"27", le court métrage multi-lauréat de Flóra Anna Buda
Flóra Anna Buda est réalisatrice de courts métrages. Originaire de Budapest, elle fréquente les meilleures écoles et termine sa formation aux Gobelins à Paris, suite à quoi elle s'installe définitivement en France. La cinéaste revient pour nous sur son film 27, qui vient de décrocher successivement la Palme d’Or du court métrage au Festival de Cannes et le Cristal du court métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy.
Votre personnage Alice est en recherche de liberté, entre réalité et fantasme, à la limite de l’âge adulte. Pouvez-vous nous décrire ce qu’elle traverse ?
Flóra Anna Buda : C’est une histoire inspirée de mon propre vécu. J’ai quitté la maison de mes parents à 27 ans. Vivre chez ses parents à cet âge est une expérience complexe. Beaucoup de jeunes gens en Europe de l’Est et ailleurs sont dans cette même situation où il est difficile de trouver un travail suffisamment rémunéré pour pouvoir assumer un loyer après l’université. Ils se retrouvent coincés à la maison, remplis de frustration. Ils ont très envie de commencer leur vie d’adulte, fonder une famille, construire leur foyer, mais ne le peuvent pas. Alice est dans cet état d’esprit, avec une faible estime d’elle-même. Elle est prise dans un cercle infernal où elle pense qu’elle ne pourra pas déménager de chez ses parents et débuter sa propre vie d’adulte.
Et elle fera un choix, pour aller vers une certaine forme d’évasion, pouvez-vous détailler ceci ?
F.A.B : Oui, elle commence un voyage onirique qui la fera sortir de sa propre tête pour réaliser qu’elle peut obtenir le futur qu’elle désire. Elle a le sentiment qu’elle ne peut pas fuir la réalité. Elle utilise son imagination pour retrouver un sentiment de liberté, à travers les fêtes, la drogue, les amis. Je me suis seulement attachée à représenter une image réaliste du sentiment éprouvé, à la frontière entre l’adolescence et l’âge adulte, en me concentrant sur ce sujet, abordé de tous les angles possibles. La conclusion reste ouverte.
Comment s’est effectuée la rencontre avec vos producteurs, la société Miyu en France et Boddah en Hongrie ?
F.A.B : En 2018 j’étais stagiaire à Valence sur le film Symbiosis de Nadja Andrasev, une autrice hongroise, produit par Miyu Productions. En parallèle, je finissais mon film de fin d’études, Entropia. Osman Cerfon, réalisateur chez Miyu, m’avait laissé les clés pour que je puisse venir travailler le week-end. Comme il était curieux de mon travail, je lui ai montré mon film. Il a bien aimé et l’a envoyé à Emmanuel-Alain Raynal et Pierre Baussaron, les producteurs de Miyu. Ils m’ont demandé si je travaillais sur un prochain projet et c’est ainsi que les choses se sont enclenchées, avant que Boddah ne rejoigne le projet un an plus tard. J’ai beaucoup de chance de travailler avec Miyu et Boddah, je n’aurais pas pu rêver mieux.
27 a été soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Charente, avec des travaux de fabrication au studio Miyu à Angoulême. Comment s’est déroulée cette collaboration et comment avez-vous vécu ce soutien, qui est certainement différent de ce qui se fait en Hongrie ?
F.A.B : Je suis venue à Angoulême pour travailler sur le compositing. En tant qu’Hongroise, je trouve le soutien aux films et à la culture en général en France magique. Le fonds de soutien hongrois est très politisé, et c’est sans surprise que ce film n’a pas été soutenu là-bas. Je suis très reconnaissante envers les fonds de soutien français (de Ciclic, de la Région Nouvelle-Aquitaine et du département de la Charente et du CNC) qui ont cru en ce projet. Cela nous a donné la confiance et l’énergie, une fois le budget réuni, d’envisager la production.
Votre précédent film, Entropia, a remporté le Teddy du court métrage. 27 a été récompensé de la Palme d’Or du court-métrage à Cannes cette année et le Cristal du court métrage au festival d’animation d’Annecy. Pouvez-vous nous raconter ce que ces marques de reconnaissance représentent pour vous ?
F.A.B : J’ai encore l’impression que c’était hier et n’ai pas encore totalement réalisé. C’était beau, fantastique, euphorisant. Ces trois années de travail acharné de toute l’équipe se sont mis à faire sens. Cumuler les deux récompenses d’un coup, ce n’était jamais arrivé à un film d’animation, et cela fait dix ans qu’un court métrage d’animation n’avait pas eu la Palme d’Or à Cannes. À Annecy, plus de membres de l’équipe étaient présents, et nous avons pu monter sur scène tous ensemble – ce qui était très intense étant donné que le film a été réalisé pendant le Covid, avec beaucoup de télétravail. L’animation est vraiment le résultat d’un travail d’équipe sans laquelle le film n’existerait pas. Après Cannes, il y a également eu l’avant-première hongroise à un festival où le film a aussi été récompensé, cela a aussi été l’occasion de célébrer avec l’équipe et d’apprendre à mieux se connaitre.
Suite à ces prix, avez-vous eu des retours de personnes qui ont apprécié que les sujets traités dans le film bénéficient d'une telle exposition ?
F.A.B : Depuis que le film est plus visible, j’ai parlé avec de nombreuses personnes qui m’ont dit que cela résonnait avec leur sentiment. Pas seulement pour de jeunes adultes de classe moyenne, mais aussi pour des gens qui se sentent coincés dans leur vie. En Hongrie, le sujet de la sexualité est tabou, et la propagande du gouvernement interdit de parler de ce sujet de société qui concerne pourtant beaucoup de personnes. Cela permet de lancer une nouvelle conversation et de libérer la parole de manière intergénérationelle, que ce soit sur l’éducation sexuelle ou les conséquences des problèmes économiques. C'est très gratifiant.