Enrique Ramírez, l’écriture comme corps de l’œuvre
Enrique Ramírez, artiste chilien habitant à Paris, a été exposé plusieurs fois en Nouvelle-Aquitaine. Si son œuvre 4820 faisceaux était dernièrement présente dans l’exposition « Ceux qui nous lient » à l’Artothèque de Pessac, « Medio Acqua », à la Base sous-marine de Bordeaux, rend accessible jusqu’au 6 janvier deux de ses œuvres dont le très apprécié et bouleversant court-métrage Brisas.
À quel point le texte est-il important dans votre œuvre et pourquoi ?
Enrique Ramírez : Le texte est toujours le début de mon travail. Je viens du Chili qui est un pays très marqué par la poésie. J’ai toujours été attiré par la poésie, je trouve qu’elle manque beaucoup dans le monde d’aujourd’hui. C’est toujours la poésie, l’écriture de textes, qui amène mon travail ailleurs (cinéma, photographie etc.) C’est le corps de l’œuvre.
Comment avez-vous écrit le scénario de Brisas ?
E.R. : L’idée de ce film a germé lors du deuxième gouvernement démocratique chilien. Ricardo Lagos, le président de l’époque, venait d’ouvrir les portes de La Moneda pour que les gens puissent le traverser. La Moneda avait été conçu comme ça, pour que les habitants puissent le traverser. Je n’habitais pas très loin et je me suis aperçu qu’on ne pouvait traverser le Palais que dans une seule direction. Je voulais donc réaliser un film d’un personnage qui va à l’inverse car pour moi il faut regarder en arrière dans l’histoire, on ne peut pas aller seulement de l’avant et oublier tout ce qui s’est passé. Puis, j’ai commencé à me souvenir de comment j’avais vécu la dictature. Je suis la dernière génération qui a vécu la dictature : j’avais douze ans quand elle s’est finie. Plus tard, déjà grands, avec mes amis, nous avons pu comprendre des choses.
Le texte du film reprend tous ces souvenirs personnels comme ma peur des avions qui survolaient la maison, des souvenirs de gens proches, d’amis, des histoires que j’ai entendues… La première chose qui existe du film, c’est justement ce texte que j’ai lu en marchant. C’est à partir de là que j’ai tracé un parcours, celui que fera le personnage. Je n’étais pas du tout pressé de finir l’écriture de mon texte (j’étais étudiant au Fresnoy à l’époque). Le texte était beaucoup plus long mais, pour que le personnage ne parle pas tout le temps pendant le parcours, j’ai supprimé des lignes.
Comment avez-vous travaillé avec le comédien Jorge Becker ? Avait-il en tête le texte quand il marchait ?
E.R. : Je connais Jorge depuis longtemps en tant que danseur : j’aime sa façon de marcher et de parler. Avant le tournage, on a parlé de mes sentiments, de cette ville grise, un peu triste, de nostalgie et de solitude, surtout. Pendant le tournage, j’ai continué de parler à Jorge. Il n’avait pas le texte en tête. Le son que tu entends dans le film est entièrement reconstruit. Nous avons travaillé la voix-off et donc le texte après le tournage.
Enrique Ramírez : Le texte est toujours le début de mon travail. Je viens du Chili qui est un pays très marqué par la poésie. J’ai toujours été attiré par la poésie, je trouve qu’elle manque beaucoup dans le monde d’aujourd’hui. C’est toujours la poésie, l’écriture de textes, qui amène mon travail ailleurs (cinéma, photographie etc.) C’est le corps de l’œuvre.
Comment avez-vous écrit le scénario de Brisas ?
E.R. : L’idée de ce film a germé lors du deuxième gouvernement démocratique chilien. Ricardo Lagos, le président de l’époque, venait d’ouvrir les portes de La Moneda pour que les gens puissent le traverser. La Moneda avait été conçu comme ça, pour que les habitants puissent le traverser. Je n’habitais pas très loin et je me suis aperçu qu’on ne pouvait traverser le Palais que dans une seule direction. Je voulais donc réaliser un film d’un personnage qui va à l’inverse car pour moi il faut regarder en arrière dans l’histoire, on ne peut pas aller seulement de l’avant et oublier tout ce qui s’est passé. Puis, j’ai commencé à me souvenir de comment j’avais vécu la dictature. Je suis la dernière génération qui a vécu la dictature : j’avais douze ans quand elle s’est finie. Plus tard, déjà grands, avec mes amis, nous avons pu comprendre des choses.
Le texte du film reprend tous ces souvenirs personnels comme ma peur des avions qui survolaient la maison, des souvenirs de gens proches, d’amis, des histoires que j’ai entendues… La première chose qui existe du film, c’est justement ce texte que j’ai lu en marchant. C’est à partir de là que j’ai tracé un parcours, celui que fera le personnage. Je n’étais pas du tout pressé de finir l’écriture de mon texte (j’étais étudiant au Fresnoy à l’époque). Le texte était beaucoup plus long mais, pour que le personnage ne parle pas tout le temps pendant le parcours, j’ai supprimé des lignes.
Comment avez-vous travaillé avec le comédien Jorge Becker ? Avait-il en tête le texte quand il marchait ?
E.R. : Je connais Jorge depuis longtemps en tant que danseur : j’aime sa façon de marcher et de parler. Avant le tournage, on a parlé de mes sentiments, de cette ville grise, un peu triste, de nostalgie et de solitude, surtout. Pendant le tournage, j’ai continué de parler à Jorge. Il n’avait pas le texte en tête. Le son que tu entends dans le film est entièrement reconstruit. Nous avons travaillé la voix-off et donc le texte après le tournage.
"L’art, ce sont des images attachées à des questions."
Vous utilisez beaucoup la voix off dans votre travail (Brisas, Tafel etc.) Que permet-elle ?
E.R. : D’entrer dans la pensée du public. C’est intime, secret. Ce que j’aime de la voix off, c’est qu’elle te transporte dans un autre monde qui n’est pas nécessairement ou exactement le monde que tu vois dans le film et comment ce monde d’une façon ou d’une autre peut se connecter à ta propre réalité en tant que spectateur.
Plusieurs phrases résonnent encore en moi de ce court métrage, surtout celle-ci : "L’histoire est à nous, l’histoire est à moi". Qu’entendez-vous par là ?
E.R. : En fait j’ai repris le dernier discours de Salvador Allende. Juste avant de mourir, il dit : "L’histoire est à nous et c’est le peuple qui la fait".
En tant qu’artiste, quelle importance revêt l’histoire dans votre œuvre ?
E.R. : L’art en tant qu’art n’est pas quelque chose qui peut donner des réponses. L’art, ce sont des images attachées à des questions. En tant qu’artiste, la recherche de l’histoire est très importante pour pouvoir parler de notre propre idée du monde ou de notre propre point de vue du monde. L’art t’interpelle, il t’ouvre une fenêtre pour que tu puisses regarder et ne te dis pas ce que tu dois faire.
L’histoire, on se l’approprie d’accord, mais l’histoire on la construit tous les jours. Notre génération sort de quelque chose mais rentre aussi dans quelque chose. Quelle histoire construisons-nous ?
E.R. : Chacun de nous construit une histoire indépendante. Cette phrase, "L’histoire est à nous… ", je l’ai écrite pour faire un lien avec Allende mais aussi pour dire que ce qu’on est en train de voir, c’est du cinéma. Dans ce film, plusieurs éléments nous montrent que c’est du cinéma comme la fausse pluie (on voit les citernes à la fin) et cette phrase. Je ne parle pas d’une histoire qui est la vérité, je veux parler de l’envers du décor. D’ailleurs, j’aime beaucoup montrer les décors dans mes films.
Quelle histoire on est en train de construire ? Je me pose la question tous les jours. Et à quoi peut servir l’art aujourd’hui quand il y a des besoins plus importants ? C’est là où je reviens en arrière, je n’ai pas de réponse à ça, j’ai surtout des questions. Et il faudra que je fasse une œuvre qui se pose la question car je ne trouve pas la réponse.
E.R. : D’entrer dans la pensée du public. C’est intime, secret. Ce que j’aime de la voix off, c’est qu’elle te transporte dans un autre monde qui n’est pas nécessairement ou exactement le monde que tu vois dans le film et comment ce monde d’une façon ou d’une autre peut se connecter à ta propre réalité en tant que spectateur.
Plusieurs phrases résonnent encore en moi de ce court métrage, surtout celle-ci : "L’histoire est à nous, l’histoire est à moi". Qu’entendez-vous par là ?
E.R. : En fait j’ai repris le dernier discours de Salvador Allende. Juste avant de mourir, il dit : "L’histoire est à nous et c’est le peuple qui la fait".
En tant qu’artiste, quelle importance revêt l’histoire dans votre œuvre ?
E.R. : L’art en tant qu’art n’est pas quelque chose qui peut donner des réponses. L’art, ce sont des images attachées à des questions. En tant qu’artiste, la recherche de l’histoire est très importante pour pouvoir parler de notre propre idée du monde ou de notre propre point de vue du monde. L’art t’interpelle, il t’ouvre une fenêtre pour que tu puisses regarder et ne te dis pas ce que tu dois faire.
L’histoire, on se l’approprie d’accord, mais l’histoire on la construit tous les jours. Notre génération sort de quelque chose mais rentre aussi dans quelque chose. Quelle histoire construisons-nous ?
E.R. : Chacun de nous construit une histoire indépendante. Cette phrase, "L’histoire est à nous… ", je l’ai écrite pour faire un lien avec Allende mais aussi pour dire que ce qu’on est en train de voir, c’est du cinéma. Dans ce film, plusieurs éléments nous montrent que c’est du cinéma comme la fausse pluie (on voit les citernes à la fin) et cette phrase. Je ne parle pas d’une histoire qui est la vérité, je veux parler de l’envers du décor. D’ailleurs, j’aime beaucoup montrer les décors dans mes films.
Quelle histoire on est en train de construire ? Je me pose la question tous les jours. Et à quoi peut servir l’art aujourd’hui quand il y a des besoins plus importants ? C’est là où je reviens en arrière, je n’ai pas de réponse à ça, j’ai surtout des questions. Et il faudra que je fasse une œuvre qui se pose la question car je ne trouve pas la réponse.
"Toute ma façon de penser est liée à ma façon de travailler."
Vous êtes-vous déjà dit je serais plus utile ailleurs, sur un bateau Greenpeace par exemple ?
E.R. : Je me suis posé plusieurs fois la question mais je sais que j’aime mon travail et que je ne peux pas vivre sans le faire. Toute ma façon de penser est liée à ma façon de travailler. Je suis plus utile à faire mon travail en tant qu’artiste qu’à être sur un bateau Greenpeace. Je me pose souvent la question si ce que je fais a une utilité ? Mais quand je t’entends, je me dis que oui, que ça sert. Que notre travail, d’abord invisible, arrive à changer parfois des points de vue, des idées …
Votre travail est pour moi immensément poétique. C’est quoi pour vous la poésie ?
E.R. : Pour moi la poésie c’est justement les moyens que j’ai pour parler des histoires qui sont souvent très cruelles ou très tristes ou qu’on ne veut plus entendre car on les entend souvent dans les médias. La poésie est le moyen de reparler de cette chose depuis un autre point de vue. Je vais prendre l’exemple des noyés en mer Méditerranée, je préfère écrire quelque chose sur ça que de le montrer car j’ai l’impression que montrer ne sert plus à rien. Par contre écrire, travailler autour de la poésie, est quelque chose qui peut atteindre l’autre de façon bien plus profonde.
Vous parlez souvent de votre œuvre comme poétique et politique. Peut-on délier le poétique du politique ?
E.R. : La politique n’est pas forcément poétique mais le poétique est souvent politique. La poésie est une arme pour moi qui peut être très violente pour parler de problématiques politiques. C’est comme ça que j’essaie de l’utiliser. La poésie qui m’intéresse est souvent politique et très engagée. Un de mes poètes favori est justement le poète chilien Raúl Zurita.
E.R. : Je me suis posé plusieurs fois la question mais je sais que j’aime mon travail et que je ne peux pas vivre sans le faire. Toute ma façon de penser est liée à ma façon de travailler. Je suis plus utile à faire mon travail en tant qu’artiste qu’à être sur un bateau Greenpeace. Je me pose souvent la question si ce que je fais a une utilité ? Mais quand je t’entends, je me dis que oui, que ça sert. Que notre travail, d’abord invisible, arrive à changer parfois des points de vue, des idées …
Votre travail est pour moi immensément poétique. C’est quoi pour vous la poésie ?
E.R. : Pour moi la poésie c’est justement les moyens que j’ai pour parler des histoires qui sont souvent très cruelles ou très tristes ou qu’on ne veut plus entendre car on les entend souvent dans les médias. La poésie est le moyen de reparler de cette chose depuis un autre point de vue. Je vais prendre l’exemple des noyés en mer Méditerranée, je préfère écrire quelque chose sur ça que de le montrer car j’ai l’impression que montrer ne sert plus à rien. Par contre écrire, travailler autour de la poésie, est quelque chose qui peut atteindre l’autre de façon bien plus profonde.
Vous parlez souvent de votre œuvre comme poétique et politique. Peut-on délier le poétique du politique ?
E.R. : La politique n’est pas forcément poétique mais le poétique est souvent politique. La poésie est une arme pour moi qui peut être très violente pour parler de problématiques politiques. C’est comme ça que j’essaie de l’utiliser. La poésie qui m’intéresse est souvent politique et très engagée. Un de mes poètes favori est justement le poète chilien Raúl Zurita.
Nathalie Man est une poétesse, autrice et street-artiste française. Elle affiche ses poèmes dans les rues de France et d’ailleurs depuis 2013. Elle a récemment publié un livre féministe, Le Journal d’Elvire, aux éditions Le bord de l’eau. Pendant le confinement, elle a commencé un roman-photo. Elle incarne Amélie. Son premier roman sortira chez Lanskine à l’automne 2022.