L’été indien du Festival du cinéma de Brive : 2020, une édition de résistance !
La 17e édition du Festival du cinéma de Brive aura bien lieu cette année, du 28 au 30 août, en simultané à Brive et à Paris. Rencontre avec Giulio Casadei, son nouveau délégué général, critique de cinéma et programmateur pour plusieurs festivals en France et en Italie.
Comment le cinéma est-il venu à vous ?
Giulio Casadei : À l’adolescence, comme un coup de foudre énorme qui a ensuite accompagné toute ma vie. Pas un refuge censé me protéger des blessures de l’existence, mais au contraire le lieu de tous les possibles, qui nous fait embrasser des milliers de vies possibles, notamment dans la comédie musicale que j’aime énormément, où tout repose sur la croyance demandée au spectateur. Mes goûts n’ont pas de frontières, j’aime beaucoup Carpenter et Bresson, Rohmer et Pasolini... Surtout les films qui me mettent en question, parfois un peu fragiles, pas forcément aboutis, mais qui ont quelque chose de vivant. Je n’aime pas les systèmes parfaits, les mises en scène trop autoritaires. Le cinéma est pour moi le lieu de la liberté. Et j’aime énormément la dimension communautaire des festivals. Je n’ai manqué aucune édition de celui de Venise depuis ma première fois, à 16 ans, alors que j’ignorais qu’il était interdit aux mineurs !
Qu’est-ce qui vous plaît dans le travail de programmation ?
G.C. : C’est une grande responsabilité qui demande temps et sacrifices (600 films vus cette année pour la compétition), mais j’adore ce moment : un vrai geste de création qui ne se borne pas à choisir des films mais qui consiste à composer une vision - une certaine idée du cinéma et du monde - et à reconnaître, dans la diversité, des qualités qui dépassent tes goûts personnels. Les spectateurs ne viennent pas voir tes favoris, mais plutôt le résultat d’une recherche, une architecture cohérente et ouverte. J’aime particulièrement le visionnage pour la compétition : des films très « indé », de réalisateurs souvent peu identifiés, face auxquels je me sens complètement vierge. J’aime être surpris par les images. Ce sentiment de pureté très excitant me rappelle mon rapport de jeune cinéphile au cinéma. Un état d’esprit que j’essaie de garder, à la fois comme spectateur et comme professionnel.
Et au moment du festival ?
G.C. : Nous avons d’abord une grande responsabilité envers les cinéastes et les producteurs. Choisir un film pour un festival, c’est le point de départ décisif d’un destin qui ne fait que commencer. Un festival doit aussi être un lieu ouvert où chaque spectateur peut se sentir à l’aise, prendre la parole, se confronter aux avis des autres, sans hiérarchie. S’adresser aux cinéastes dans la salle, mais aussi après la séance, autour d’un verre, hors de la vie quotidienne. Le festival déborde les murs de la salle, c’est une expérience très physique, à la fois culturelle et politique, la création d’un territoire et d’une communauté, un "laboratoire de démocratie". Le rapport aux spectateurs m’importe dès l’intention de programmation, à vrai dire. Je ne crée pas une sélection selon les goûts présumés d’un public, mais comme un espace où chacun peut entrer et faire des découvertes, pas seulement une niche de convaincus. Je déteste l’élitisme. Les films de cette année sont très exigeants, mais peuvent, à mon avis, parler à tous. Si l’on arrive à susciter curiosité, plaisir et intérêt chez des spectateurs non conquis d’avance, on a tout gagné.
"Nous recevrons aussi Sébastien Betbeder, Pascal Cervo, Marie Losier, et d’autres cinéastes qui feront leurs premiers pas à Brive, dont Leslie Lagier et Daouda Diakhaté pour leurs 2 films liés à la région."
Cette année, la situation sanitaire vous a contraints à faire des coupes franches dans votre programmation avec 23 films au lieu de 60…
G.C. : Oui, c’est très frustrant. Nous avions vraiment construit un ensemble dont je rêve de parler depuis 5 mois ! Voici donc, en bref, les 5 pans annulés cette année - que vous pourrez très certainement découvrir pour l’édition 2021 : un hommage au cinéma américain du pré-code en 5 chefs-d’œuvre, dont 3 inédits en France, une mini-série italienne des années 80 jamais diffusée en France (comédie surréaliste de Sergio Citti, à la fois drôle et politique, avec Roberto Benigni), 2 documentaires politiques d’Omar Amiralay (figure majeure de la nouvelle vague syrienne des années 70), et deux hommages à Shinya Tsukamoto (sorte de Cronenberg japonais, maître du "cyberpunk") et Yu Lik-Wai (cinéaste hongkongais, connu surtout comme directeur de la photographie de Jia Zhangke).
Parlez-nous des films et invités que l’on aura la chance de découvrir cette année…
G.C. : Chacun à leur manière, les 20 films de la compétition internationale interrogent le monde et bousculent les limites du réel, en retravaillant les formes et les codes des genres (comédie musicale, thriller, documentaire, essai, film fantastique…). Conçue comme un tout, cette sélection mérite vraiment d’être vue en intégralité. Nous aurons le grand plaisir d’accueillir Diane Baratier et Françoise Etchegaray, deux collaboratrices historiques de Rohmer, pour un hommage au cinéaste avec un film qui concentre tout son art - le langage, la séduction, la ville. Nous recevrons aussi Sébastien Betbeder, Pascal Cervo, Marie Losier, et d’autres cinéastes qui feront leurs premiers pas à Brive, dont Leslie Lagier et Daouda Diakhaté pour leurs 2 films liés à la région. À souligner cette année : 12 films sur 20 sont réalisés par des femmes. Pourcentage extraordinaire, non pas issu d’un volontarisme arithmétique, mais reflet d’une évolution plus large qui témoigne de la vitalité de toute une génération de réalisatrices qui porte l’avenir du cinéma.
Vous rejoignez donc l’équipe du festival de Brive pour cette 17e édition. Quelles sont vos envies pour la suite ?
G.C. : Développer la dimension internationale du festival. D’abord française, puis européenne, la compétition s’est véritablement ouverte aux cinémas du monde depuis 2 ans seulement. Cette année déjà, au total, 1 film sur 2 vient d’autres pays, et 5 cinéastes étrangers seront présents - extraordinaire dans le contexte actuel. Nous tâchons aussi de faire circuler à l’étranger les films de la compétition et espérons accueillir un public de plus en plus international. Cela dit, tout ceci n’a de sens que si l’on cultive aussi un lien fort avec publics et acteurs culturels de la région (comme le partenariat avec la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine pour le film d’ouverture - un film très rare de Claude Chabrol - que l’on verra donc… pour l’édition 2021).
"Coup de chapeau aussi à la SRF qui a soutenu nos choix pendant ces mois d’incertitudes, et au cinéma Rex qui nous accueille avec ce calendrier bouleversé."
Quels sont pour vous les enjeux et lignes de force du moyen métrage ?
G.C. : Format hors normes par excellence, c’est celui de la liberté. Les sélections de Brive traduisent bien cette vitalité. Avec beaucoup moins de possibilités d’exploitation commerciale que le court et le long métrage, il demande un engagement fort. Le festival est un tremplin qui donne accès à une visibilité très rare. Nous souhaitons favoriser cette diffusion au-delà du temps du festival, au travers d’événements ponctuels, notamment dans les salles de la région. La présence d’un jury composé de distributeurs, puis la reprise des films primés que nous développons hors les murs1 contribuent déjà à renforcer cette visibilité. Sans oublier les actions de soutien à la production pour le développement des nouveaux projets2.
Ce report exceptionnel fin août compromet-il votre travail habituel avec les établissements scolaires ?
G.C. : Oui, pas d’accueil de classes cette année, mais le jury jeune, qui nous tient vraiment à cœur, sera bien présent pour voir les films et délibérer au même titre que le jury adulte qui nous fait l’honneur d’être présent.
Avez-vous le trac pour cette édition particulière ?
G.C. : Notre choix de reporter 2 fois le festival, finalement retardé de plus de 4 mois, représente en tout cas une prise de risque énorme ! Pour défendre et accompagner les films, et pour garder contact avec le public de Brive, nous ne voulions pas d’une édition virtuelle. Contrairement à la plupart des festivals touchés depuis mars, nous avons tenu bon. Je vois cette édition, plus que jamais, comme une édition de résistance, accompagnée par nos partenaires et par l’équipe du festival qui a fait preuve d’une endurance considérable et que je remercie immensément. Coup de chapeau aussi à la SRF3 qui a soutenu nos choix pendant ces mois d’incertitudes, et au cinéma Rex qui nous accueille avec ce calendrier bouleversé. Pour la première fois dans l’histoire du festival, l’édition est donc resserrée sur 3 jours, presque essentiellement autour de la compétition, mais elle aura bien lieu. Il est plus que jamais nécessaire de défendre la salle de cinéma comme un véritable avant-poste culturel.