Festival de journalisme de Couthures : "Le reflet et l’écho" ouvre le champ
Le Festival international de journalisme accueille ce vendredi 12 juillet à Couthures-sur-Garonne, en présence de sa réalisatrice, un film particulièrement touchant, consacré à un sujet peu abordé dans le cinéma documentaire : l’éducation des enfants sourds et malentendants. Le reflet et l’écho a été réalisé par la jeune documentariste Marthe Poumeyrol et produit par Thaïs Pizzuti avec l'association bordelaise La Troisième Porte à gauche.
Vous avez fait le CRÉADOC à Angoulême et votre film d’étude, intitulé Miniature, est consacré à l’enfance. Qu’est-ce qui vous attire dans le sujet de l’enfance et qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser Le reflet et l’écho autour des enfants sourds ?
Marthe Poumeyrol : Parallèlement à mes études, j’ai été animatrice dans des centres sociaux et de loisirs pour pouvoir vivre. J’ai beaucoup aimé travailler avec des enfants et je continue encore aujourd’hui grâce à des ateliers cinéma. L’enfance est l’âge de tous les possibles, de la construction de soi. Il y a quelque chose qui se joue à ce moment-là qui détermine le futur de la société. Je m’interroge sur l’apprentissage des enfants, sur ce qu’on leur propose comme ouverture au monde. Leur imaginaire, leur curiosité me touchent beaucoup aussi.
Pour Le reflet et l’écho, c’est un hasard : un ami architecte partageait notre local de La Troisième Porte à gauche. Il était en train de participer à l'élaboration d'un projet innovant de construction d’un centre pour enfants sourds et malentendants [le CAL : centre d’audition et du langage à Mérignac dans la banlieue bordelaise, ndlr]. Il me parlait avec passion de ce projet qui était une première pour lui car il n’avait jamais travaillé sur des bâtiments pour publics sourds : il avait à concevoir des solutions techniques spécifiques. C’est alors qu’il m’a dit : "Il y a peut-être un film à faire…". Le film est parti de là. J’ai assisté à de nombreuses réunions où les architectes rencontraient les personnels du centre existant amené à déménager dans le futur bâtiment. Puis, j’ai eu envie de rencontrer les enfants dont on parlait tant dans les réunions. Ensuite, j’ai passé des journées entières dans le centre, de classe en classe.
Quels écueils avez-vous rencontrés ?
M.P. : Je ne faisais pas partie de la communauté bordelaise de sourds où tout le monde se connaît… Cela a pu être une difficulté car si j’ai été bien accueillie par certains professionnels, d’autres étaient plus méfiants. Ils ne voyaient pas d’un bon œil l’arrivée d’une caméra dans leur salle de classe… Et en plus, je ne connaissais pas la langue des signes…
Vous l’avez donc apprise ?
M.P. : Oui, je l’apprends. J’ai commencé pendant le repérage et le tournage du film avec une association à Gradignan1. Je suis arrivée avec ce désir de film et, à force de rencontres, d’échanges, des liens se sont noués. Un groupe s’est constitué autour du projet. Petit à petit, les choses sont venues d’elles-mêmes, presque naturellement, en tout cas avec évidence. Au bout du compte, j’étais attendue et bienvenue, particulièrement auprès du petit groupe des trois enfants du film : Quentin, Enzo et Matis. Avec eux, il se passait des choses très chouettes…
Marthe Poumeyrol : Parallèlement à mes études, j’ai été animatrice dans des centres sociaux et de loisirs pour pouvoir vivre. J’ai beaucoup aimé travailler avec des enfants et je continue encore aujourd’hui grâce à des ateliers cinéma. L’enfance est l’âge de tous les possibles, de la construction de soi. Il y a quelque chose qui se joue à ce moment-là qui détermine le futur de la société. Je m’interroge sur l’apprentissage des enfants, sur ce qu’on leur propose comme ouverture au monde. Leur imaginaire, leur curiosité me touchent beaucoup aussi.
Pour Le reflet et l’écho, c’est un hasard : un ami architecte partageait notre local de La Troisième Porte à gauche. Il était en train de participer à l'élaboration d'un projet innovant de construction d’un centre pour enfants sourds et malentendants [le CAL : centre d’audition et du langage à Mérignac dans la banlieue bordelaise, ndlr]. Il me parlait avec passion de ce projet qui était une première pour lui car il n’avait jamais travaillé sur des bâtiments pour publics sourds : il avait à concevoir des solutions techniques spécifiques. C’est alors qu’il m’a dit : "Il y a peut-être un film à faire…". Le film est parti de là. J’ai assisté à de nombreuses réunions où les architectes rencontraient les personnels du centre existant amené à déménager dans le futur bâtiment. Puis, j’ai eu envie de rencontrer les enfants dont on parlait tant dans les réunions. Ensuite, j’ai passé des journées entières dans le centre, de classe en classe.
Quels écueils avez-vous rencontrés ?
M.P. : Je ne faisais pas partie de la communauté bordelaise de sourds où tout le monde se connaît… Cela a pu être une difficulté car si j’ai été bien accueillie par certains professionnels, d’autres étaient plus méfiants. Ils ne voyaient pas d’un bon œil l’arrivée d’une caméra dans leur salle de classe… Et en plus, je ne connaissais pas la langue des signes…
Vous l’avez donc apprise ?
M.P. : Oui, je l’apprends. J’ai commencé pendant le repérage et le tournage du film avec une association à Gradignan1. Je suis arrivée avec ce désir de film et, à force de rencontres, d’échanges, des liens se sont noués. Un groupe s’est constitué autour du projet. Petit à petit, les choses sont venues d’elles-mêmes, presque naturellement, en tout cas avec évidence. Au bout du compte, j’étais attendue et bienvenue, particulièrement auprès du petit groupe des trois enfants du film : Quentin, Enzo et Matis. Avec eux, il se passait des choses très chouettes…
"Pour faire ressortir cette solitude, cet enfermement, j'ai choisi des plans serrés."
Au début du documentaire, les enfants sont fermés. On perçoit à certains moments de la détresse dans leur regard. Puis au fur et à mesure on les voit s’épanouir, communiquer entre eux, s’ouvrir au monde. Comment avez-vous pensé le film ?
M.P. : L’idée qui sous-tend le film est d’élargir le cadre au fur et à mesure. J’ai fait le repérage pendant un an, puis j’ai tourné pendant un an. L’année où j’ai repéré a correspondu pour certains à leur première année dans le centre. Ils venaient de l’école classique et n’allaient pas bien. L’équipe avait alors réagi. Je suis arrivée à ce moment-là et j’ai découvert des enfants vraiment fermés. Les éducateurs ont passé l’année à essayer d’entrer en communication avec eux et de les sortir de leur bulle. J’ai assisté à cela et réalisé que c’est ce que je voulais raconter : ce travail tout en finesse des personnels, presque imperceptible.
Pour faire ressortir cette solitude, cet enfermement, j'ai choisi des plans serrés. Dans les premières séquences, pendant l’atelier de peinture, la caméra est très proche d’eux. On voit des mains, puis des visages. En avançant dans le film, le cadrage s’élargit et, à la fin, on voit les trois enfants dans le même plan à la cantine en train de discuter… La caméra accompagne l’ouverture de leur horizon avec l’élargissement du cadre.
À un moment du film, vous filmez la pose de la première pierre du futur bâtiment avec les allocutions des officiels en présence des équipes pédagogiques et des enfants. Qu’avez-vous voulu montrer ?
M.P. : Ce nouveau bâtiment traduit la façon dont l’institution pense l’apprentissage et l’éducation de ces enfants sourds. C’est une question très politique en réalité. Il y a d’un côté les éducateurs et enseignants, proches de ces enfants, qui font des choix au quotidien – par exemple, enseigner la langue des signes ou proposer des ateliers d’apprentissage en complément des temps de classe. Du côté des instances de décision, on est en train de penser à autre chose, ce qui pourrait être bien pour eux. Il y a un décalage entre les deux sphères. J’aime bien cette scène où se déroule le discours politique avec les termes de circonstance, pendant que les enfants sont dissipés et n’écoutent pas alors que cette parole est censée leur être adressée…
M.P. : L’idée qui sous-tend le film est d’élargir le cadre au fur et à mesure. J’ai fait le repérage pendant un an, puis j’ai tourné pendant un an. L’année où j’ai repéré a correspondu pour certains à leur première année dans le centre. Ils venaient de l’école classique et n’allaient pas bien. L’équipe avait alors réagi. Je suis arrivée à ce moment-là et j’ai découvert des enfants vraiment fermés. Les éducateurs ont passé l’année à essayer d’entrer en communication avec eux et de les sortir de leur bulle. J’ai assisté à cela et réalisé que c’est ce que je voulais raconter : ce travail tout en finesse des personnels, presque imperceptible.
Pour faire ressortir cette solitude, cet enfermement, j'ai choisi des plans serrés. Dans les premières séquences, pendant l’atelier de peinture, la caméra est très proche d’eux. On voit des mains, puis des visages. En avançant dans le film, le cadrage s’élargit et, à la fin, on voit les trois enfants dans le même plan à la cantine en train de discuter… La caméra accompagne l’ouverture de leur horizon avec l’élargissement du cadre.
À un moment du film, vous filmez la pose de la première pierre du futur bâtiment avec les allocutions des officiels en présence des équipes pédagogiques et des enfants. Qu’avez-vous voulu montrer ?
M.P. : Ce nouveau bâtiment traduit la façon dont l’institution pense l’apprentissage et l’éducation de ces enfants sourds. C’est une question très politique en réalité. Il y a d’un côté les éducateurs et enseignants, proches de ces enfants, qui font des choix au quotidien – par exemple, enseigner la langue des signes ou proposer des ateliers d’apprentissage en complément des temps de classe. Du côté des instances de décision, on est en train de penser à autre chose, ce qui pourrait être bien pour eux. Il y a un décalage entre les deux sphères. J’aime bien cette scène où se déroule le discours politique avec les termes de circonstance, pendant que les enfants sont dissipés et n’écoutent pas alors que cette parole est censée leur être adressée…
"Mais la question essentielle est comment les enfants vont pouvoir être au monde ? La surdité est souvent abordée sous l’angle médical. Il faudrait penser différemment."
En même temps, le projet est novateur car pour la première fois en France, à Mérignac, on intègre un centre spécialisé dans une école classique, maternelle et primaire, assortie d’un centre de loisir, avec une volonté d’immersion…
M.P. : Oui, il existe bien des classes de sourds bilingues, à Toulouse par exemple. Là, c’est un centre qui s’installe à côté de plusieurs écoles, pas dedans. Mais la question essentielle est comment les enfants vont pouvoir être au monde ? La surdité est souvent abordée sous l’angle médical. Il faudrait penser différemment. La langue des signes est un apprentissage qui me paraît nécessaire… Et puis l'autre question est comment les entendants les accueillent ? En France, il y a peu d’endroits adaptés pour eux et leur accessibilité est très limitée.
Comment avez-vous travaillé le son ?
M.P. : On a travaillé des séquences sur la perception, sans aller jusqu’à supprimer le son : les sourds perçoivent des sons, et cette perception peut être différente d’une personne à l’autre. Pour les séquences avec musique, on a créé une composition artistique sur d’autres registres. Pour cela, j’ai travaillé avec le compositeur [Félix Lacoste] et le monteur-son [Raphaël Mouterde, ndlr] : le musicien est arrivé avec des propositions mélodiques et le monteur-son avec des transformations de sons, des répétitions de bruitages – comme des bruits de bicyclettes par exemple – et avec ce matériau, ils jouaient avec la musique mélodique. Lorsque Matis traverse la cour, il est dans sa bulle : qu’est-ce qu’il perçoit du mouvement alentour ? On ne sait pas ce qu’il entend, mais on l’imagine…
Vous faites partie du collectif La Troisième Porte à gauche à Bordeaux créé par Christophe Leroy et Adrien Camus. Qu’est-ce qui vous a incitée à le rejoindre ?
M.P. : Après le CRÉADOC – deux années intenses au sein d’un petit groupe –, j’ai trouvé très difficile d’écrire et préparer des films en solitaire. Dans ce collectif, il y a une dynamique. On partage ensemble des moments de cinéma, sur nos propres projets ou autour de ce qui se produit en général.
M.P. : Oui, il existe bien des classes de sourds bilingues, à Toulouse par exemple. Là, c’est un centre qui s’installe à côté de plusieurs écoles, pas dedans. Mais la question essentielle est comment les enfants vont pouvoir être au monde ? La surdité est souvent abordée sous l’angle médical. Il faudrait penser différemment. La langue des signes est un apprentissage qui me paraît nécessaire… Et puis l'autre question est comment les entendants les accueillent ? En France, il y a peu d’endroits adaptés pour eux et leur accessibilité est très limitée.
Comment avez-vous travaillé le son ?
M.P. : On a travaillé des séquences sur la perception, sans aller jusqu’à supprimer le son : les sourds perçoivent des sons, et cette perception peut être différente d’une personne à l’autre. Pour les séquences avec musique, on a créé une composition artistique sur d’autres registres. Pour cela, j’ai travaillé avec le compositeur [Félix Lacoste] et le monteur-son [Raphaël Mouterde, ndlr] : le musicien est arrivé avec des propositions mélodiques et le monteur-son avec des transformations de sons, des répétitions de bruitages – comme des bruits de bicyclettes par exemple – et avec ce matériau, ils jouaient avec la musique mélodique. Lorsque Matis traverse la cour, il est dans sa bulle : qu’est-ce qu’il perçoit du mouvement alentour ? On ne sait pas ce qu’il entend, mais on l’imagine…
Vous faites partie du collectif La Troisième Porte à gauche à Bordeaux créé par Christophe Leroy et Adrien Camus. Qu’est-ce qui vous a incitée à le rejoindre ?
M.P. : Après le CRÉADOC – deux années intenses au sein d’un petit groupe –, j’ai trouvé très difficile d’écrire et préparer des films en solitaire. Dans ce collectif, il y a une dynamique. On partage ensemble des moments de cinéma, sur nos propres projets ou autour de ce qui se produit en général.
Un projet en vue ?
M.P. : Oui, autour des enfants ! Cette fois autour du rapport entre les enfants et l’art. Mais c’est trop tôt pour en parler…
1 Association Visuel LSF : http://www.visuel-lsf.org/reseau/nouvelle-aquitaine
Après des études universitaires à Nantes, elle a intégré le domaine de la communication et de l’édition au sein de la revue 303 d’art et de patrimoine de la Région des Pays de la Loire. Après un long parcours au Centre régional des lettres d’Aquitaine, devenu Arpel, puis Écla Aquitaine en tant que responsable de la communication et des publications, elle poursuit une activité d’écriture en free-lance.