Géraldine Ruiz et les jeunes du lycée Vaclav-Havel : la fierté dans les yeux


Le 16 avril 2025, rendez-vous était donné au lycée Vaclav-Havel de Bègles. Lycéens et enseignants sont venus écouter en direct l’émission radio réalisée par douze élèves de Terminale sous la direction artistique de Géraldine Ruiz. L’autrice de Memphis rebelle a passé plusieurs semaines au sein du lycée dans le cadre d’une Résidence en territoire, dispositif d’éducation artistique porté par ALCA. C’est à partir de ce livre-enquête sur le racisme et la ségrégation dans le Sud des États-Unis que Géraldine Ruiz a déployé un projet de médiation et de création aux multiples facettes, avec en point d’orgue, ce temps de restitution où les jeunes apprentis-journalistes ont brillé par leur talent.
Ils sont venus nombreux, ce jour-là – plus d’une centaine de lycéens et lycéennes – pour écouter en live l’émission radio réalisée par leurs camarades, les douze volontaires de trois classes de Terminale du lycée Vaclav-Havel. En vingt minutes environ, les six élèves au plateau et six autres en régie ont animé avec brio une émission consacrée à l’influence de la culture et de la civilisation américaines en France. "Nous sommes devenus, sans nous en rendre compte, des petits 'Franco-Américains' ", annonce en préambule l’un des apprentis-journalistes. S’enchaînent ensuite une série de reportages sur les domaines d’influence américaine les plus caractéristiques : fastfood, musique, cinéma et sport. La cadence – interviews, extraits sonores, commentaires en directs –, la qualité des reportages et des enquêtes, la fluidité et la cohésion de l’ensemble sont bluffants. D’autant plus lorsqu’on sait que l’ensemble du travail de préparation – recherches et reportages en extérieur inclus –, piloté par Géraldine Ruiz, n’a duré que cinq jours. De quoi être fier de soi, comme le dit l’un des élèves, Noa, sans fausse pudeur : "On a abattu un travail assez colossal et je trouve qu’on a fait quelque chose de plutôt quali, au final."
Des acquis pour la vie
Cette satisfaction à l’égard du travail accompli s’accompagne d’un gain de confiance en soi, qui fait partie des objectifs essentiels de ce genre de projet. Par la pratique artistique, autrice et professeurs font prendre conscience aux élèves des enseignements qui leur sont prodigués toute l’année et qui vont bien au-delà des matières enseignées. Il s’agit d’acquérir des modes de pensée et de comportement qui leur serviront à divers endroits dans leur vie, comme l’esprit critique ou le courage de se lancer et de dépasser ses appréhensions. C’est le constat de Loane, rédactrice en cheffe de l’émission : "Au départ, cela nous paraissait un gros projet, de faire toute une émission de radio. On ne pensait pas y arriver, mais au final, si ! C’est hyper impressionnant de se dire qu’on a réussi à faire ça, cela nous a mis en confiance." Ou encore, l’analyse de Sarah-Lou, partie interviewer avec Julia le programmateur de l’Utopia pour leur reportage sur la relation des Français avec le cinéma : "Cela ne nous paraissait pas réalisable, mais on s’est rendu compte qu’il suffisait juste de passer un coup de téléphone. On a compris que quand on est journaliste, tout est possible." Propos sur lesquels rebondit Adeline Rivière, enseignante d’anglais et référente dans ce projet : "Il faudra vous en souvenir pour la vie, cela ne vaut pas simplement quand on est journaliste, il faut oser, aller frapper aux portes, et ça passe ou ça casse. Il faut y aller ! Ne vous autocensurez pas."
Partager son vécu
Ces temps d’échanges, a posteriori, où sont réunis tous les protagonistes du projet – élèves, enseignants, artiste – sont presque aussi importants que l’aventure elle-même. Ils sont l’occasion, pour chacun, de partager ses impressions, ses émotions face à ce qu’il a vécu et de dire ce que l’on a pensé de soi, des autres, du groupe et des relations qui se sont nouées entre toutes les parties prenantes. C’est le moment, pour les enseignantes et l’artiste, de féliciter les élèves, et pour ces derniers, d’exprimer leur reconnaissance. Envers leurs enseignantes, d’une part, comme l’exprime Sarah-Lou, pour qui ce projet a éveillé une vocation : "On a la chance d’avoir certains profs, comme Mme Rivière, qui nous aident à nous libérer, qui nous permettent de nous exprimer, de développer notre esprit critique et notre sens de la rhétorique. Cela nous permet d’être curieux et cette expérience a encore accentué mon désir de découverte. Je peux dire que maintenant, le métier de journaliste m’intéresse." Et d’autre part, à l’égard de Géraldine Ruiz, qui a su les guider tout en encourageant leur autonomie, comme le soulignent Iliam et Jay-Mira : "Quand on a travaillé, on se sentait libres, on a choisi le sujet qu’on voulait, c’était incroyable de travailler avec vous. Vous nous faisiez confiance, vous ne nous disiez pas toujours quoi faire, vous nous laissiez libres et au final, ça a marché…"
Chaque participant a pu apprendre des autres, quelle que soit sa place. Ainsi, Adeline Rivière et Léa Saint-Amand, autre enseignante (SES) fortement investie dans cette aventure, réagissent aux propos de leurs élèves, en s’adressant à Géraldine Ruiz : "Tu les as mis en confiance. Nous, on n’arrive pas à faire ça, reconnaît la professeure d’anglais. Là, on les a sentis à l’aise et ils ont pris du plaisir." "C’est quelque chose qu’il faut retenir dans notre métier : l’importance de faire confiance, renchérit Léa Saint-Amand. Dans notre société, on croit de moins en moins en la jeunesse, on est plutôt dans un affrontement des générations. Or faire confiance à un jeune, cela le fait grandir."
Un apprentissage technique exigeant
Confiance, plaisir, liberté… La recette pourrait presque paraître simple, au vu du résultat. Pourtant, tout repose sur les connaissances et le savoir-faire d’une autrice, Géraldine Ruiz, qui parle avec passion de la radio, un média qu’elle maîtrise : "Je voulais vraiment faire une émission de radio pour la restitution, parce que j’ai déjà utilisé ce médium dans des établissements et je sais qu’il fonctionne très bien ; cela rend les élèves contents d’eux. J’ai moi-même fait de la radio, j’adore ça, et je sais ce que cela peut offrir. Quand tu t’assoies derrière le micro et que tu mets le casque, tu entre dans un monde qui amuse, et quand on appuie sur REC, il y a une espèce de tension et d’énergie qui émergent. Cela crée de beaux moments."
Mais avant de vivre cette adrénaline du direct, il y a tout le travail préparatoire, comme l’explique l’autrice : "Les élèves ont énormément travaillé. Ils ont d’abord essayé d’écrire seuls, mais ils ont vu que cela ne marchait pas, que l’on ne pouvait pas parler comme ça. On a alors repassé à la moulinette tous les textes pour les réécrire en “style radio” après avoir rédigé ensemble la trame des reportages. Il a fallu leur expliquer, par exemple, ce que signifie enrober : un texte/un son. Je leur ai fait écouter des émissions créées par des étudiants pour qu’ils comprennent un peu le principe. Au fur et à mesure, on remplissait le contenu et on déliait un fil commun."
Un projet tentaculaire
Autour de ce noyau dur attelé à la préparation de l’émission radio se sont greffées nombre de ramifications qui ont permis au projet de se développer à l’échelle de tout le lycée. Au total, ce sont plus de 180 élèves qui ont été concernés, dans différentes classes et divers niveaux. Il y a ceux qui sont venus prêter main forte pour la préparation de l’émission ; ceux qui ont réalisé des affiches pour illustrer le mouvement Black Lives Matter, accompagnés par leur professeur d’anglais Élodie Bernard ; ceux, enfin, nombreux, notamment en classe de SES, qui ont participé à des ateliers d’écriture animés par Géraldine Ruiz sur le thème de la ségrégation géographique.
Pour cette partie du projet, l’enseignante référente était Léa Saint-Amand, qui raconte : "Le projet d’écriture tournait autour des thématiques que l’on aborde en SES : les notions de déviance, d’étiquetage et de discrimination, quelles que soient ses formes et pas nécessairement aux États-Unis. On a travaillé également sur la notion de transfuge de classes. Ce travail de création mêlait un peu tout cela, ainsi que les expériences personnelles."
Lier l’intime à l’Histoire et aux grandes thématiques sociales dans une approche de journalisme gonzo, c’est la démarche artistique que Géraldine Ruiz déploie dans ses propres récits, comme dans Memphis rebelle, le livre qui a servi de point de départ à ce projet de résidence : "Je les ai invités à adopter une écriture personnelle, à dire “je”, à aller interroger leurs parents, leurs grands-parents, c’est-à-dire un peu la manière dont j’écris moi-même : je pars du personnel pour aller vers le général. J’ai insisté aussi sur la rigueur : on n’annonce pas des faits qui ne sont pas vérifiés, on ne donne pas son avis gratuitement… Nous avons ainsi travaillé également sur l’aspect journalistique. Et Léa [Saint-Amand], qui était à côté de moi, apportait les éléments théoriques et sociologiques. Donc cela fonctionnait très bien."
Tous les textes écrits par les jeunes durant ces ateliers seront publiés dans un recueil imprimé, dont un exemplaire sera remis à chaque élève. L’un d’eux, rédigé par un lycéen considéré par ses professeurs comme ayant des difficultés à l’écrit, a particulièrement marqué l’autrice et l’enseignante. Le jeune y raconte l’histoire de sa grand-mère – qu’il a interrogée des heures durant – et du quartier Nansouty où elle habite, à Bordeaux. Une enquête familiale mêlée de recherches documentaires sur l’époque et le lieu digne d’un professionnel. Un exemple parmi d’autres des belles surprises que réserve ces projets d’éducation artistique. Quelle que soient les difficultés, "on se rend compte que lorsqu’ils sont investis, tous les élèves peuvent y arriver", conclue Léa Saint-Amand. Pour Adeline Rivière, "des moments comme ça, c’est magnifique quand tu es prof. Tu as l’impression de servir vraiment à quelque chose." Quant à Géraldine Ruiz, elle retire de cette expérience à la fois "gratifiante et émouvante", des idées de sujets pour ses prochains livres et l’immense plaisir d’avoir contribué à amener ces jeunes à se dépasser : "J’ai été assez impressionnée. Les élèves se sont révélés, ils ont brillé !"