Un aller-retour dans le noir, vaille que vaille !
La prochaine édition du festival Un aller-retour dans le noir, à Pau, aura lieu du 2 au 4 octobre prochains. Stéphane Laborde, trésorier de l’association et coorganisateur du festival, témoigne pour Prologue d’un optimisme sans bornes et de la détermination de toute l’équipe à créer – dans la vraie vie – la rencontre entre les auteurs de polar et de littérature noire et leur public.
Dans un texte publié sur votre site, vous évoquez la pandémie actuelle et toutes les autres : "pauvreté, dégradation climatique, corruption, racisme". Dans ce contexte assez sombre, était-ce, plus que jamais, une nécessité de maintenir le salon ?
Stéphane Laborde : Tout à fait. C’est une nécessité pour nous et c’est un acte militant. Il faut que le salon ait lieu. On aura peut-être une interdiction préfectorale mais, pour nous, la volonté est de maintenir la manifestation pour que les auteurs et les scolaires puissent se rencontrer, que les choses continuent, qu’elles avancent.
Qu’entendez-vous exactement par acte militant ?
S.L. : Il s’agit d’une résistance au défaitisme. On veut dire que le monde continue à tourner, qu’on est là, et qu’on va continuer à tourner avec lui.
Quelles adaptations avez-vous prévues pour accueillir le public lors cette édition spéciale ?
S.L. : Dès le mois de mars, avons proposé à l’agglomération paloise et à la Ville de Pau d’organiser le salon différemment. Normalement, il y a les allers-retours d’auteurs avec leur public en funiculaire, l’emblème du salon. Cette année, les auteurs seront seuls, filmés et les vidéos diffusées dans la demi-heure sur notre page Facebook. Au pavillon des Arts, nous organiserons les débats et les auteurs seront installés au niveau du départ du funiculaire pour assurer les dédicaces, dans des chalets qui nous ont été proposés par la municipalité. On y trouvera aussi un barnum pour la vente des livres.
"C’est très important que les scolaires puissent rencontrer des auteurs, débattre, échanger en vrai avec eux, se rendre compte qu’un auteur est présent, jeune, dynamique, que ce n’est pas un vieux trop décalé."
Des rencontres ont lieu toute cette semaine sur l’agglomération paloise, avant le lancement officiel du festival, avec les médiathèques, les bibliothèques, les établissements scolaires, les prisons, les classes… Le polar s’adapte-t-il mieux aux villes moyennes, comme le laisse entendre votre parrain, Nicolas Mathieu ?
S.L. : Je ne sais pas si le polar s’adapte mieux aux villes moyennes, mais le polar s’adapte bien à Pau ! Dès la première année – nous en sommes à la douzième édition –, le public est venu en nombre. J’ai vu beaucoup de salons, à Paris notamment, et c’est vrai qu’il y a une telle profusion d’offre culturelle que les gens ne se déplacent pas. À Pau, la proximité fait que les gens se déplacent. J’espère que ce sera le cas cette année encore. Quant aux rencontres sur le territoire, elles auront bien lieu. Cette année, cinquante-huit classes sont concernées et nous en sommes très fiers. C’est très important que les scolaires puissent rencontrer des auteurs, débattre, échanger en vrai avec eux, se rendre compte qu’un auteur est présent, jeune, dynamique, que ce n’est pas un vieux trop décalé.
La programmation 2020 fait, comme d’habitude, la part belle aux auteurs français et étrangers. Pourront-ils tous être présents ?
S.L. : Malheureusement non. En temps normal, on tourne autour de trente auteurs pour qu’on puisse bien s’occuper d’eux et qu’ils puissent rencontrer leur public. Cette année nous accueillons vingt-trois auteurs. Dès le mois de février, nous avons annulé la venue de tous les auteurs du continent américain : un Argentin, deux Mexicains, trois Américains et deux Canadiens. Nous avons pris la décision de nous concentrer sur l’Europe et la France. Nous enregistrons quelques défections depuis quelques jours. Un auteur devait venir de Moscou, mais il a été obligé d’annuler parce qu’il a subi un isolement de trois semaines après un passage en France ; certains auteurs anglais font face au même problème ; une auteure polynésienne, Titaua Peu, a annulé parce qu’elle a la Covid ; un auteur israélien, lui, est confiné à Tel-Aviv parce que le pays a reconfiné… Au final, la difficulté est de convaincre les auteurs étrangers que tout ira bien. Ce ne sont pas nécessairement les échos qu’ils ont dans leur pays.
Quels sont les temps-forts de cette édition spéciale ?
S.L. : Toutes les rencontres en médiathèque et bibliothèque sont importantes, avec des pointures comme, par exemple, Sébastien Rutés. Ces rencontres permettent aux auteurs d’aller dans des petits villages de l’agglomération et même plus loin : nous allons à Hendaye, Arudy, Saint-Pée-sur-Nivelle… Laurent Petitmangin, notamment, qui signe un des titres forts de cette rentrée littéraire1, participe à deux rencontres dans des médiathèques implantées dans des villages. C’est très valorisant pour nous, pour la bibliothèque qui nous accueille et pour l’auteur. Ce sont des rencontres fortes avec un public qui est heureux qu’on prenne en compte le village où il habite. Nous organisons aussi une randonnée polar, avec Colin Niel, l’auteur de Entre fauves aux éditions du Rouergue, qui panache la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, en vallée d’Ossau, et la chasse des grands fauves en Namibie. Sujet polémique pour nous ! On peut également faire mention d’une rencontre à la médiathèque d’Aire-sur-Adour avec Marcus Malte, auteur de Le Garçon, qui a mis en musique sa lecture, ou encore deux lectures de nouvelles sur Art Pepper, faites par Dominique Delahaye et Anne Dutilloy, dans les halles de Pau et dans une chapelle à côté du Conservatoire de musique. Il y aura plusieurs événements disséminés dans la ville et les villes attenantes.
"On travaille souvent avec d'autres salons toute l’année : pour la programmation ou des conseils de lecture. Ça nous permet d’alimenter notre plateau d’auteurs et notre réflexion."
Votre réseau s’appuie sur de nombreux salons partenaires. Comment travaillez-vous avec eux ?
S.L. : On a pris contact depuis longtemps avec d’autres salons : Quai du Polar à Lyon depuis neuf ans et d’autres à Niort, Toulouse, Gradignan… On travaille souvent toute l’année ensemble : pour la programmation ou des conseils de lecture. Ça nous permet d’alimenter notre plateau d’auteurs et notre réflexion. Cette année, nous avions un partenariat avec le Salon America, qui a lieu une semaine avant nous, tous les deux ans, à Vincennes. America est un énorme salon ; c’est une vraie plus-value pour nous. Ce type de partenariat est important pour nous permettre de faire venir des auteurs que, seuls, nous n’aurions pas pu inviter. Si l’auteur peut faire America, Un aller-retour dans le noir et Lire en poche ensuite, c’est parfait. Et, entre les salons, on essaie de lui organiser des rencontres dans toute la région. C’est génial pour les auteurs et pour les lecteurs.
Un mot sur le parrain de cette année, Nicolas Mathieu ?
S.L. : Nous le connaissons depuis longtemps. On avait beaucoup aimé son premier ouvrage, Aux Animaux la guerre, chez Actes Sud. Il est très militant. Son avant-propos sur le festival est à l’image de ce qu’il est. Il écrit bien ; il a eu le prix Goncourt, bien entendu. On n’est pas sur du polar avec son dernier roman, mais vraiment sur de la littérature noire, sociétale, et c’est ça qui nous plaît : quelle est la vision d’un auteur vivant sur nos problématiques contemporaines ?
Au sujet du festival, il a écrit : "Un aller-retour dans le noir a tout ça, la bonne ville : PAU, les auteurs, le public, plus un funiculaire. C’est dire si c’est un salon qui vaut le coup." Quelque chose à ajouter ?
S.L. : Je pense aussi que ça vaut le coup ! Je crois qu’il faut venir pour rencontrer tous ces auteurs. Entre autres, Hanelore Kayre, Gildas Guyot, Jérôme Leroy, Frédéric Paulin, mais aussi trois bédéistes, Pierre-Henry Gomont, Greg Blondin et Rodolphe Lupano… Il y a plein de gens magnifiques et très différents qui seront là pour parler de leurs écrits. C’est le rapport humain qui est essentiel. Venir les rencontrer, c’est important.
1Ce qu’il faut de nuit, La Manufacture de livres, 2020.