Au FIBD, Flblb expose les "Voyages de Belzoni"
Le troisième volet de la bande dessinée Voyages en Nubie et en Égypte de Giambattista Belzoni sortira début février aux éditions poitevines Flblb. À cette occasion, le Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, qui avait déjà reconnu les deux premiers tomes en les intégrant à la sélection officielle, y consacre au quartier jeunesse une exposition qui aura lieu de ce jeudi 30 janvier au 4 mars 2020. Les trois auteurs, Grégory Jarry et Nicole Augereau, scénaristes, et Lucie Castel, dessinatrice, en sont les commissaires.
Votre projet gravite autour d'un personnage haut en couleur. Pouvez-vous nous le présenter ?
Grégory Jarry et Nicole Augereau : Giambattista Belzoni est un Italien de Padoue, d'origine modeste, qui fuit son pays à la suite du coup d'État napoléonien de la fin du 18e siècle. Refusant d'être enrôlé dans l'armée française, il part en Angleterre chercher du travail dans l'hydrologie, qui le passionne, et se fait recruter par un cirque pour lequel il crée des fontaines. Mais ce géant de deux mètres rejoint vite l'équipe des saltimbanques du cirque pour tordre des barres de fer. Il gagne sa vie ainsi et épouse Sarah, la femme-girafe du cirque.
Lors d'un déplacement de la troupe au Portugal, il rencontre un émissaire du pacha d’Égypte, qui cherche un ingénieur en hydrologie pour l'irrigation des champs. Le couple décide de le suivre, et ils débarquent en 1815 à Alexandrie. C'est le début de leurs aventures, qui vont les mener peu à peu vers l'égyptologie.
Comment avez-vous découvert ce personnage ?
G.J. et N.A. : Au retour d'un voyage touristique en Égypte, nous avons acheté une anthologie des voyageurs du 19e siècle dans ce pays et y avons découvert les extraits du journal d'un certain Belzoni. Nous avons acheté le texte intégral et ça nous a passionnés. Le projet date d'une quinzaine d'années, en réalité.
Votre bande dessinée a une forte dimension transdisciplinaire. On invoque, au-delà du dessin et de la narration, le collage et le détournement d'images d'archives, l'histoire, mais aussi le genre littéraire du carnet du voyage...
G.J. : Dans la série Petite histoire de la colonisation française que j'ai réalisée avec Otto T, on utilisait déjà les gravures et le collage. Et puis le 19e est la grande époque des gravures, on avait envie d'utiliser ce matériau.
N.A. : Il y a aussi une dimension anthropologique. Il faut savoir que Sarah Belzoni a aussi écrit un journal, qui est intégré à celui de son mari en tant que Notes. Elle s'est beaucoup intéressée à la vie des femmes qu'elle rencontrait là-bas, et c'est un des premiers témoignages anthropologiques sur l'Égypte. D'ailleurs, nous avons découvert que la traduction française de son journal était pleine d'omissions par rapport au texte originel. Le traducteur avait estimé que plusieurs passages sur la vie de ces femmes n'allaient intéresser personne ! J'ai donc travaillé sur le texte original en anglais et réintroduit certains de ces éléments.
Lucie Castel : Sur le côté transdisciplinaire, on a tous eu envie de mettre quelque chose de nous-même. Grégory et Nicole, ce sont leurs voyages. Moi, ça a été le travail sur les gravures. Le fait de retravailler d'autres œuvres est une approche que j'utilise régulièrement dans mon travail.
G.J. : Il est important de garder à l'esprit qu'il s'agit d'une adaptation : il y a donc une dimension morale qui consiste à respecter l'auteur initial, l'esprit de ses écrits, de ses voyages, mais aussi l'époque où on se situe. Il faut beaucoup de documentation. Les dessins de Lucie, par exemple, sont très documentés. C'est seulement après ce travail de documentation qu'on s'est permis de faire des ajouts ou des modifications, comme l'humour ou le parler contemporain des personnages.
N.A. : Ces choix sont importants : c'est ce qui rend les personnages vivants, proches de nous. Par ailleurs, l'humour est une façon de respecter le texte original, qui est lui-même drôle ! Mais les extraits de journaux reproduits dans la bande dessinée sont ceux de Belzoni, parfois mot pour mot.
G.J. : C'est la différence entre un travail documentaire, journalistique, et le travail d'adaptation d'un auteur. Nous avons été très scrupuleux, tout en ajoutant notre "matière" d'auteur.
"[Monter l'exposition] a été comme faire un quatrième livre !"
Vous êtes les commissaires et scénographes de l'exposition montée autour de ce projet. Quel est le propos de l'exposition ?
L.C. : Pour moi, ça a été comme faire un quatrième livre ! Le principe de l'exposition, c'est de se focaliser sur neuf moments-clés des voyages des Belzoni, que nous avons remis en scène sous forme de dioramas, support qui était régulièrement utilisé dans les musées d'histoire naturelle, mais qui revient parfois sur le devant de la scène, dans l'art contemporain notamment. Nous avons mis le livre en volume, en quelque sorte ! Ce sont de grands modules, de deux mètres de long environ, parfois plus, avec des scénettes composées sur trois plans. Des textes commentent la scène, et Grégory et Nicole ont fait parler les personnages secondaires des livres, qui racontent leurs rapports avec les protagonistes. D'autres documents seront exposés en compléments, dont les reproductions de certaines gravures et des illustrations inédites.
N. A. : D'ailleurs, les Belzoni sont devenus célèbres grâce à une exposition qu'ils ont organisée à Londres, au retour de leur voyage, et qui a aussi été accueillie en France. Champollion l'a même visitée !
Vous vous êtes fait accompagner par un égyptologue, Philippe Mainterot, pour la relecture des trois tomes. A-t-il aussi été sollicité pour l'exposition ?
G.J. et N.A. : Oui, l'égyptologue Philippe Mainterot a aussi relu les textes de l'exposition, ainsi qu'un géographe, Maël Crépy. Nous voulions éviter les impairs, sur des choses très concrètes : combien de kilomètres, par exemple, peut-on faire chaque jour à dos de chameau, dans un désert ?
L.C. : … ou bien de quelle façon tombe un chameau épuisé, pour la justesse du dessin !
G.J. : Ce sont deux chercheurs qui ont travaillé sur Belzoni, qui n'est pas connu du grand public en France, car il a travaillé pour le compte du consul britannique, dans un contexte de forte rivalité franco-anglaise. Ils ont donc vu la BD comme un mode de vulgarisation de leur travail. Philippe Mainterot est d'ailleurs quelqu'un qui est venu à l'égyptologie par le biais de la bande dessinée !
Cette BD décrit, avec beaucoup d'humour, la naissance de l'égyptologie, mais aussi et surtout le pillage du patrimoine par l'Occident. Ce parti pris de garder le point de vue de vos personnages, qui ne remettent pas cette activité en question, était risqué…
G.J. : Le parti pris est d'adapter le récit de Belzoni, quoi qu'il dise ! On n'est d'ailleurs pas toujours dupes, et on sait que certains passages du journal peuvent être de mauvaise foi, voire complètement faux. Mais nous respectons son récit.
N.J. : L'égyptologie est une discipline très particulière, qui constitue encore une sorte d'arrangement entre autorités locales et puissances qui peuvent investir. On l'a constaté durant nos voyages. Nous avons vu des chercheurs s'écharper pour savoir quelle délégation avait fait la découverte la plus intéressante ! Quand on fait une découverte majeure en égyptologie, en entre dans l'histoire. Savoir qui accole son nom à une découverte est une question cruciale, qu'on aborde dans la bande dessinée.
Allez-vous réaliser des interventions pendant le festival ?
L.C. : Oui, il y aura plusieurs visites de l'exposition et une rencontre le jeudi 30 janvier à 16h, dans l'auditorium du conservatoire.