Sophie Marvaud : un sujet, trois narrations
L'autrice néo-aquitaine Sophie Marvaud a passé deux mois – septembre et octobre 2023 – en résidence à Wiesbaden, dans le Land de Hesse (Allemagne), grâce à un partenariat entre ALCA et le Hessischer LiteraturRAT (Conseil de littérature hessois), dans le cadre des accords de coopération entre la Région Nouvelle-Aquitaine et le Land Hesse. Le sourire aux lèvres et les yeux pétillants, Sophie évoque son séjour Outre-Rhin. Séjour qui s’est avéré être une belle expérience, riche en rencontres humaines, en découvertes socio-culturelles et historiques – et qui surtout a permis à son projet d’écriture d’avancer à grands pas.
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Peux-tu décrire ton projet en quelques phrases ?
Sophie Morvand : Les 9 anneaux du Nil est un roman graphique documentaire. Il raconte deux aventures extraordinaires qui se répondent, l’une contemporaine, l’autre historique. Intrigué par une bague mystérieuse, achetée pour un prix modique lors d’une vente aux enchères, le français Jérôme G. reconstitue peu à peu l’histoire des 9 anneaux de Richard Lepsius, à l’aide d’internautes passionnés, ainsi que des responsables des musées d’Égyptologie de Berlin et Hanovre. Richard Lepsius est le grand égyptologue allemand qui a dirigé la périlleuse expédition scientifique internationale de 1842-45 en Égypte et au Soudan, sur fond de construction de l’unité allemande et de rivalité avec la France. Il est considéré aujourd’hui comme le second père de l’égyptologie, à égalité avec Champollion.
C’est donc une histoire franco-allemande. C’est pour cela que tu as postulé pour une résidence en Allemagne ?
S.M : Oui. J’ai voulu saisir l’opportunité de faire des recherches en Allemagne et de me plonger dans l’écriture de cette histoire grâce à une bourse. Jusque-là, je n’avais effectué qu’une seule résidence d’écriture. C’était au Chalet Mauriac, il y a une dizaine d’années. J’étais venue en tant que romancière pour la jeunesse et j’ai rencontré une scénariste. Nos échanges m’ont donné l’idée de me former à l’écriture de scénario. Depuis, je suis devenue scénariste. Il est possible que ma résidence à Wiesbaden marque également une nouvelle étape dans ma carrière d’autrice.
Le projet initial a-t-il connu des modifications dues à ton séjour ?
S.M : Beaucoup ! Sur place, j’ai pu me plonger dans la documentation disponible dans les archives des musées et des universités allemandes, qui est considérable. Et exceptionnelle parce qu’elle rassemble à la fois des témoignages écrits et visuels de l’aventure de Lepsius. Cette histoire vraie m’a semblé de plus en plus extraordinaire...
Et puis j’ai été contactée par des producteurs français, qui avaient entendu parler de mon travail. Ils voulaient que je réalise un documentaire sur le même sujet pour une grande chaîne publique, dans le cadre d’un partenariat européen. Enfin, mon éditrice serait intéressée par un roman policier historique.
Donc, à présent, ce n’est plus un, mais trois projets, à partir du même sujet mais avec trois narrations très différentes. Dans le documentaire, on doit raconter l’histoire à partir de ce qu’on peut montrer aujourd’hui : les lieux, les objets, les personnes réelles. C’est très contraignant. Dans le roman graphique, on peut tout raconter. Ce n’est, ni plus cher, ni plus compliqué, de présenter les péripéties pour lesquelles nous n’avons que des récits écrits, que celles pour lesquelles nous avons à la fois des images, des objets et des scientifiques spécialisés. Quant au roman policier, il va me permettre de présenter mes propres hypothèses, face aux passionnants mystères qui subsistent.
Outre tes recherches sur la documentation, tu voulais profiter de ton séjour pour trouver un dessinateur allemand. Pourquoi ce choix et comment as-tu procédé ?
S.M : Dans mon esprit, il était clair que cette histoire franco-allemande méritait un illustrateur allemand puisque je suis une scénariste française. Je savais que la situation de la BD en Allemagne et en France étaient différentes mais je ne me doutais pas à quel point ! Je l’ai compris dans la plus grande librairie de Wiesbaden. Le rayon BD contenait … 4 titres ! Un Astérix, deux mangas, un comics américain. En France, la bande dessinée est désormais considérée comme un art à part entière. Toutes les formes et thématiques peuvent coexister. C’est un héritage précieux de l’école Franco-belge. Ou plutôt… Belgo-française !
Au fil de mon séjour, j’ai compris que la réalité économique de la BD allemande était tout à fait différente. Les étudiants se forment dans un cursus intitulé "communication graphique", ce qui annonce un aspect utilitaire plus que créatif. Pour explorer la BD allemande, j’ai demandé un maximum de références à la Maison de la Littérature du Land de Hesse, aux Instituts français, ainsi qu’à tous mes autres interlocuteurs rencontrés autour de mes romans. J’ai mis du temps à trouver un dessinateur qui corresponde à la vision que j’avais d’un album d’aventure, précis historiquement et d’une beauté qui fasse rêver. Quelle joie de découvrir enfin le travail de Moritz von Wolzogen ! Il appartient à cette nouvelle génération de bédéistes allemands qui connaît les BD du monde entier. Il s’est formé en Allemagne, en Scandinavie et en France. Le projet lui a plu et nous avons tout de suite commencé à travailler ensemble. J’écris le scénario et il réalise les planches. Nous avons intéressé un excellent éditeur français…
Et as-tu pu voyager en Allemagne ?
S.M : Tout à fait. Il fallait que j’aille voir sur place les objets et les archives des départements d’égyptologie des musées allemands. Le plus important est bien sûr le Neues Museum à Berlin. C’est l’un des trois plus grands musées d’égyptologie en Europe, avec le Louvre et le British Museum. Le Musée August Kestner de Hanovre était également très important pour traiter mon sujet. Partout, j’ai reçu un excellent accueil de la part des scientifiques. En voyageant, j’ai découvert les petites villes allemandes et les milieux sociaux les plus variés. Je trouve qu’il fait bon vivre en Allemagne. Mais j’ai surtout parlé anglais. En fait, j’ai eu l’impression de faire un séjour Erasmus, à mon âge !
Et ton lieu de résidence ? La Villa Clémentine à Wiesbaden avait servi pour le tournage d’une version filmée des Buddenbrooks de Thomas Mann. On imagine le décor…
S.M : C’est en effet une bâtisse imposante du 19e siècle, au style que les Allemands trouvent très français, et moi très allemand ! La situation de la Villa est parfaite pour les résidents, entre le centre-ville et un grand parc, où je me suis promenée chaque jour. La Villa Clémentine propose un intéressant programme culturel, mais hélas mon niveau d’allemand ne me permettait pas d’en profiter.
Je bénéficiais d’un vaste espace privé au dernier étage du bâtiment. Je partageais la cuisine avec les employés du ministère de la culture du Land de Hesse. Comme je passais beaucoup de temps seule devant la documentation, c’était agréable de rencontrer des gens à l’heure des repas.
Tu enseignes la dramaturgie dans une école du cinéma et animes des ateliers d’écriture, je suppose que la transmission te tient à cœur ?
S.M : Absolument. Au cours de mon séjour, j’ai eu la chance de faire de nombreuses "lectures" autour de mes polars préhistoriques. Ces rencontres ont été organisées par les Instituts français de Francfort et de Hanovre, les librairies françaises de Francfort et de Berlin, l’université de Francfort, plusieurs lycées à Wiesbaden et Darmstadt. Bien que mes romans ne soient pas traduits en allemand, l‘accueil était toujours très chaleureux. Les repas qui suivaient permettaient de poursuivre les échanges.
Grâce à la Maison de la Littérature de Hesse, j’ai pu également participer à la Foire du livre de Francfort, qui est le rendez-vous mondial de l’édition. Ma "lecture" était animée par Daniel Schneider, un ancien bénéficiaire allemand de la même bourse, qui avait séjourné à Bordeaux. J’ai aussi animé un atelier d’écriture au lycée français de Francfort.
L’Allemagne est un pays voisin, tu t’es néanmoins sentie dépaysée ?
S.M : Oui. C’est amusant car nos deux démocraties sociales ont beaucoup de points communs. Mais il reste des différences très ancrées.
Tu écris dans des genres littéraires variés – polars préhistoriques, romans historiques, romans jeunesse, documentaires, scénarios, adaptations de dessins animés. Pourquoi la BD à présent ?
S.M : L’histoire que je veux raconter dans Les 9 anneaux du Nil est très visuelle : les anneaux sont des œuvres d’art et on suit l’enquête de Jérôme grâce aux indices apportés par leurs gravures. Et puis, il y a les dessins et objets magnifiques, rapportés d’Égypte par Richard Lepsius. Cette incroyable expédition européenne a quelque chose à la fois de Tintin et d’Indiana Jones. Elle devrait intéresser tous les publics.
Que j’écrive pour les adultes ou pour les enfants, que ce soit sous la forme d’un roman ou d’un scénario, ce qui compte pour moi, c’est la transmission juste et précise des données historiques et de leur contexte. Mais dans le cadre d’une véritable narration, avec des personnages attachants et un réel suspense !