"Boucles de pierre", une rencontre artistique
Quand Clémentine Beauvais propose à son éditrice le texte de Boucles de pierre, elle pense immédiatement à Max Ducos pour l'illustrer. De cette première collaboration naît en mars dernier aux éditions Sarbacane un album jeunesse dont le décor s'inspire du luxuriant Jardin public de Bordeaux.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’origine de Boucles de pierre, votre premier album en commun ?
Clémentine Beauvais : C’est moi qui ai proposé cette histoire à Sarbacane - à l’origine, c’était une nouvelle, que j’ai retravaillée en album car il me semblait qu’elle avait un bon potentiel d’illustration… Emmanuelle Beulque, l’éditrice albums de chez Sarbacane, m’a demandé si je voyais quelqu’un en particulier pour l’illustrer. J’ai immédiatement pensé à Max, dont j’adore le travail et qui n’a aucun rival pour les dessins de parcs.
Max Ducos : Je n’avais jamais illustré d’album jeunesse écrit par un autre auteur. Avec la demande de Clémentine, je me suis dit que c’était l’occasion d’essayer une façon différente de travailler. Je pouvais m’inspirer du jardin public qui est à quelques mètres de mon atelier. Je me suis dit que je devais faire des illustrations qui seraient comme un bouquet de fleur qu’on offre à une cantatrice. Là, c’était Clémentine...
Quelle a été votre manière de travailler ensemble sur ce livre ?
C.B. : Vraiment très indépendante. Max est parti faire ses dessins dans le parc de Bordeaux [le Jardin public, ndlr], et moi… j’ai attendu tranquillement. C’est un peu la magie de l’album pour les auteurs, le moment où on découvre le monde qui s’est peint pendant qu’on baillait aux corneilles… J’ai simplement laissé à Max le choix du sexe du personnage principal, il a choisi une fille. On en a parlé un tout petit peu, et puis c’était tout.
M.D. : J’ai soigneusement choisi mes endroits du jardin pour faire mes illustrations. Je voulais être fidèle au texte mais tout en gardant un côté très naturel dans les images. Je voulais insister sur les éléments de nature et le côté contemplatif du personnage. Lorsque j’ai vu que Clémentine avait mis une des illustrations en fond d’écran de son téléphone, ça m’a encouragé à continuer dans cette voie, mais on a travaillé chacun de notre côté.
On remarque de belles analogies entre la végétation du jardin et les chevelures, les volutes des balcons et les boucles, ou encore les textures à l’intérieur de la chambre de l’oncle et ce qui se joue dans la nature extérieure...
C.B. : Ça, c’est à Max de répondre, c’est tout son art...
M.D. : Cela s'est fait assez naturellement. J’ai pris plaisir à rajouter les balcons bordelais où il n’y en avait pas, pour renforcer le côté un peu baroque de cette histoire. Les autres détails se sont enchaînés au fil du pinceau.
"C’est une histoire qui parle à la fois de domestication, de culture et d’ensauvagement : les cheveux poussent, la pierre n’en fait qu’à sa tête..."
Il y a un intéressant va-et-vient dans l’album entre espace public et espace intime, entre une dimension à la fois collective et familiale. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
C.B. : J’adore notamment la manière dont Max a peint des chambres où pénètre la nature, à la fois sous forme domestiquée - plantes vertes, peinture d’un bateau sur le lac – et sous forme symbolique, avec les motifs qui rappellent la nature. Le duvet de la chambre semble tout duveteux comme des chenilles ou des poils… C’est une histoire qui parle à la fois de domestication, de culture – la statue, le symbole de l’art classique ; le Jardin public, cette nature apprivoisée – et d’ensauvagement : les cheveux poussent, la pierre n’en fait qu’à sa tête...
M.D. : Le personnage de l’oncle malade est privé d’extérieur. Il vit le dehors par le biais du récit de sa nièce. C’est une grande subtilité de ce texte que de situer l’oncle sculpteur à la même place que les lecteurs ou les enfants qui écoutent l’histoire. La jeune fille se trouve ainsi en porte-à-faux, dans un espace central où elle évolue seule, le jardin public.
La jeune narratrice a un sens aigu de l’observation : lunettes sur le nez, elle remarque toutes sortes de choses que personne ne voit car elle prend le temps de regarder. Est-ce aussi une qualité lorsqu’on doit raconter des histoires ou faire des images ?
C.B. : Ça dépend. Il y a des histoires qui doivent aller vite, qui ont un rythme, un battement interne qui commande de ne pas s’attarder. Cet album-là, en revanche, exige un recentrement sur le moment présent, sur la longue durée. Sa temporalité est celle des grands convalescents, des flâneurs, de la pierre, des plantes.
M.D. : Je trouvais ça intéressant d’accentuer le côté contemplatif de la jeune fille dans une histoire aussi courte. Prendre le temps de regarder est pour moi une qualité fondamentale que tout le monde devrait exploiter. Aujourd'hui, les gens sont obsédés par leur image, mais personne ne parle du regard à proprement parler.
Il y a un clin d’œil à Boucles d’or dans le titre et un petit côté Chaperon rouge dans l’histoire, des indices de vos vies personnelles aussi : on reconnaît le jardin public de Bordeaux, on entrevoit deux de vos livres, on pense même vous apercevoir dans certaines pages. Quelle est la place de ces références (et de toutes celles que l’on ne voit pas !) ?
C.B. : Ce sont des choix de Max, pour faire parler les curieuses...
M.D. : J’aime bien l’idée qu’un livre ne soit pas le résultat d’une équation parfaite. J’aime créer un petit univers où je peux m’amuser avec les images. Le fait de travailler avec Bordeaux était vraiment ma touche personnelle, je l’ai fait de façon discrète. En tant qu’illustrateur, je cherche à plaire autant à mon lectorat qu’à mon autrice qui fut ici un peu comme une muse.
"L’idée avec la gouache telle que je l’utilise, c’est de faire une illustration détaillée, lumineuse et colorée, sans tomber dans quelque chose de laborieux."
Un mot sur la technique de la gouache, une peinture qui joue moins sur la transparence que sur la juxtaposition des couleurs, que permet-elle ici ?
C.B. : Je serais bien en mal de livrer la moindre expertise mais je trouve sublime la capacité de Max à faire des images à la fois aussi vives et aussi frémissantes avec un médium comme celui-là – moi, avec un pot de gouache, ça donne un truc pâteux et pataud, lui c’est léger comme la brise. C’est un peu de la sorcellerie.
M.D. : Mais je suis un peu sorcier, Clémentine au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Tu viendras faire un stage de gouache à Bordeaux ! Plus sérieusement, l’idée avec la gouache telle que je l’utilise, c’est de faire une illustration détaillée, lumineuse et colorée, sans tomber dans quelque chose de laborieux. Je ne veux pas passer trop de temps sur une image pour ne pas perdre le côté spontané de la création. La gouache permet cette rapidité d’exécution.
Lors de la dernière édition de l’Escale du livre de Bordeaux en mars dernier, vous avez proposé une lecture dessinée de l’album, une expérience à renouveler ?
C.B. : J’adorerais. Mais c’est facile à dire pour moi : tout ce que je dois faire, c’est arriver sur scène et bouquiner mon propre livre en articulant. Max, lui, doit préparer des tas de choses et les apporter avec lui dans sa voiture, statues en carton, polystyrène, écrans, peintures, éponges, et ça exige un travail colossal. Bref, ça risque de ne rester qu’occasionnel.
M.D. : J’adore explorer des formes nouvelles de création. Là, je me suis beaucoup amusé à créer cette lecture dessinée, c’était une sorte de défi, mais ce fut vraiment très furtif. Je pense que le texte est un peu court pour exploiter cette histoire sous forme de spectacle. Même si arpenter les routes de France dans un minibus avec Clémentine pour une grande tournée est une idée qui me séduit beaucoup, je ne suis pas sûr qu’on le refera. Pour autant, puisque je ne peux rien refuser à Clémentine, peut-être un jour nous travaillerons sur un autre album.
Boucles de pierre
Clémentine Beauvais (autrice) et Max Ducos (illustrateur)
Éditions Sarbacane
Mars 2021
32 pages
16,50 euros
EAN : 9782377316038