les blancs de la vie. Cette fois encore, dans Villa Crimée, on a souvent le sentiment, malgré des détails, un fourmillement de choses, de gens, d'actes, d'explorations, que le réel s'anime dans ces interstices-là. Ces précieuses fissures...
C.H. : Oui, j'aime que les choses soient vivantes. Pour cela, la vie d'un chantier et du quartier était inspirante. Je n'avais qu'à me mettre au diapason. Écouter la musique qui émanait des choses, de la vie, du temps. J'ai regardé ce que j'avais sous les yeux. Le site et ses archives, les plans de l'architecte, le cadastre, les photos de gravats, les matériaux neufs, les briques, le cuivre gold brillant. J'ai fait ce qu'en dessin on appelle des études. Et puis, pour que l'ensemble tienne j'ai créé des échos entre les fragments. On retrouve des personnages, leurs habitudes. Les saisons passent, les enfants grandissent. J'ai voulu qu'il y ait ici et là comme des amorces de romans ou de scénarios. Un côté Fenêtre sur cour - j'ai revu le film d'Hitchcock tout de suite après ma première visite des bâtiments. Mais avec le désir de rester dans un format bref. Une galerie de miniatures.
"Et puis j'ai découvert la beauté de l'Adour. Ce fleuve comme un bras de mer. Je l'ai longé souvent le soir à vélo. Sur la route, je sentais des effluves marines, des odeurs tièdes. "
Vous venez de passer plusieurs semaines en résidence au Jardin de Sculptures de La Petite Escalère, dans les Landes. Comment ce séjour au milieu des œuvres d'art, en pleine nature, au bord du fleuve Adour s'est-il passé?
C.H. : C'était le rêve pour moi de pouvoir écrire au calme des journées entières, entourée d'arbres et d'œuvres magnifiques. Je trouve qu'il n'y a pas mieux que cette double proximité avec la nature et l'art. Une nature composée bien sûr. Car ici le jardin est plus qu'un musée à ciel ouvert, c'est une œuvre en soi, sur laquelle veillent les jardiniers et toute l'équipe de la Petite Escalère. J'ai pu travailler, lire, respirer. Mener une vie physique, c'est une chose essentielle quand on écrit. En tout cas pour moi, cela compte beaucoup.
Qu'avez-vous trouvé là que vous ne pouviez soupçonner en y posant vos valises?
C.H. : Vivre au quotidien avec des œuvres. C'est autre chose que d'aller dans un musée. Pouvoir s'asseoir sur un banc de Noguchi à des heures différentes de la journée. Voir une baigneuse ou le grand Adam de Bourdelle quand on va faire sa lessive. Je comprends mieux après ce séjour la folie de certains collectionneurs. Leur désir d'avoir une œuvre pour eux seuls et pour leurs proches. Et pourtant je peux vous dire que je suis attachée à la démocratisation des lieux dévolus à l'art. La démocratisation de tout. Mais j'ai entrevu cela, ce plaisir étrange. Peut-être le plus grand luxe à mes yeux. Et puis j'ai découvert la beauté de l'Adour. Ce fleuve comme un bras de mer. Je l'ai longé souvent le soir à vélo. Sur la route, je sentais des effluves marines, des odeurs tièdes. Un mélange d'eau limoneuse, de vase, de chèvrefeuille, de roses et de figues trop mûres. Quelque chose de safrané aussi par endroits, à certaines heures. Je n'oublierai pas la vision des platanes dans l'eau.
Qu'avez-vous écrit dans ce lieu?
C.H. : J'ai poursuivi l'écriture d'un roman que j'ai commencé ce printemps. Je trouve difficile de parler de textes en cours. Il y sera question des bords de Seine à Paris et du Hooghly, un défluent du Gange.
Qu'est-ce qui relie ces deux fleuves?
C.H. : Le personnage principal, un jeune indien mathématicien. Et à travers lui d'autres personnages. L'Inde et Paris seront reliés aussi par des motifs, celui notamment de l'écriture. L'écriture est née au bord de l'eau. Dans des terres limoneuses ou dans des sites bien particuliers, favorables à la vie. Où l'on pouvait graver des signes ou des figures sur des tablettes d'argile ou sur des surfaces de pierre. Moi-même enfant dans l'île Saint-Louis, mes premières rêveries sont nées sur les quais, en regardant l'eau et les petits coquillages incrustés dans les parapets.
C.H. : C'était le rêve pour moi de pouvoir écrire au calme des journées entières, entourée d'arbres et d'œuvres magnifiques. Je trouve qu'il n'y a pas mieux que cette double proximité avec la nature et l'art. Une nature composée bien sûr. Car ici le jardin est plus qu'un musée à ciel ouvert, c'est une œuvre en soi, sur laquelle veillent les jardiniers et toute l'équipe de la Petite Escalère. J'ai pu travailler, lire, respirer. Mener une vie physique, c'est une chose essentielle quand on écrit. En tout cas pour moi, cela compte beaucoup.
Qu'avez-vous trouvé là que vous ne pouviez soupçonner en y posant vos valises?
C.H. : Vivre au quotidien avec des œuvres. C'est autre chose que d'aller dans un musée. Pouvoir s'asseoir sur un banc de Noguchi à des heures différentes de la journée. Voir une baigneuse ou le grand Adam de Bourdelle quand on va faire sa lessive. Je comprends mieux après ce séjour la folie de certains collectionneurs. Leur désir d'avoir une œuvre pour eux seuls et pour leurs proches. Et pourtant je peux vous dire que je suis attachée à la démocratisation des lieux dévolus à l'art. La démocratisation de tout. Mais j'ai entrevu cela, ce plaisir étrange. Peut-être le plus grand luxe à mes yeux. Et puis j'ai découvert la beauté de l'Adour. Ce fleuve comme un bras de mer. Je l'ai longé souvent le soir à vélo. Sur la route, je sentais des effluves marines, des odeurs tièdes. Un mélange d'eau limoneuse, de vase, de chèvrefeuille, de roses et de figues trop mûres. Quelque chose de safrané aussi par endroits, à certaines heures. Je n'oublierai pas la vision des platanes dans l'eau.
Qu'avez-vous écrit dans ce lieu?
C.H. : J'ai poursuivi l'écriture d'un roman que j'ai commencé ce printemps. Je trouve difficile de parler de textes en cours. Il y sera question des bords de Seine à Paris et du Hooghly, un défluent du Gange.
Qu'est-ce qui relie ces deux fleuves?
C.H. : Le personnage principal, un jeune indien mathématicien. Et à travers lui d'autres personnages. L'Inde et Paris seront reliés aussi par des motifs, celui notamment de l'écriture. L'écriture est née au bord de l'eau. Dans des terres limoneuses ou dans des sites bien particuliers, favorables à la vie. Où l'on pouvait graver des signes ou des figures sur des tablettes d'argile ou sur des surfaces de pierre. Moi-même enfant dans l'île Saint-Louis, mes premières rêveries sont nées sur les quais, en regardant l'eau et les petits coquillages incrustés dans les parapets.
Journaliste de 1991 à 2008 (France Culture, Le Monde, Sud Ouest), Serge Airoldi dirige depuis 2008 les Rencontres à Lire de Dax. Auteur de nombreux livres, dont Rose Hanoï (Arléa, 2017) et Si maintenant j’oublie mon île (L’Antilope, 2021), il collabore à des revues. Depuis 2017, il dirige la collection Pour dire une photographie aux éditions Les Petites Allées.