COMETT, le court métrage comme outil d’éducation aux images
COMETT – Courts Métrages Et Territoires – est une plateforme d’éducation aux images. Sa mission s’accomplit de plusieurs manières : soutien aux projets de films courts tournés en Région, mise à disposition de ressources pédagogiques pour le personnel enseignant, films accessibles en streaming, carte interactive des lieux de tournages référencés, et enfin, un festival éponyme qui se tient tous les ans. Lors de sa dernière édition, le thème de l’intelligence artificielle a occupé les discussions entre professionnels. Entretien avec Hervé Bonnet, directeur du Bureau d'Accueil des Tournages de Lot-et-Garonne (47) et concepteur du projet, pour évoquer COMETT, plateforme et festival, mais aussi le rôle que jouera l’IA dans l’industrie cinématographique.
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Pourriez-vous nous présenter la plateforme COMETT en détail ? Quels sont ses objectifs principaux et les acteurs impliqués dans son fonctionnement ?
Hervé Bonnet : COMETT est née de la volonté de répondre à une double problématique de diffusion culturelle et de pédagogie de l’image. D’une part COMETT donne de la visibilité à des œuvres de court métrage tournées et / ou soutenues en région, d’autre part elle met à disposition des enseignants et médiateurs un outil et des ressources pédagogiques pour l’apprentissage du cinéma.
Le format court est particulièrement pertinent en termes d’éducation au cinéma et aux images. Il permet de montrer un film complet en une heure de cours, les élèves peuvent ainsi comprendre la vision de la réalisatrice ou du réalisateur dans sa totalité. De plus, la plateforme offre des vidéos d’analyse, conçues par des médiateurs cinéma, des critiques ou des universitaires pour approfondir la compréhension des œuvres.
COMETT vise principalement les enseignants et les professionnels de l'éducation à l'image, mais s’adresse également à un large public, des collégiens et lycéens aux étudiants en école de cinéma, en passant par des publics en milieu carcéral. La plateforme s'étend au-delà du Lot-et-Garonne et a établi des partenariats avec d’autres départements, tels que la Gironde, les Landes et la Charente… Elle collabore également avec ALCA, intégrant chaque année une sélection de courts métrages à la plateforme.
En moins de deux ans depuis son lancement en janvier 2022, le catalogue de COMETT est passé de 13 à 45 films. Elle se distingue par ses cartes interactives révélant les lieux de tournage de chaque film et par la mise à disposition de documents de travail (scénario, découpage, plans de travail, notes d’intention, etc.) pour chaque film. COMETT propose des analyses, des informations sur les métiers du cinéma, des ateliers pédagogiques, des parcours thématiques et plus encore.
L’accès se fait généralement par l’intermédiaire d’enseignants ou de médiateurs, car la plateforme privilégie la médiation pour accompagner les jeunes dans la découverte et la compréhension des films. Néanmoins, il est possible de visionner un film en libre accès chaque mois pour les non-abonnés.
Enfin, COMETT ne se substitue pas à la salle de cinéma, mais organise également un festival de court métrage, qui permet de découvrir les films de la plateforme sur grand écran, de rencontrer les réalisateurs et d’assister à des tables rondes. Le festival, qui en est à sa cinquième édition, est conçu comme une extension physique de la plateforme, offrant une expérience cinématographique complète aux spectateurs.
Le festival vient de s'achever. Pouvez-vous nous donner un aperçu des temps forts de cette édition et des enseignements que vous tirez de l'événement cette année ?
Hervé Bonnet : Cette édition a été exceptionnelle à bien des égards. Historiquement, notre festival est ancré dans le court métrage et l'itinérance, ayant traditionnellement lieu dans plusieurs cinémas. Initialement, nous nous tenions dans les neuf cinémas du réseau ÉCRANS 47, qui représente les cinémas de proximité du département. Cette année, nous avons élargi notre empreinte puisqu’un cinéma de Gironde, le cinéma de Cadillac, a rejoint notre initiative. Nous tenons à saluer l’ACPG (l’association des cinémas de proximité de Gironde) pour sa participation à cette aventure. Nous projetons des films, invitons des réalisateurs, organisons des ateliers pour différents publics, proposons des tables rondes, des conférences, des ciné-concerts, des master class, des formations, des rencontres professionnelles…Le programme était dense !
Parmi les moments forts de l’édition 2023, la table ronde dédiée à l'intelligence artificielle. Cet axe a été particulièrement important pour le festival cette année, et nous avons consacré beaucoup de temps à réfléchir et échanger collectivement sur ce sujet. Nous souhaitions enrichir cette édition de réflexions approfondies sur l’intelligence artificielle.
Pourquoi vous avez choisi cette thématique IA ?
Hervé Bonnet : Cette thématique s’est imposée d’elle-même il y a environ six mois, car l’IA est devenue un sujet brûlant d’actualité. L’IA était déjà présente dans le domaine de la musique et du cinéma depuis plusieurs années, mais son influence ne cesse de croître, notamment avec des innovations telles que Chat GPT, qui ont sensibilisé le grand public aux capacités de l’IA. L’idée était d’explorer les multiples usages de l’IA dans le processus de création cinématographique, en se demandant si elle était un allié, un simple outil, un frein ou un danger pour la création. Le Festival a organisé une table ronde réunissant des experts avec des points de vue contrastés sur l’impact de l’IA dans le domaine cinématographique. Ils ont montré en quoi l’arrivée de nouvelles technologies apporte nécessairement des changements et des perturbations, tout comme l’IA le fait actuellement. Le Festival a donc préféré aborder cette question de manière ouverte plutôt que de l’ignorer.
Aujourd’hui l’IA peut être utilisée notamment par les grandes plateformes de streaming pour aider à analyser des scénarios, pour financer des projets similaires à ceux qui ont connu le succès.
On peut penser que l’IA aura un impact de plus en plus important sur le cinéma, tant sur le plan technique que sur la thématique des films. Sur le plan technique, l’enjeu actuel de l'IA consiste souvent à gagner du temps, ce qui intéresse vivement les plateformes de streaming en quête de toujours plus de contenu.
On constate aussi que de plus en plus de films et de séries abordent le sujet de l’IA, ce qui montre l’importance que cette technologie a pris dans nos vie et à quel point elle est un sujet qui intrigue et inquiète le grand public. Bref, la thématique a été choisie en raison de son actualité et de son influence croissante dans le monde du cinéma et de la création en général, ce qui a conduit à des discussions riches et variées au sein du Festival COMETT.
L'intelligence artificielle (IA) et l'impact sur l'environnement, ces deux thèmes se sont entrecroisés de différentes manières tout au long de l'événement. Parlons davantage de cette interaction.
Hervé Bonnet : La soirée de clôture a particulièrement illustré cette convergence lors du programme "du court au long métrage". Elle a débuté par la diffusion du court métrage Acide (2023) de Just Philippot, suivi du long métrage du même réalisateur, récipiendaire du prix "éco-production" lors du dernier Festival de Cannes. Cette programmation a permis d'établir un lien entre la thématique environnementale du jour et le contenu cinématographique, mettant ainsi en avant l'importance de l'écologie dans l'industrie cinématographique.
En ce qui concerne la discussion sur l'IA, des intervenants qualifiés ont souligné l'importance de la vigilance dans l'utilisation de l'IA tout en reconnaissant son potentiel créatif. L'IA pourrait transformer la manière de créer des films et inspirer de nouvelles approches cinématographiques visuellement différentes. En résumé, le festival Comett a réussi à établir des liens entre l'IA, l'environnement et l'industrie cinématographique tout en explorant les opportunités et les défis que représente l'IA dans ce domaine.
Pensez-vous finalement que l'IA est seulement un outil, ou bien qu'elle prendra la place d'un artiste ou d'un réalisateur ?
Hervé Bonnet : On peut penser que de nombreux créateurs continueront à travailler sans l'IA, tandis que d'autres chercheront à l’exploiter pour créer de nouvelles œuvres, de nouvelles formes. L'utilisation de l'IA dans l'industrie cinématographique est influencée par plusieurs facteurs. En termes de flux de production, notamment pour des séries quotidiennes exigeant une grande quantité de contenu, l'IA trouve son utilité principalement dans des projets moins axés sur la création artistique ou elle est utilisée comme un simple outil de productivité plutôt que comme un outil de création. On peut penser (ou espérer ?) que plus un projet cinématographique sera ambitieux artistiquement, moins l'IA sera employée dans sa fabrication.
Cependant, il est crucial de se demander dans quel but l'IA est utilisée. Gagner du temps ne garantit pas nécessairement la création d'œuvres cinématographiques artistiquement enrichissantes. En revanche, utiliser l'IA comme un véritable outil de création ouvre aussi des perspectives intéressantes, notamment pour des artistes comme Ismaël Joffroy Chandoutis, Soufiane Adel ou Quentin Bitran, qui envisagent de repenser la manière dont l'IA peut être mise à contribution. Soufiane Adel établit un parallèle avec les débuts d'Internet, où la créativité avait le champ libre pour s'épanouir de manière inattendue.
Néanmoins, l'unanimité se fait sur la nécessité de réguler l'utilisation massive de l'IA dans le domaine cinématographique. Cette régulation devrait prendre en compte les implications sur l'emploi, notamment la potentialité de substitution d'acteurs humains par des créations d'IA. Il est également question de sensibiliser le public, peut-être par le biais d'avertissements, quant à l'utilisation d'IA dans la création des œuvres cinématographiques.
Finalement, l'IA est là pour rester, et il est préférable de la considérer comme un domaine d'expérimentation et d'innovation plutôt que simplement comme un outil destiné à améliorer la productivité. C'est cette vision de l'IA en tant qu'outil créatif qui semble le plus prometteur, bien plus que son utilisation pour automatiser des tâches dans le but d'accélérer la production, ce qui pourrait, à terme, appauvrir l'offre cinématographique sur certaines plateformes.