Pablo Agüero, femmes caméra
ALCA et la bibliothèque de Bordeaux organisent ce jeudi 17 janvier une projection-rencontre autour de Madres de los dioses, du réalisateur argentin Pablo Agüero. L’occasion de revenir avec lui sur le thème de la condition féminine, abordé dans le documentaire, et sujet de son prochain film, Akelarre, coproduit par le basque La Fidèle, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et dont l'écriture a été travaillée au Chalet Mauriac.
Madres de los dioses, que vous venez présenter à la bibliothèque de Bordeaux, documente la vie de quatre femmes en Patagonie aux cultes et religions différents, décidant de tout quitter pour construire un temple commun. Comment avez-vous rencontré ces femmes et pourquoi avoir voulu raconter leur histoire ?
Pablo Agüero : J’ai appris que dans la vallée de Patagonie, où j’ai grandi, plus de 60 religions et cultes avaient été recensés. N’étant pas mystique moi-même, j’ai été très intrigué par une telle concentration de croyances. Je me suis dit que cette région isolée était un terrain à la fois idéal et surprenant pour enquêter sur les fondements de la foi. J’ai décidé de me concentrer sur peu de cas, afin de ne pas tomber dans le reportage mais, au contraire, approfondir sur l’intériorité de chaque personne. Après avoir constaté que beaucoup de mères célibataires ou divorcées avaient eu une sorte de révélation mystique, j’ai choisi les quatre qui m’ont semblé les plus captivantes.
Pablo Agüero : J’ai appris que dans la vallée de Patagonie, où j’ai grandi, plus de 60 religions et cultes avaient été recensés. N’étant pas mystique moi-même, j’ai été très intrigué par une telle concentration de croyances. Je me suis dit que cette région isolée était un terrain à la fois idéal et surprenant pour enquêter sur les fondements de la foi. J’ai décidé de me concentrer sur peu de cas, afin de ne pas tomber dans le reportage mais, au contraire, approfondir sur l’intériorité de chaque personne. Après avoir constaté que beaucoup de mères célibataires ou divorcées avaient eu une sorte de révélation mystique, j’ai choisi les quatre qui m’ont semblé les plus captivantes.
"J’ai très tôt senti que la révolution de la féminité serait l’enjeu social du XXIe siècle et que, nous les hommes, avons un rôle essentiel à y jouer."
Votre prochain film, Akelarre, raconte l’enquête au XVIIe siècle d’un juge bordelais sur un groupe de femmes isolées au Pays basque, accusées de sorcellerie. Est-ce un prolongement naturel de votre travail sur Madres de los dioses ?
P.A. : Oui. Je traite la question de la condition féminine depuis l’un de mes premiers courts métrages, tourné en 2004. J’ai très tôt senti que la révolution de la féminité serait l’enjeu social du XXIe siècle et que, nous les hommes, avons un rôle essentiel à y jouer. J’ai poursuivi cette recherche dans mes longs métrages (Salamandra, Eva ne dort pas…). Pourtant, quand j’ai commencé à développer Akelarre, il y a dix ans, la plupart des producteurs trouvaient incompréhensible mon intérêt pour la chasse aux sorcières, dont ils ne voyaient pas de résonance contemporaine. Akelarre a pour sujet la manière dont la superstition a été imposées aux femmes. Un préjugé communément assumé prétend que la superstition a toujours été plus forte chez les gens le plus "simples", les "ruraux" et particulièrement chez les femmes. Celles présentées dans le film avaient un rapport très direct à la nature. C’est le pouvoir monarchique, patriarcal et clérical qui vient leur imposer une conception mystifiée du monde, prétendant que les fils de la réalité sont mus par un Dieu et un Diable. On les accuse de sorcellerie - c’est à dire, de pacte avec le diable - parce qu’on ne peut pas tolérer leur liberté. Aujourd’hui, alors que le film a enfin été écrit et financé, il se trouve soudain dans l’air du temps. Tant mieux.
En matière de réalisation, comment aborde-t-on le passage du documentaire à la fiction pour traiter un thème commun. Cela élargit-il le champ des possibles ?
P.A. : Personnellement, je crois que le documentaire n’existe pas. Notre vie réelle est déjà, souvent, une construction fictionnelle. Comme disait Platon, l’art est la "représentation d’une représentation". Le cinéma, quel qu’il soit, c’est toujours la mise en fiction de la fiction qu’est notre vie. Les femmes que je filme dans Madres de los dioses me montrent et me racontent leur vie telle qu’elles la ressentent. Pas de vérité objective là-dedans. Pour ma "fiction", Akelarre, je me base sur une histoire réelle mais ma principale source est le récit d’un inquisiteur qui lui-même essaie de nous imposer sa vision de la réalité. Pour lui, d’ailleurs, les sorcières, dieu et le diable sont bien réels. Dans ces deux films, je fais alors le même travail : essayer de faire surgir derrière les apparences une autre vérité, plus profonde.
P.A. : Oui. Je traite la question de la condition féminine depuis l’un de mes premiers courts métrages, tourné en 2004. J’ai très tôt senti que la révolution de la féminité serait l’enjeu social du XXIe siècle et que, nous les hommes, avons un rôle essentiel à y jouer. J’ai poursuivi cette recherche dans mes longs métrages (Salamandra, Eva ne dort pas…). Pourtant, quand j’ai commencé à développer Akelarre, il y a dix ans, la plupart des producteurs trouvaient incompréhensible mon intérêt pour la chasse aux sorcières, dont ils ne voyaient pas de résonance contemporaine. Akelarre a pour sujet la manière dont la superstition a été imposées aux femmes. Un préjugé communément assumé prétend que la superstition a toujours été plus forte chez les gens le plus "simples", les "ruraux" et particulièrement chez les femmes. Celles présentées dans le film avaient un rapport très direct à la nature. C’est le pouvoir monarchique, patriarcal et clérical qui vient leur imposer une conception mystifiée du monde, prétendant que les fils de la réalité sont mus par un Dieu et un Diable. On les accuse de sorcellerie - c’est à dire, de pacte avec le diable - parce qu’on ne peut pas tolérer leur liberté. Aujourd’hui, alors que le film a enfin été écrit et financé, il se trouve soudain dans l’air du temps. Tant mieux.
En matière de réalisation, comment aborde-t-on le passage du documentaire à la fiction pour traiter un thème commun. Cela élargit-il le champ des possibles ?
P.A. : Personnellement, je crois que le documentaire n’existe pas. Notre vie réelle est déjà, souvent, une construction fictionnelle. Comme disait Platon, l’art est la "représentation d’une représentation". Le cinéma, quel qu’il soit, c’est toujours la mise en fiction de la fiction qu’est notre vie. Les femmes que je filme dans Madres de los dioses me montrent et me racontent leur vie telle qu’elles la ressentent. Pas de vérité objective là-dedans. Pour ma "fiction", Akelarre, je me base sur une histoire réelle mais ma principale source est le récit d’un inquisiteur qui lui-même essaie de nous imposer sa vision de la réalité. Pour lui, d’ailleurs, les sorcières, dieu et le diable sont bien réels. Dans ces deux films, je fais alors le même travail : essayer de faire surgir derrière les apparences une autre vérité, plus profonde.
"C’est un film très régional et en même temps universel car cette même politique répressive fut exercée à la même époque dans tout le continent."
Dans les deux projets, on retrouve également chez vos personnages féminins l’idée de fonctionner en communauté et de s’affranchir du pouvoir masculin, un thème qui résonne aujourd’hui dans l’actualité. Quel regard portez-vous sur la libération de la parole féminine dans le monde, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles ?
P.A. : Je m’en réjouis, tout en remarquant que, comme dans toutes les révolutions, on bascule parfois dans l’excès et le lynchage. Je pense que la parole des femmes doit continuer à se libérer mais, idéalement, sans tomber dans la violence ou la vulgarité qu’elles veulent combattre. Je ne sais plus quelle écrivaine disait "Que la femme de demain ne devienne pas l’homme d’hier" [l’anthropologue argentine Rita Laura Segato, ndlr].
Akelarre raconte l’histoire de Pierre de Lancre, ce magistrat bordelais chargé d’enquêter sur ces femmes. Il s’agit donc aussi d’un film sur la région et son histoire ?
P.A. : Oui, c’est un film très régional. Et en même temps universel car cette même politique répressive fut exercée à la même époque dans tout le continent, écrasant les identités régionales, la diversité culturelle et les origines païennes de l’Europe.
P.A. : Je m’en réjouis, tout en remarquant que, comme dans toutes les révolutions, on bascule parfois dans l’excès et le lynchage. Je pense que la parole des femmes doit continuer à se libérer mais, idéalement, sans tomber dans la violence ou la vulgarité qu’elles veulent combattre. Je ne sais plus quelle écrivaine disait "Que la femme de demain ne devienne pas l’homme d’hier" [l’anthropologue argentine Rita Laura Segato, ndlr].
Akelarre raconte l’histoire de Pierre de Lancre, ce magistrat bordelais chargé d’enquêter sur ces femmes. Il s’agit donc aussi d’un film sur la région et son histoire ?
P.A. : Oui, c’est un film très régional. Et en même temps universel car cette même politique répressive fut exercée à la même époque dans tout le continent, écrasant les identités régionales, la diversité culturelle et les origines païennes de l’Europe.
Akelarre est produit par Sorkin Films, coproduit par le Breton Tita Productions et La Fidèle, société de production basée dans le Pays basque français.