Du livre à l’écran : rencontres autour d'œuvres adaptées
Pas une semaine ne passe sans qu’un film adapté d’un livre soit annoncé. Il y a bien sûr les grands classiques de la littérature, sources d’inspiration sans fin pour les réalisateurs, mais aussi des œuvres plus confidentielles. Le cinéma, comme la télévision ou les plateformes de streaming (et le succès des séries), sont à la recherche de bonnes histoires. Alors que penser de ce procédé ? Adapter, ce serait manquer d’idée, trahir une œuvre ou au contraire, s’en inspirer pour aller au-delà ? Rencontres avec des professionnels pour la plupart néo-aquitains qui ont adapté et/ou dont l'œuvre a été adaptée.
Ne pas traduire fidèlement, mais s’inspirer librement. C’est en substance la manière de procéder de celles et ceux que Prologue a pu interroger. À commencer par Fanny Ardant, qui a adapté Le Divan de Staline de l’écrivain creusois Jean-Daniel Baltassat en 2016. L’actrice et réalisatrice découvre le livre à sa sortie en 2013 : "Ce roman m’a beaucoup plu car il montrait le pouvoir dans son intimité. Je ne voulais pas faire une reconstitution historique, ce qui m’intéressait, c’était d’observer ce que chacun de nous devient face au pouvoir et à la peur." Les droits sont acquis et un dialogue intense s’instaure entre la réalisatrice et l’écrivain. "Jean-Daniel Baltassat a été très ouvert, parce que j’ai changé les choses, surtout la fin, et il pensait que ça m’appartenait. Il m’a poussée dans mes extrémités, m’a demandé de me libérer de son livre. Celui qui choisit un roman doit être libre. J’ai beaucoup aimé cette expérience d’adaptation. On va au théâtre, à l’opéra, on voit plusieurs fois les mêmes pièces, on peut revoir vingt fois Tartuffe ou La Mouette et à chaque fois c’est un autre regard que celui qui l’a écrite ou mise en scène la fois précédente. Tout a été écrit, tout a été dit donc c’est toujours intéressant de développer son propre point de vue."
Pour l’auteur du Divan de Staline, l’expérience a été formidable : "Fanny Ardant m’a offert une place très rare dans le cinéma. On a pris un accord d’entrée de jeu. C’était son film, elle faisait ce qu’elle voulait du texte, elle pouvait trahir autant qu’elle voulait. Mon intérêt, c’est que le livre soit un rhizome qui accouche d’autre chose. Développer plus en profondeur un personnage, en introduire un autre. Le film a une grande poésie qui est radicalement absente du roman. C’est pour cela qu’il m’a plu."
Également scénariste, Jean-Daniel Baltassat évoque un travail différent entre l’écriture de roman et de scénario : "Raconter une histoire peut être problématique, c’est mettre de l’ordre dans des événements. Un roman ce n’est pas mettre de l’ordre, c’est faire vivre un désordre dans lequel il y a le mouvement du vivant. Les possibilités de structures du roman sont infinies. Écrire un scénario n’a rien à voir, c’est un outil, pour communiquer, qui conduit vers une œuvre qui se fait autrement." Grâce au succès d’estime du film de Fanny Ardant, l’auteur du Divan de Staline dit avoir gagné de la reconnaissance auprès des lecteurs.
En parlant de succès, comment ne pas penser au roman d’Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, paru aux éditions bordelaises Finitude en 2016. Emmanuelle Boizet, son éditrice raconte : "On ne s’attendait pas à un tel phénomène. C’est un livre qui porte énormément d’émotions et qui a inspiré d’autres artistes pour ça. D’un livre ont été créé une BD, une pièce de théâtre, un roman illustré et un film, qui sortira en janvier 2022. Il y a eu 17 propositions pour l’adaptation au cinéma. Pour nous, la qualité d’une adaptation réside dans l’équilibre entre deux sensibilités, celle de l’auteur et celle de celui qui l’adapte. La première chose que le réalisateur Régis Roinsard a dit à Olivier Bourdeaut, c’est qu’il allait le trahir. L’auteur savait qu’il y aurait forcément une autre vision et il a fait confiance." L’éditrice ajoute que "généralement, quand une option est posée sur un livre pour adaptation, l’auteur est ravi. C’est une reconnaissance de son travail et il est curieux de savoir ce qui va en être fait."
Pour Fabien Nury, auteur de BD, de films et de séries installé en Gironde, tout part de l’histoire, "qui peut être racontée sur plein de supports différents. Elle échappe à un média". Sa BD, La Mort de Staline a été adaptée au cinéma par l’écossais Armando Iannucci. "J’ai livré le scénario original en plus de la BD. Ensuite le film se construit et mes apports sont du domaine de la suggestion, du ressenti." La Mort de Staline va bientôt être montée au théâtre. "Il s’agit de langages, le roman, la BD, le ciné, le spectacle vivant. Chaque langage a ses spécificités et la vie d’artiste est une vie passée à étudier ces langages et leurs spécificités", explique le créateur de la série Paris Police 1900. Et de conclure : "Un livre est inadaptable tant qu'il n’a pas trouvé son traducteur."
L’artiste bordelais Winshluss (alias Vincent Paronnaud) vient aussi du monde de la BD. Il explique : "Il y a une sorte de parentalité lointaine entre dessin et adaptation, mais c’est un faux ami, il ne suffit pas de faire bouger les cases." En 2007, il coréalise Persepolis avec Marjane Satrapi. Le film, adapté de l’œuvre éponyme, remporte de nombreux prix, dont celui du jury à Cannes. "La collaboration avec Marjane, l'autrice de la BD était fluide. Pour Persepolis, on a eu un travail de scénarisation et de rythme. Il a fallu réécrire l’histoire de A à Z. C’est la même histoire mais ça n’a rien à voir. Par exemple, il n’y a pas de décors dans la BD, on en a créé pour le film."
L’artiste compte plusieurs adaptations et autoadaptations à son actif. "Quand c’est une autoadaptation, c’est une œuvre totale. Je traite des sujets qui me tiennent à cœur et je les exploite de manières différentes. C’est la poursuite de mes projets, ce n’est pas redondant. Quand c’est l’œuvre de quelqu’un d’autre, je mets des pincettes pour que l’auteur ne se sente pas dépossédé. Plus largement, la difficulté de l’adaptation, c’est qu’il faut concentrer le regard, contrairement au livre qui permet d’explorer plein de pistes."
Autoadaptation et documentaire : aller au-delà du livre
Ixchel Delaporte a écrit Les Raisins de la misère en 2017, le livre est paru en 2018 et le documentaire du même nom, réalisé à la suite du livre, a été diffusé sur France 3 en octobre 2021. Le livre est une enquête sur la face cachée des grands crus du Bordelais et le couloir de la pauvreté qui va de la Pointe du Médoc à Agen. Il tente d’expliquer pourquoi la renommée et la richesse des châteaux ne ruisselle pas sur les habitants du territoire et les travailleurs des vignes.
Pendant la tournée des libraires qu’elle effectue à l’occasion de la sortie du livre, elle rencontre un producteur qui lui propose d’en faire un documentaire, convaincu par son écriture très imagée et cinématographique. La journaliste explique : "Il a fallu discuter et voir quelle était ma place. Je ne me voyais pas donner les droits du livre et ne pas participer. J’avais tous les contacts et surtout la confiance des gens, à qui j’avais donné une garantie donc autant aller jusqu’au bout et m’investir dans ce passage du livre à l’image. J’ai donc tenu le rôle de coréalisatrice, fait tous les entretiens, choisit les personnages. Je voulais revoir certaines personnes du livre mais aussi en interroger d’autres rencontrées à l’occasion de la parution. Il ne fallait pas calquer le livre, qui est une enquête, un constat. Le documentaire montre des personnes qui sont dans l’action et qui proposent des solutions. Il est plus engagé et donne de l’espoir. Le livre est journalistique, le film est plus politique. Enfin le film m’a ouvert des portes et m’a permis d’avoir accès à d’autres protagonistes (comme les propriétaires des châteaux) et à un autre public, plus large."
L’adaptation concerne tous les genres du cinéma et de la littérature et le mot de la fin doit revenir à Marguerite Duras qui écrivait : "Le cinéma arrête le texte, frappe de mort sa descendance : l’imaginaire. C’est là sa vertu même : de fermer, d’arrêter l’imaginaire." Adapter un livre, c’est forcément prendre le risque de décevoir ceux qui l’ont lu auparavant. Déçue des adaptations de ses romans, l’écrivaine réalisa des films, dans lesquels elle expérimentait et tentait d’ouvrir l’image au texte et de laisser plus de place à l’imaginaire du spectateur.