Biarritz Amérique latine 2018 : la coproduction internationale en avant
Pour sa 27e édition, le Festival Biarritz Amérique latine met à l’honneur l’Uruguay et son renouveau cinématographique. Le délégué général du festival, Antoine Sebire*, et la programmatrice, Lucile de Calan, expliquent comment la manifestation, qui se tient du 24 au 30 septembre, prend aussi la mesure de l’importance de la coproduction internationale pour l’essor du cinéma latino.
Lucile de Calan : Pour plusieurs raisons. Nous avions d’abord un prétexte : fêter les 10 ans de la promulgation de la première loi de cinéma et de la création dont a découlé l'ICAU, l'Institut de Cinéma et d'Audiovisuel de l'Uruguay. Il était donc particulièrement important cette année de mettre en lumière les caractéristiques du cinéma uruguayen et de dessiner un portait de la production cinématographique du pays de 2008 à nos jours. D’autre part, l’Uruguay est un pays passionnant, qui fait figure de phénomène : enserré entre deux voisins imposants, l’Argentine et le Brésil, politiquement stable, socialement progressiste, prospère d’un point de vue économique. Il a souvent été considéré par les Européens comme la Suisse de l’Amérique latine. Berceau de Jules Supervielle, de Lautréamont ou encore de Laforgue, il s’agit d’un pays culturellement riche et qui entretient avec la France, et plus particulièrement le Pays basque, des liens forts. En choisissant l’Uruguay comme invité d’honneur, nous réaffirmons l’une des vocations du festival, celle de construire des ponts entre le Pays basque et l’Amérique latine !
Modelo Estereo et Pachamama, deux films soutenus par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagnés par ALCA, sont en sélection. Ils ont bénéficié d’une coproduction étrangère. Dans quelle mesure cette dernière s’impose-t-elle ?
Antoine Sebire : Ces deux cas sont différents : Modelo Estereo est un documentaire de création d’initiative colombienne, dont le projet a été découvert par un producteur français (David Hurst) dans un marché de coproduction à Bogota. Comme pour beaucoup de documentaires, et en particulier en Amérique latine, il s’inscrit dans une économie fragile. Il faudrait en parler au coproducteur mais il a dû estimer que le projet, par son sujet et sa forme, pouvait avoir un intérêt pour un public français. Son intervention a permis, je pense, de mieux financer le projet, en particulier le développement (avec l’aide de la Région) et peut-être le montage, donc sans doute de faire un meilleur film et d’accroître son rayonnement en France.
S’il est réalisé par un Argentin, Pachamama est un film d’animation d’initiative française. Un long métrage d’animation est très coûteux à développer et à produire, et peu de pays en Europe (voire aucun) ont les moyens de financer intégralement sur leur territoire. Mais ce sont aussi en général des films qui s’exportent particulièrement bien : la coproduction internationale, même si elle complique les processus de production, fait particulièrement sens en permettant de partager les risques alors qu’une partie des recettes viendra de l’international.
"Si le marché de l’exploitation est très difficile, il y a quand même une appétence du public pour les films 'étrangers' et en particulier latinos."
Le Forum de la Coproduction étrangère est donc l’un des moments-clés du festival…
A.S. : Cette année, nous avons regroupé sous le label de BAL-LAB (Biarritz Amérique latine lab) deux dispositifs qui existent au festival depuis plusieurs années : tou(te)s les réalisateur(rice)s qui ont un film en sélection officielle à Biarritz peuvent soumettre leur ou un prochain projet pour candidater à une résidence d’écriture et/ou prendre part à des rencontres de coproduction. L’idée de départ est de profiter de la présence à Biarritz de nombreux réalisateurs pour leur donner un coup de pouce sur la suite de leur carrière en leur organisant des rencontres avec des professionnels français susceptibles d’être intéressés par leur projet. Pour les professionnels français, on peut considérer que la sélection d’un réalisateur à Biarritz est un gage de talent : nous leur permettons de rencontrer très en amont sur leur projet des réalisateurs dont ils peuvent voir le film précédent sur grand écran.
Quels sont les autres temps forts du festival ?
L.C. : Ils seront nombreux ! À commencer par la présentation en Compétition long-métrage de fiction d’un ovni cinématographique, La Flor de Mariano Llinás, film hors-norme, d’une durée de 14 heures, qui nous a conquis et qui insufflera à l’ensemble de la sélection une énergie particulière ! Il s’agit d’un film qui témoigne plus que jamais du plaisir à faire du cinéma et à expérimenter tous les possibles de la fiction. Cette édition sera marquée également par l’hommage que nous rendrons à une grande figure de la communauté intellectuelle argentine, Hugo Santiago. Ce cinéaste qui nous a quittés cette année, nous laisse une œuvre singulière, marquée par le goût de l’expérimentation narrative, nourrie de littérature, de musique et de théâtre.
Nous consacrerons une matinée entière au grand auteur latino-américain Juan Carlos Onetti qui, avec Julio Cortázar et Gabriel García Márquez, fut à l’origine du boom littéraire latino-américain des années 1960. Pour rendre hommage à ce « romancier universel trop peu connu du grand public », comme le présentait Mario Vargas Loza, deux écrivains spécialistes de son œuvre seront invités à Biarritz : Juan Carlos Mondragon et le célèbre auteur espagnol Antonio Muñoz Molina.
"Une programmation musicale riche et métissée, des concerts tous les soirs gratuits au Village du festival."
Les festivaliers auront également plaisir à découvrir le documentaire de Marie Losier, réalisatrice française, qui a consacré un portrait sensible et intimiste à une figure familière du festival, la star de la lucha libre mexicaine, Cassandro el exotico ! Cassandro est en effet déjà venu à Biarritz en 2011 pour une démonstration de lucha libre qui avait alors séduit un public venu en nombre l’applaudir. Enfin, Biarritz fêtera toute la semaine les expressions culturelles latino-américaines sous toutes leurs formes avec notamment une programmation musicale riche et métissée, des concerts tous les soirs gratuits au Village du festival.
Le jury a été renouvelé cette année, laissant plus de place aux femmes…
A.S. : Les jurys sont renouvelés chaque année, et je ne suis pas sûr que les femmes y aient été sous-représentées les années précédentes. Mais il est vrai que nous avons veillé à assurer a minima la parité dans nos jurys. L’essentiel restant d’y avoir des personnalités et profils divers, que nous admirons et dont nous espérons qu’ils apprécieront débattre ensemble des films ; nous nous efforçons d’avoir une sélection à la hauteur de nos jurys, et des jurys à la hauteur de nos sélections.
Comment le nouveau délégué général aborde-t-il sa première édition ? Comment la programmatrice la vit-elle aux côtés d’Antoine ?
A.S. : Avec enthousiasme et sérénité : j’arrive aux manettes d’une belle machine, à la tête d’une équipe très professionnelle, et qui a une histoire très riche qu’il faut respecter, tout en se renouvelant. C’est une grande responsabilité, mais c’est toujours mieux que de reprendre un festival exsangue ! J’espère simplement que le public et la presse aimeront notre programmation au moins autant que nous, que l’esprit latino que nous essayons d’insuffler au festival flotte pendant une semaine sur la ville et, enfin, que des rencontres s’y produisent -avec des œuvres, avec le public, entre artistes, entre professionnels.
L.C. : J’aborde cette édition avec beaucoup d’enthousiasme et d’impatience ! Nous avons hâte de présenter notre programmation aux festivaliers, d’accueillir à Biarritz ces cinéastes et artistes que nous admirons, venus de toute l’Amérique latine. Travailler aux côtés d’Antoine est un plaisir, une vraie opportunité pour moi et pour le festival. Un vent nouveau souffle sur Biarritz !
*Avant de devenir délégué général du Festival Biarritz Amérique latine, Antoine Sebire était le coordinateur du Cinéma d'Écla Aquitaine, qui a ensuite intégré ALCA.