À Cognac, la Fondation Martell distille les arts
Les 6000 mètres carrés du bâtiment de la Fondation d’entreprise Martell accueillent depuis sa réouverture en 2018, et ses progressifs réaménagements, une exposition annuelle ainsi que des créateurs régionaux et internationaux. Sa directrice, Nathalie Viot, nous explique le projet qu’elle a conçu pour faire de ce lieu cognaçais "l’une des grandes destinations culturelles de la Nouvelle-Aquitaine".
Quelles ambitions ont motivé la création en 2016 de Fondation d'entreprise Martell ?
Nathalie Viot : Les statuts de la Fondation ont été déposés en août 2017 mais nous avons procédé en amont à une pré-configuration du projet dans les lieux, qui n’avaient évidemment rien à voir avec ce qu’ils sont aujourd’hui. Martell a édifié ce bâtiment en 1929 pour assurer la mise en bouteille pendant 80 années, avant que Pernod-Ricard ne rachète la maison puis décide de fermer les lieux en 2005. La première motivation était donc de ne pas détruire cette construction mais de lui donner une nouvelle destination, plus active et tournée vers les autres, en créant un établissement culturel. Plusieurs pistes ont été étudiées pour donner corps à cette idée et ont échoué, notamment parce qu’elles se sont concentrées sur la seule musique. Le territoire cognaçais propose déjà beaucoup de choses en matière musicale avec le festival Blues Passions ou West Rock.
J’ai eu, avec Maxime Heylens, carte blanche pour mettre en œuvre le projet. Nous avons travaillé à une proposition totalement pluridisciplinaire où se mêlent autant l’architecture, le design, la littérature, les arts plastiques et les savoir-faire. Nous avons donc un projet unique en Europe, non seulement pluridisciplinaire mais aussi transdisciplinaire : les arts se rejoignent et nous associons les créateurs avec des artisans d’art au sein même de la Fondation. Nous faisons aussi des commandes artistiques d’exception dont les œuvres sont ensuite installées dans le bâtiment. Les cornes en porcelaine du lustre éclairant l’entrée de la Fondation ont été ainsi réalisées au Craft1 de Limoges et les 48 figurines en verre ont été faites par Jean-Charles Miot, artisan installé à Mont-de-Marsan que nous accueillons en ce début d’année2, et Stéphane Pelletier, maitre verrier œuvrant en région parisienne. La direction artistique de cette œuvre, Shine a light, a été assurée par Nathalie Talec.
Vous préparez d'ici à 2021 l'installation complète de la Fondation dans des bâtiments réaménagés. Quelles possibilités offre ce nouveau lieu ?
N.V. : D’un point de vue architectural, ce bâtiment communément appelé "la tour Martell" est en fait une ziggourat, forme antérieure aux pyramides reposant sur des parallélépipèdes rectangles mis les uns sur les autres, du plus grand au plus petit. Il est donc étonnant par sa structuration et sa taille : avec ses 25 mètres de hauteur, il est le deuxième point le plus haut de la ville après l’église. Bien qu’imposant à l’extérieur, son hall d’accueil ne dispose seulement que de 90 m2. Contrairement à ce que proposent habituellement les fondations d’entreprise avec de très grands espaces froids, nous préférons cette configuration plus étroite qui permet un dialogue et une vraie hospitalité. Nous montrons et vendons aussi dans l’accueil les objets réalisés dans nos ateliers et ceux confectionnés par les artistes invités. Nous ne proposons donc que des articles uniques, issus des savoir-faire que nous défendons.
"Demain, les visiteurs découvriront l’exposition Places to be, dédiée à 14 designers de 11 nationalités différentes. L’inauguration aura lieu le 27 mai, accompagnée du concert des Filles de Illighadad initialement prévu pour annoncer notre festival MétaMusiques en 2021."
Nous accueillons au rez-de-chaussée la grande exposition annuelle, qui dure entre 9 et 10 mois. Le premier projet exposé était, en octobre 2016, celui du plasticien Vincent Lamouroux qui a pu travailler les 12 tonnes de sable données par Verallia, l’entreprise charentaise qui fait les verres et bouteilles de toutes les maisons, les 4 tonnes de bois offerts par la tonnellerie Leroi et une soixantaine de plantes dites méditerranéennes que l’on retrouve dans les jardins entre Cognac et Royan. Les deux expositions suivantes ont investi un pavillon extérieur conçu par l'agence d'architectes madrilène SelgasCano, le bâtiment intérieur étant alors en travaux. Une fois la salle livrée et réaménagée, nous avons accueilli pendant deux étés Adrien M & Claire B, auteurs de l’exposition L’Ombre de la vapeur. Demain, les visiteurs découvriront l’exposition Places to be, dédiée à 14 designers de 11 nationalités différentes. L’inauguration aura lieu le 27 mai3, accompagnée du concert des Filles de Illighadad initialement prévu pour annoncer notre festival MétaMusiques en 2021. MétaMusiques est une biennale qui propose des concerts gratuits brassant les traditions, les époques et les continents. Le premier étage du bâtiment accueille quant à lui une agora ainsi que les Ateliers du faire. Il s’agit de cinq ateliers dédiés à des métiers autour du papier, du textile, de la céramique, du verre et du bois. Les visiteurs pourront accéder à des démonstrations puisque ces ateliers sont ouverts au regard. Ils pourront aussi se rendre au cinquième étage sur la terrasse qui offre une vue à 360° sur la ville de Cognac. Le deuxième étage accueillera à terme un espace consacré aux nouvelles technologies et à la réalité virtuelle.
La programmation se construit-elle avec les acteurs régionaux des filières de l'image et de l'écrit ?
N.V. : Nous avons construit un partenariat privilégié avec le festival Littératures Européennes Cognac. En 2018, nous avons proposé un dîner avec les auteurs au sein de l’exposition L’Ombre de la vapeur. Il s’agissait d’une première approche avant d’accueillir l’année suivante la KIDS ZONE au sein de la Fondation. Dans une ambiance incroyable, nous avons reçu pendant trois jours près de 500 enfants, accompagnés de leurs parents, sur des ateliers d’écriture animés par des auteurs jeunesse. Seule librairie indépendante à Cognac, Le Texte Libre participe systématiquement à nos animations dont les conférences de notre programme CARE, composé d’événements culturels autour du bien-être et de la préservation de l’environnement. Nous sommes aussi en train d’établir des liens avec d’autres acteurs du livre comme la Villa Bloch, à côté de Poitiers, ou le Centre François Mauriac de Malagar, à Saint-Maixant (33).
"Le produit se fait ici, sur ce territoire riche de son histoire et de ses savoir-faire, puis rayonne à l’international."
Au-delà de la littérature, nous avons monté des partenariats avec le festival bordelais des arts de la parole Chahuts, en accueillant la Nuit des rêves à Cognac en 2018. Nous programmons également des rencontres cinématographiques, par exemple autour du film Le Grand Bal de Laetitia Carton, dans le cadre de notre programme CARE.
Comment la fondation se sert-elle de sa position centrale au sein de la région Nouvelle-Aquitaine ?
N.V. : Nous faisons en sorte que la Fondation Martell devienne l’une des grandes destinations culturelles de la Nouvelle-Aquitaine, notamment grâce à cet alliage entre les savoir-faire, la création artistique et les nouvelles technologies. Après deux années de plein exercice, nous disposons déjà d’un fort rayonnement, relayé par la presse locale, nationale et internationale. Cette visibilité s’explique par une volonté de porter des actions très locales et d’autres très internationales. L’Ombre de la vapeur est par exemple présentée en ce moment à la Gaîté lyrique, à Paris.
Je répète souvent le slogan "ancrage local, vision mondiale" : le produit se fait ici, sur ce territoire riche de son histoire et de ses savoir-faire, puis rayonne à l’international. Un peu à l’image du cognac, qui s’exporte à 98%. Cette vision se vérifie aussi par la fréquentation de la Fondation Martell, à trois quarts régionale et presque un quart internationale.
2L’interview a été réalisée le 9 mars 2020.
3Prévue initialement en avril, l’ouverture de l’exposition a été repoussée en raison de la propagation du Covid-19. La Fondation Martell continue de recevoir l’association de producteurs La Ruche qui dit oui ! et assure des cours de yoga à distance pendant le confinement.