"Accès direct à la plage", deux premières fois
La maison d'édition bordelaise Finitude publie ce printemps le roman qui lança la carrière de l'auteur Jean-Philippe Blondel, Accès direct à la plage. Issu du catalogue des éditions Delphine Montalant et paru pour la première fois en 2003, ce premier roman a gardé la fraîcheur et l'intemporalité de ses thèmes : les vacances en famille, la plage, le voisinage saisonnier. Et toutes les histoires en découlent, pour une semaine ou pour une vie.
C'est une fresque, ou plutôt, un puzzle que l'auteur nous invite à reconstituer. Les personnages et focalisations changent à chaque chapitre, donnant au roman des airs de recueil de nouvelles, du moins au début. Car plus on avance dans ces locations estivales et les récits qu'elles charrient, plus on comprend : les personnages sont tous liés. Liés d'abord par le calendrier et les saisons, qui veulent qu'au mois d'août, la majorité des familles françaises s'exilent quelques semaines sur les côtes hexagonales, et en l'occurrence, landaises. Ce calendrier qui fait se mélanger sur un bout de plage des ménages adultérins et de mystérieux célibataires, les enfants du Club Mickey et les fils uniques qui n'ont que les coquillages pour jouer. Des destins éloignés et des classes sociales différentes que l'on va apprendre à connaître en pénétrant leurs intimités, révélant les points communs et interactions indirectes entre toutes ces entités.
Jean-Philippe Blondel s'amuse à perdre son lecteur, à le ferrer avec un suspense sur lequel il ne reviendra que bien plus tard. Il change d'époques, de plages, de familles, de ton. Il donne le tournis. Surtout, l'auteur se plaît à détruire l'image d'Épinal des vacances à la mer, souvent associée à l'idée même du bonheur familiale ou amoureux, des premières fois, du repos mérité après l'année de labeur. Avec Accès direct à la plage, nous en sommes loin. La violence des discours intérieurs des protagonistes arrache le décor carton-pâte des barbecues joviaux et des fratries unies, partageant une glace sous un parasol. Sans pitié ni concession, l'auteur laisse ses personnages exprimer sans filtres leurs regards sur leur père, leur mari, leur sœur ou l'inconnue du 2e étage. Bien que cadencé et jamais bavard, le flux continu dans lequel nous entraîne l'auteur n'empêche ni l'attachement, ni l'identification. Le jeune Philippe Avril, qui ouvre l'œuvre par ses vacances à Capbreton, créé un lien immédiat avec le lecteur. Touchant et solitaire, il raconte ses heures oisives dans les vagues, à rêver du Club Mickey, objet de fantasme absolu pour celui qui en est privé. Le personnage de Maud, la logeuse, apporte quelques touches de Barbary Lane par l'évocation lointaine d'Anna Madrigal (les lecteurs des Chroniques de San Francisco comprendront). Californie, côte Basque ou Bretagne, les vacances à la mer portent toutes des espoirs déçus et des rencontres inattendues. Le paysage change, mais la nature humaine est constante, nous murmure l'auteur.
Rassembleur et intime, Accès direct à la plage offre une fenêtre réflexive sur la parenthèse collective que constituent les vacances d'été. Le texte est agrémenté de deux postfaces, réédition oblige. C'est aussi rare qu'amusant de lire la postface de l'écrivain tout juste édité et celle de l'auteur expérimenté, de vingt ans son aîné, aux préoccupations nouvelles. On remercie Finitude d'avoir sauvé ce texte de l'oubli et on s'empresse de le mettre dans son sac, de plage, évidemment.
Accès direct à la page, de Jean-Philippe Blondel
Finitude, 2023
978-2-36339-187-2