Mireille Calmel : "Ce temps de solitude permet de se concentrer sur l'écriture"
Depuis son domicile médocain où elle a vécu ces dernières semaines en famille mais sans pouvoir rencontrer ses très nombreux lecteurs, Mireille Calmel revient avec Prologue sur cette période qu'elle a consacrée à l'écriture. L'auteure du Lit d'Aliénor, publié en 2001 aux éditions XO, maison à laquelle elle est restée fidèle, nous explique aussi les raisons de son profond attachement à la Nouvelle-Aquitaine.
Comment avez-vous vécu ces dernières semaines sans rencontres littéraires, sans échanges réels avec les lecteurs ?
Mireille Calmel : J’ai l’habitude de participer à de nombreux salons et ces rencontres avec les lecteurs constituent une part importante de ma manière de vivre. Ces dernières semaines ont donc été compliquées sur ce plan, d’autant qu’un problème de santé va me priver de ces moments jusqu’en mars 2021. Je reçois néanmoins beaucoup de courriers des lecteurs, j’ai pu échanger par visioconférence et ai posté des vidéos sur Internet pour garder ce contact avec eux. Mais cela ne remplace évidemment pas les rencontres réelles, ce qui me manque déjà presque autant que de ne pas pouvoir voir mes enfants (rires) !
Votre rapport à la lecture et à la création a-t-il changé ?
M.C. : Ce temps de solitude n’est pas pour autant perdu puisqu’il permet aussi de se concentrer sur l’écriture, qui est chez moi un besoin quotidien. Je ne dirais donc pas que le confinement a fondamentalement changé mon rapport à la création. Peut-être a-t-il permis de prendre plus de temps pour écrire, ce qui s’explique aussi par le report de la parution de mon prochain livre, le temps de laisser les libraires respirer et reprendre sereinement leur activité. Les deux tomes de ce prochain livre devraient donc sortir plus tard dans l’année mais avec un moindre intervalle.
Quant à la lecture, ces deux derniers mois m’ont surtout permis de lire de la documentation pour préparer l’écriture du deuxième tome. J’ai pu de temps en temps m’évader de ces recherches en lisant de la littérature contemporaine, par exemple Quand nos souvenirs viendront danser de Virginie Grimaldi (Fayard, 2019) ou le premier roman de mon fils [Anaël Train, ndlr], Les Fils de Roland, qui est un préquel du Lit d’Aliénor. Ces lectures m’offrent un moment de respiration dans mes travaux. La preuve : je viens de reposer Les Catastrophes au Moyen Âge (rires) !
Sur quels projets travaillez-vous ?
M.C. : Mon prochain livre, intitulé La Louve cathare, sortira donc en deux tomes : le premier, dont l’histoire se passe à Paris, en fin d’année ; et le deuxième, dans l’Aude, sans doute au début de l’année 2021.
"Pierre Legein a donné au Lit d’Aliénor les images qui lui manquaient et les visages que j’avais dans la tête."
Je travaille aussi en ce moment sur un projet qui me tient à cœur depuis près de 20 ans, à savoir l’adaptation en bande dessinée du Lit d’Aliénor, dont le premier volume sortira l’année prochaine. J’ai le plaisir de travailler avec le bédéiste belge Pierre Legein, qui a un trait extrêmement précis et dont les dessins fourmillent de détails, permettant aux lecteurs de s’immerger dans l’histoire. Pierre Legein a donné au Lit d’Aliénor les images qui lui manquaient et les visages que j’avais dans la tête.
Vous vivez en Nouvelle-Aquitaine depuis près de 35 ans et votre œuvre s’intéresse à Aliénor d’Aquitaine. Quel est votre rapport à cette région ?
M.C. : J’ai quitté le Midi en 1985 et je vis depuis en Nouvelle-Aquitaine. Le jour où je suis arrivée dans cette région, et précisément à Blaye, j’ai eu le sentiment de rentrer chez moi. C’est une histoire d’amour, de racines, que j’entretiens avec cette terre. Quand je suis partie de Blaye, où j’ai écrit Le Lit d’Aliénor, pour m'installer à Grayan, dans le Médoc, je ne connaissais pas l’histoire de cette commune. Et j’ai découvert qu’Aliénor avait accouché d’un de ses fils à 150 mètres de chez moi et qu’à deux kilomètres se trouvait le port où elle allait embarquer pour l’Angleterre… Quoique je fasse, je reviens toujours à cette histoire !
"En retrouvant presque les marques d’Aliénor, notamment à Poitiers, ou les pas de Richard Cœur de Lion en Limousin, la Nouvelle-Aquitaine a pris selon moi encore plus de sens."
Mon rapport au territoire et à ses institutions, notamment avec Alain Rousset et Patrick Volpilhac, qui m’ont soutenue dès le premier jour quand je leur demandais d’accompagner mon manuscrit, est extrêmement fort. En retrouvant presque les marques d’Aliénor, notamment à Poitiers, ou les pas de Richard Cœur de Lion en Limousin, la Nouvelle-Aquitaine a pris selon moi encore plus de sens.
Comment appréhendez-vous les discussions autour des conditions des auteurs, déjà difficiles bien avant la crise sanitaire ?
M.C. : Je sais la situation compliquée et je suis solidaire de tous les mouvements défendant de meilleures conditions pour les auteurs. Pour ma part, j’ai la chance de vivre de mon écriture et de disposer d’un volant de lecteurs suffisant pour me permettre de vivre. Le report de parution de mes prochains titres n’aura pas d’incidence financière au regard des rapports que j’entretiens avec mon éditeur. Mais il est clair que beaucoup de mes amis n’ont pas cette chance d’être chez un éditeur aussi proche de ses auteurs.
Il y a chez certains éditeurs une forme de quête du lectorat que je trouve assez délirante, où l’on fait finalement de la suroffre pour avoir du fonds, ce qui fragilise tout le système. Cette fragilisation est préoccupante parce qu’elle concerne les auteurs mais aussi les libraires indépendants, des petits éditeurs… toute la chaîne du livre est touchée et la crise sanitaire risque malheureusement d’accentuer cette instabilité.