Écritures en 3D au Chalet Mauriac
Ce n'est pas sans plaisir et avec une pointe d'appréhension que je me replonge dans mes souvenirs de résidences au Chalet Mauriac – pendant l'été 2019 et l'automne 2020, deux séjours pour donner existence à deux projets de fiction 3D pour la réalité virtuelle. Alors que le premier est prêt à entrer en production, le deuxième est encore en gestation, deux cheminements émanant du même processus dont je cherche à comprendre les ressorts : y a-t-il une recette magique, une marche à suivre pour créer un premier puis un deuxième, ou même simplement cet article ? Comment c'était d'écrire au Chalet ? Voilà l'occasion qui me manquait de revenir sur l'acte, et de dépasser les peurs étranges qui l'accompagnent.
mise en route
J'ai jeté les premières idées de cet article dans une suite de mots en mode automatique, la vérité m'échappait, elle n'était pas encore là. Au commencement, il y a sûrement ce temps d'échauffement, ce temps de réflexion trop froide qui demande de laisser une nuit passer, parfois plusieurs, pour entrer en matière. Pour mon premier projet, Mamie Lou, les faits personnels, terribles, m'avaient saisi d'un coup, servant d'ossature au récit : aucune attente, aucune hésitation. Pour mon deuxième, au contraire, il aura fallu des nuits pour relier les événements signifiants, et accepter de naviguer dans la brume, comme l'automne qui envahissait les Landes autour du Chalet.
imprégnation
Je suis revenue sur les photos de mes séjours, des instants de vie au Chalet qui se relancent et me ramènent dans la chaleur du lieu, le soleil des balades au lac, l'humidité tiède d'une séance photo dans les Landes, les peintures rouges qui teintaient les bois pendant les cueillettes de champignon, l'énergie des nouvelles rencontres qui ont rythmé un mois de résidence, puis un deuxième... Pour l'écriture de Mamie Lou, pas de photos pour m'imprégner mais des souvenirs personnels qui restaient gravés dans ma mémoire. Pour mon deuxième projet, Carole s'envole, ce sont les souvenirs de mes oncles et des lettres de ma mère découvertes quelques mois plus tôt qui auront nourri les événements et les lieux du récit.
idéation
Parmi ces photos, il y avait en leitmotiv des détails de décor attrapés dans un rayon de soleil, l'ampoule qui se projette au plafond dans la chambre, les volets rouges qui diffractent la lumière à travers la fenêtre du bureau. Ils me projettent dans les moments de concentration, parfois douloureux mais nécessaires pour tenir un univers intérieur dans les airs, le temps de le modeler avant de pouvoir le coucher sur le papier. Les idées se révèlent souvent dans les premières heures du lever, consolidées pendant la nuit. Il faut oser les retenir dans sa tête, les laisser tourner en rond pour pouvoir en faire le tour. Toujours l'impression de flotter dans la brume, les choses se dessinent parfois très lentement, elles sont là, on les sent, pourtant les contours restent flous, la raison s'y perd. Alors on interroge, on répète la question, pourquoi ? L'imaginaire ne se suffit pas, il faut faire sens, trouver à l'intérieur de soi le motif qui pousse à sortir, se laisser tirer par l'émotion pour pouvoir raconter. Ici, dans ce texte, c'est une curiosité autour de l'acte de création, là-bas, la résolution de questions existentielles : Mamie Lou trace un chemin de paix dans le deuil et la mort. Carole s'envole dessine une cartographie de libération de l'être.
dessein
Alors il faut se jeter au saut du lit sur l'ordinateur dans une curieuse glissade pour passer du lit au bureau qui en constitue la tête, celle de ce mobilier moderne qui projette le Chalet Mauriac dans le futur comme un vaisseau. Et me remet le cœur à l'ouvrage de mon entreprise d'exploration technologique : concevoir un film 3D pour la réalité virtuelle. C'est le moment d'écrire, de se plonger dans l'histoire avec des mots, la description des premières séquences, et parfois des images ! L'enchaînement des premières scènes de Mamie Lou m'était apparu clairement et j'avais voulu en fabriquer des croquis et des décors en 3D : j'arrivais en résidence les mains pleines d'une première maquette créée avec un outil de peinture 3D sur laquelle j'allais travailler. Elle permettait de se plonger dans l'histoire et dans le point de vue du spectateur : il allait jouer un esprit, vivre la sensation de changer d'échelle en s'incarnant au chevet de Mamie Lou, entrer dans l'intimité de ses souvenirs. Pour Carole s'envole, les premières séquences se sont couchées un peu timidement sur le papier, suivies d'une série de cartes émotionnelles. Les premières images sont quant à elles encore en flottaison dans ma tête...
parcours
Dedans-dehors, aller et venir entre soi et le monde extérieur, passer de la réalité virtuelle à celle des grandes pièces du Chalet, à la forêt de pins tout proches. Parcourir cette maison mutante et transformative, tantôt chalet, tantôt château, tantôt cabane, qui héberge les imaginaires, les égos en bataille, enveloppés dans la bienveillance de ses hôtes passés et présents. Voilà quelque chose qui oblige et qui aide – à exister dans un monde d'écriture, à trouver une place, à dénouer les nœuds intérieurs. Ici, localiser la peur d'écrire, là-bas, affronter la peur d'un conflit familial irrésolu. Dans les souvenirs de Mamie Lou se cache un regret coupable, révélé par les épreuves médicales à la fin de sa vie, alors que j'allais enfin au bout de mon premier scénario. Dans les rêves de Carole s'envole, c'est un désir étouffé qui se libère grâce au spectateur, qui tirera les fils dans un scénario qu'il me reste à écrire.
démon + monstration =
Au moment où la fin pointe le bout de son nez, c'est là que je dévale les étages qui me séparent de la grande cuisine du Chalet : mes tasses sont vides ! Panique, manque d'énergie, trépignements, agitations, que se passe-t-il ? Minette entre nonchalamment dans la cuisine pour un ravitaillement de croquettes, moi je prends des munitions, une théière de gingembre, une grande tasse de café serré, quelques rayons de soleil, je me laisserais happer... n'est-il pas bientôt l'heure de déjeuner ? Oui ! J'ai été sauvée par d'autres résidents venus lancer les grandes manœuvres en cuisine, la distraction que j'attendais bien sûr. Mais surtout le soutien dont j'avais besoin : partager le travail, en parler pour laisser filer la peur. Montrer pour débusquer le monstre...
Si le projet de Mamie Lou n'est pas né au Chalet, il y a poussé pour prendre forme. Il aura fallu les vœux des bonnes fées qui l'ont sélectionné, les soins de celles qui l'ont accueilli, l'attention délicate de son entourage qui a pris la température, a accepté de plonger pour la première fois dans la réalité virtuelle au milieu des images 3D, et a relu son scénario avec douceur.
Merci à elles, merci aux créateurs et aux créatrices que j'ai eu la chance d'y croiser.
Carole s'envole est un projet de suite initié au Chalet Mauriac. Si cet article qui célèbre 10 ans de création m'y ramène pour en partager des nouvelles, c'est bien que c'est ici que je laisse filer la peur ! Temps pour moi de repartir en écriture...
(Photo : aldanjou)