Fabien Nury : "Quoi qu’il arrive, les gens auront toujours besoin qu’on leur raconte des histoires"
Depuis son domicile bordelais où il est confiné en famille, le scénariste Fabien Nury explique à Prologue comment il adapte son travail de création, ses lectures et ses visionnages de films. L'auteur de Katanga (Dargaud, 2017), La Mort de Staline (Europe Comics, 2010) et de la série Guyane (Canal+, 2017) envisage une difficile reprise de l'activité culturelle, notamment cinématographique.
Comment vivez-vous le confinement et vous adaptez-vous pour créer ?
Fabien Nury : Avec deux enfants de huit et cinq ans et l’école à la maison, je travaille très peu, surtout le soir. Heureusement, comme je n’ai pas de script à rendre dans les semaines à venir, je peux adapter mon activité à la situation.
J’en profite pour faire de la documentation : recherches sur Internet, lecture et prise de notes. C’est moins chronophage que l’écriture d’un script, on peut travailler par petites cessions d’une heure ou deux. J’avais déjà réuni les livres et documents dont j’ai besoin, sinon je serais bien en peine de les acheter.
Quels sont vos projets en cours ?
F.N. : J’ai créé une série TV pour Canal+, Paris Police 1900, dont le tournage s’est terminé fin février. Nous avons eu énormément de chance. En ce moment, nous en sommes au montage images des quatre derniers épisodes (sur huit) : les monteurs travaillent chez eux. C’est beaucoup moins pratique que de se retrouver dans une même salle, mais nous pouvons tout de même avancer. On passe beaucoup de temps au téléphone ou sur Skype.
"Il va y avoir de sérieux embouteillages, dans quelques semaines, chez tous les prestataires de post-production."
Les parties suivantes de la post-production, en revanche, sont bloquées : étalonnage, post-synchronisation, montage son, mixage… Par exemple, on ne peut pas convoquer des comédiens dans un auditorium, pour l’instant. Il va y avoir de sérieux embouteillages, dans quelques semaines, chez tous les prestataires de post-production. Dans le cas de cette série, la diffusion est prévue pour début 2021, il devrait donc rester un temps raisonnable pour finaliser les épisodes.
En bande dessinée, j’avais deux albums qui devaient paraître en avril et mai. Ils sont tous les deux reportés, je ne sais pas exactement quand. L’un est déjà imprimé, l’autre non.
Qu'est-ce que vous lisez ou regardez ? Votre rapport à la lecture ou au visionnage de films et séries a-t-il changé ?
F.N. : J’ai des habitudes de visionnage un peu particulières : je suis uniquement mes envies, pas du tout l’actualité. Je suis rétrograde, j’ai encore beaucoup de DVD ! Ces jours-ci, je regarde de vieux films de science-fiction, par exemple. Il peut m’arriver de lancer un petit cycle, disons plusieurs films de Cronenberg d’affilée. Avant, c’était une intégrale des frères Coen. Je n’ai pas regardé de série récemment : la seule que j’ai vue cette année est une assez ancienne série d’animation japonaise, Neon Genesis Evangelion. Formidable.
Ah, et puis j’ai revu tout Albator avec mes garçons, et je leur fais aussi un cycle western : Rio Bravo, Les Sept Mercenaires, Winchester 73… Disons, deux par semaine. Et il y a quelques films qui m’intéressent, et que je peux leur montrer : Le Voyage fantastique, Le jour où la terre s’arrêta, etc.
En tant qu'auteur du livre et de l'audiovisuel, comment envisagez-vous les perspectives de ces filières pour ces prochains mois ?
F.N. : Les librairies vont rouvrir. Les commandes et les ventes seront divisées par 2 ou 3, mais les livres sortiront tout de même. Ils auront une chance d’exister. Mon activité en BD sera impactée, bien sûr, comme celles de tous les auteurs, mais elle ne sera pas stoppée.
En audiovisuel, c’est plus compliqué. Aucun tournage n’est possible, et pas seulement pour la durée du confinement : tant qu’il n’y a pas de vaccin au Covid-19, je ne crois pas qu’un tournage puisse avoir lieu. Les règles de distanciation sociale sont impossibles à respecter : pas seulement les comédiens qui sont en contact sur scène, mais aussi le maquillage, la coiffure, les costumes… Aujourd’hui, si un membre d’une équipe technique ou artistique était diagnostiqué positif, tout le tournage serait interrompu plusieurs semaines : aucune compagnie d’assurance ne peut assumer un tel risque, et un tournage sans assurance est impossible.
"Enfin, il y a le fait que beaucoup de gens vont se retrouver dans une situation précaire et même dramatique : certaines dépenses culturelles vont s’en ressentir, c’est inévitable."
Je pense que pour les fictions, les diffuseurs ont environ un an, un an et demi de programmes déjà tournés, qu’ils pourront finaliser. Mais ensuite ? Je n’en sais rien. Sans compter qu’une population traumatisée ne va pas se ruer dans des salles de cinéma, concert ou théâtre. Les plateformes vont prendre encore plus de pouvoir. Or, comme les GAFA ont une vision du droit du travail ou du droit d’auteur assez féodale, j’ai bien peur qu’ils ne redistribuent pas grand-chose de leurs gains à l’arrivée…
Enfin, il y a le fait que beaucoup de gens vont se retrouver dans une situation précaire et même dramatique : certaines dépenses culturelles vont s’en ressentir, c’est inévitable. Mais quoi qu’il arrive, les gens auront toujours besoin qu’on leur raconte des histoires. Ne serait-ce que pour s’évader.