Fifib 2020 : une édition sous le signe du basculement
Pour sa neuvième édition, le Festival international du film indépendant de Bordeaux se tient du 14 au 19 octobre. Une année un peu particulière, Covid oblige, mais foisonnante de propositions. Rencontre avec ses deux fondatrices et directrices Johanna Caraire et Pauline Reiffers.
Vous avez réussi à maintenir la tenue du festival. Pouvez-vous nous donner les grandes lignes de cette édition 2020 ?
Johanna Caraire : Nous avons sélectionné cette année des films qui viennent des tripes, qui bousculent. Nous présentons des films aux antipodes, avec de l'action, de la profondeur, beaucoup d'engagement, de prise de risque et de parti pris politique. L’impression qui se dégage de la programmation est celle d'un monde au bord de l'effondrement et donc du renouveau, avec cette sensation de basculement.
Pauline Reiffers : Je tiens à préciser que 2020 est une édition avec toute ses compétitions, comme chaque année : longs métrages internationaux, longs et courts métrages français et Contrebande, une compétition qui récompense des films autoproduits et non distribués. À côté de ça, comme toujours, il y a des avant-premières, des cartes blanches, des séances spéciales...
Une programmation forte et des invité(e)s aussi très engagé(e)s, comme Maïmouna Doucouré ou Lio. Comment choisissez-vous votre jury ?
J.C. : Depuis la première édition du Fifib, nous avons voulu rendre hommage aux gens qui l'ouvrent, qui prennent des risques, qui ne sont pas forcément là où on les attend. La première égérie du festival en 2012 était Adèle Haenel. Je pense qu'elle nous a porté chance ! Nous invitons donc des personnes qui nous touchent, dont nous admirons le parcours et qui représentent notre idée de l'indépendance.
P.R. : Il a plein d'autre personnes que nous aimerions inviter. Il y a beaucoup de tournages en octobre et il n'est pas toujours facile de trouver une semaine entière de disponibilité pour participer à un jury. On adorerait inviter Bong Joon-ho, par exemple.
"Nous voulions aussi mettre en avant le collectif, la solidarité. C'est pour cela qu'il y a la compétition Contrebande, avec des propositions atypiques et des films financés autrement que par le circuit classique."
Vous n'êtes pas du sérail et c'est par le biais d'une association de cinéma lors de vos études que vous vous êtes rencontrées et que vous avez décidé de créer le Fifib. Quelle était votre volonté de départ ?
P.R. : Nous avons monté le festival par passion, en improvisant et avec l'envie de défendre le cinéma indépendant et une manière de faire les films.
J.C. : Il ne s'agissait pas vraiment de célébrer un genre de cinéma mais plutôt une manière de créer des films, de les monter et de le faire dans la liberté. Nous voulions aussi mettre en avant le collectif, la solidarité. C'est pour cela qu'il y a la compétition Contrebande, avec des propositions atypiques et des films financés autrement que par le circuit classique. Le cinéma est en train de bouger, parce qu'il y a des gens qui viennent d'autres horizons, qui utilisent d'autres technologies, et il se renouvelle.
Parmi ces six jours de films et d’événements, professionnels et grand public, dans plusieurs lieux de Bordeaux, que nous conseillez-vous ?
J.C. : Il faudra d’abord choisir, lors de la double soirée d'ouverture avec la présentation d'ADN, le film de Maïwenn, un film grand public sur la famille, les racines, où l’on pleure et où l’on rit. Le même soir, à l'Utopia, nous montrons le film de Mohammad Rasoulof, Le Diable n'existe pas, Ours d'or à la Berlinale, qui est un film magnifique sur la peine de mort en Iran. Nous sommes très heureuses aussi que les deux cartes blanche Musique et cinéma puissent avoir lieu. Il s’agit de soirées en partenariat avec le Rocher de Palmer, avec deux musiciennes : Rebeka Warrior (avec un concert de Kompromat) qui vient présenter Orphée de Jean Cocteau et Maud Geffray, musicienne electro et productrice, qui fera une performance hommage à Philip Glass et un duo avec une harpiste.
P.R. : Parce qu'il faut choisir, je dirais aussi la masterclass de Sébastien Lifshitz, déjà venu l'année dernière en compétition avec Adolescentes et qui revient cette année avec en première française Petite fille, son dernier documentaire sur une petite fille née garçon.
J.C. : Il y a aussi la carte blanche à Lio, le focus Laetitia Dosch et plein d'avant-premières, ainsi qu'une nouveauté cette année : des séances pour les enfants, dès 3 ans, avec des films d'animation le mercredi et le dimanche.
Le Fifib, c'est aussi des rencontres professionnelles, l'occasion de réunir les acteurs de la filière cinéma, lors du Fifib création. L’occasion aussi de favoriser l’émergence de jeunes auteurs avec, entre autres, la journée WIP, vous pouvez nous expliquer ?
J.C. : Nous avons créé une journée Work In Progress autour du soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine à la postproduction. Le fonds est passé de 150 000 à 200 000 euros et a été ouvert aux longs métrages. Nous avons invité des vendeurs et des distributeurs qui viendront voir des films en cours de montage, qui seront primés et peuvent être achetés.
P.R. : On ouvre aussi cette année une formation au scénario "du court au long" à Bordeaux avec la Fémis. Et bien sûr, nos deux résidences : le C.L.O.S. pour les projets de scénario au château de Saint-Maigrin et Talents en court, coorganisée avec le Poitiers Film Festival et le Festival du cinéma de Brive.
"C'est une bonne chose que, pour cette 9e édition, l'accent soit mis sur les salles de cinéma et moins sur le côté festif. La profession est plus que jamais en danger et il nous tenait à cœur de pouvoir faire exister les films en salle."
On ne peut pas y couper : 2020 est une année bouleversée par le Covid. Qu’est-ce qui change pour le Fifib ?
P.R. : Nous avons pris la décision, après les annonces de la préfecture, de fermer le Village Mably au grand public, donc il n'y aura plus de concert ou de film en plein air. Le village restera ouvert pour les professionnels, c'est là que vont se retrouver les équipes de films qui viennent sur le festival. Autre conséquence du Covid : il y aura peu d'équipes de film qui viennent de l'international. Nous avons privilégié des projets français, parce que nous savions que ce serait compliqué de faire venir des équipes étrangères. Sinon, nous nous adaptons aux jauges des cinémas (70% des capacités environ car les gens viennent en groupe). Pour la soirée d'ouverture, il ne faut pas tarder à prendre ses places car la jauge est plus petite que d’habitude et les places partent vite !
J.C. : L'annulation du Festival de Cannes a aussi changé la donne. La sélection des films en a été plus compliquée. Finalement, c'est une bonne chose que, pour cette 9e édition, l'accent soit mis sur les salles de cinéma et moins sur le côté festif. La profession est plus que jamais en danger et il nous tenait à cœur de pouvoir faire exister les films en salle. Pouvoir aller au cinéma, voir un film et échanger avec le réalisateur à l'issue de la séance apparait déjà comme extraordinaire.
Après une édition donc adaptée en 2020, que peut-on vous souhaiter pour 2021 ?
P.R. : L’année prochaine sera importante car nous célébrerons les 10 ans du Fifib. Nous espérons pouvoir faire une vraie fête du cinéma avec des invités venant de partout dans le monde et plein de films. L'intérêt d'un festival, c'est aussi les rencontres, alors on espère qu'en 2021, on pourra échanger, se toucher, s'embrasser et profiter du côté convivial et festif du festival !