Avec Mathieu Siam et Thibaut Lambert, faire œuvre commune


Ce vendredi 14 mai 2025, la bonne humeur est au rendez-vous au Lycée polyvalent Nelson Mandela à Poitiers. Cela fait maintenant un an que les auteurs Mathieu Siam et Thibaut Lambert travaillent — avec plusieurs classes de ce lycée ainsi qu’avec des classes du lycée professionnel du Dolmen — à l’élaboration d’un spectacle musical dessiné : Bouboule de neige.
Dans le cadre de leur Résidence en territoire, les deux auteurs-illustrateurs avaient à cœur de transmettre leurs pratiques d’écriture et de dessin mais également le goût de la création collective. Le duo a savamment orchestré toutes les étapes de ce projet au long cours ; depuis la présentation aux élèves de leur conférence dessinée, jusqu’à la représentation qui va avoir lieu dans quelques minutes.
Au lycée Nelson Mandela, Kevin Saunders (professeur de lettres) ainsi que Louise Merlet et Nathalie Collin, toutes deux professeures documentalistes, ont accueilli avec enthousiasme les artistes tout comme Gérald Affalou (professeur documentaliste) et toute l’équipe enseignante du lycée de Dolmen.
Tout a commencé, en début d’année scolaire, par une présentation de la conférence dessinée Le Douanier Rousseau autour de la vie et l’œuvre du célèbre peintre. Pour Thibaut Lambert et Mathieu Siam, il s’agissait de faire connaissance avec les élèves tout en leur permettant de se familiariser avec le dispositif de la conférence dessinée. Pour beaucoup, ce fut une découverte qui leur a permis de mieux comprendre le projet auquel ils allaient participer : la création d’un spectacle autour du personnage de Bouboule de neige.
Pour les deux artistes, la spécificité et l’avantage du dispositif Résidence en territoire, c’est qu’il permet de prendre vraiment le temps avec les élèves et d’imaginer un projet audacieux. "On ne vient pas accompagner une œuvre déjà existante, mais bien la créer" expliquent les deux auteurs. C’est ainsi qu’ils se sont lancés dans la création d’un spectacle dessiné à destination d’autres élèves.
Pour aider les élèves à commencer, les deux auteurs ont imaginé une amorce d’histoire autour d’une thématique et ont esquissé le personnage de Bouboule. Depuis la rentrée des glaces, Bouboule de neige ne trouve pas sa place. Il se renferme sur lui, n’aime pas la bataille de neige et préfère regarder le paysage. L’histoire évoque la discrimination à l’école et plus particulièrement de la grossophobie.
Avec les classes de seconde générale, le duo d’artistes a rapidement proposé de constituer deux équipes. La première pour le dessin, la seconde pour l’écriture des textes. Le groupe chargé des illustrations en direct a exploré de nombreuses techniques : gouache, feutre, aquarelle, découpage. Pour Thibaut Lambert, l’enjeu pour les élèves est de trouver une certaine liberté : "au début, il faut surtout leur faire lâcher l’idée d’un dessin parfait. Ça n’est pas ce que l’on cherche quand on dessine en direct. On veut avant tout être expressif." Il faut expérimenter pour trouver comment suggérer la pluie, comment faire apparaître le printemps ou encore chercher comment un trait peut faire avancer le récit. Les élèves ont aussi dû apprendre les contraintes du dessin en live : faire attention à la caméra du visualiseur qui retransmet en direct les dessins sur l’écran de la scène, penser le cadre et la circulation des mains au-dessus de la page.
En parallèle de ces explorations plastiques, le second groupe travaillait l’histoire de Bouboule avec Mathieu Siam. Par petits groupes, les élèves ont développé une étape du script initial. Certains ont développé le personnage de Bouboule, d’autres ont pensé les interactions avec les camarades de Bouboule ou bien avec maître Yéti (le professeur qui aide le personnage à trouver sa place). Il fallait ensuite confronter les fragments d’histoires avec ce que le reste du groupe avait écrit afin de construire une aventure et un texte cohérents.
L’histoire imaginée par les élèves à partir du script proposé par les artistes ouvre de nombreux questionnements : Comment trouver sa place dans un groupe ? Comment faire avec les autres ? Mais c’est aussi un récit qui parle de la beauté et de l’apaisement que l’on peut trouver à contempler la nature et ses changements de saisons. Roman Vasselin Moulun, lycéen ayant participé à l’écriture de l’histoire, évoque son intérêt pour le sujet proposé par le duo d’artistes : "La discrimination passe souvent inaperçue et c’est bien de pouvoir en parler avec l’histoire de Bouboule."
Les étapes d’écriture et de dessin se sont développés en parallèle mais ont donné lieu à de nombreux échanges entre les groupes. Des moments de création collective qui ont visiblement été très appréciés des élèves. Yoanna Giraudon témoigne de son enthousiasme : "La discussion en groupe, réfléchir aux effets que l’on allait faire, choisir ensemble comment on allait raconter l’histoire, c’est vraiment ce que j’ai préféré. Sans le vouloir, on en apprend plus sur ses camarades et j’ai trouvé cela vraiment super." "J’aime beaucoup ce que l’on fait tous ensemble. Chacun a pu faire ressortir sa personnalité tout en intégrant un ensemble." complète Lina Feliz de Vargas.
Ce vendredi, lorsque l’on entre dans la salle qui est sur le point d’accueillir la représentation, on est impressionné par le décor qui s’y trouve. La silhouette d’un Yéti, et celle de Bouboule sont installées devant la scène. Derrière eux et sur la scène, un igloo, deux marmottes et un décor peint de montagne encadre l’écran où seront projetés les dessins réalisés en direct.
Ce sont les élèves des classes de Bac professionnel Aménagement Finition et les CAP Peinture du lycée Nelson Mandela qui ont travaillé sur le décor. Le chantier a commencé dès le début de l’année scolaire et a duré quelques mois. Mathieu Siam explique : "Il a fallu prendre en compte l’aspect décoratif mais aussi technique. Notamment pour la table sur laquelle les élèves dessinent. Elle doit s’intégrer au décor mais également être totalement anti-dérapante et supporter les petits chocs qui peuvent se produire en live. Sans cela l’image et les dessins risqueraient d’être gâchés." Les élèves, aidés de leurs professeurs, se sont énormément impliqués pour offrir le meilleur des décors aux élèves qui seraient sur scène.
De la même manière, au Lycée du Dolmen, deux classes ont également participé au projet. La première a réalisé plusieurs modèles d’affiches pour le spectacle ainsi que des planches dessinées mettant en scène Bouboule. Toutes ces images sont exposées sur les murs de la salle de spectacle. La seconde classe (bac pro animation enfance et personnes âgées), après avoir profité d’un temps d’échange et d’initiation au dessin avec les artistes, s’est rendue dans une classe de primaire d’Iteuil afin de proposer une après-midi médiation et animation autour du spectacle et du thème du harcèlement. Eymerick Beuson explique : "On a appris à dessiner Bouboule avec Mathieu et Thibaut et ensuite on a appris aux élèves d’Iteuil à le dessiner." En cohérence avec leur formation, les seconde du Dolmen ont ainsi œuvré à la médiation en amont du spectacle.
Ces élèves de primaire sont aujourd’hui au Lycée Mandela. Ils entrent dans la salle et prennent place dans le public pour assister à la représentation. Du côté des élèves qui s’apprêtent à dévoiler leur travail et à monter sur scène, on perçoit une certaine excitation mêlée de stress.
Le spectacle commence. Une jeune fille vient s’installer sur le bord de la scène et lit le texte qu’elle a écrit. La salle est attentive, dans les coulisses ou sur scène les élèves sont concentrés. Bouboule prend vie. Il apparaît sur l’écran qui retransmet les dessins produits en direct. Le duo de musique BhaM — composé de Gabriel Siam au clavier et de Justin Bernard à la batterie — accompagne la représentation. Les deux jeunes musiciens, en option musique au lycée Victor Hugo à Poitiers, ont composé une musique pour le spectacle. Légèrement narrative, elle rythme les lectures des élèves et contribue à donner vie aux aventures de Bouboule.
Les jeunes de l’équipe d’écriture se succèdent au micro tandis que les autres dessinent en direct, les uns après les autres ou à quatre mains. On découvre les doutes de Bouboule, les difficultés qu’il rencontre avec certains de ses camarades. Maître Yéti tente de lui venir en aide. Derrière les élèves qui lisent leur texte au micro, les mains s’affairent sur la page blanche. Thibaut Lambert est au côté des élèves qui dessinent. En quelques traits rapides, un paysage de montagne apparaît. Une main dispose de petites tâches d’encre sur les sommets. Une autre, tenant un pinceau gorgé d’eau, vient mouiller les tâches. L’encre fuse, de gros nuages bleus menacent au-dessus de la montagne, puis la pluie arrive : une troisième main projette des gouttes avec un pinceau. Sur l’écran, c’est un ballet continu. Sur scène, chacun semble prendre du plaisir à lire, à dessiner.
Peu à peu Bouboule trouve sa place et c’est aussi le sentiment qui demeure après la restitution donnée par les élèves. Accompagnés de Matthieu Siam et de Thibaut Lambert, les élèves semblent très heureux de l’expérience et plusieurs d’entre eux témoignent d’un vrai plaisir à avoir fait œuvre collective. "Cette semaine, avec le décor, les musiciens, les dessins et les lectures, tout a pris forme" explique Rafael Guillevin. "On voit le travail de tout le monde rassemblé et c’est beau" ajoute Maeva Gourdeau.
La résidence s’achève dans une atmosphère de fierté et de joie. Cet après-midi, chacun est heureux d’avoir pris part au spectacle. Visiblement, Thibaut Lambert et Mathieu Siam ont réussi leur pari.

Chloé Baudry poursuit actuellement une réflexion autour du remembrement agricole. Son travail interroge la notion de lieu, l’articulation réel/fiction ainsi que l’usage du document dans le champ littéraire. Elle a intégré, fin 2020, le doctorat « Pratique et théorie de la création littéraire » de l’université d’Aix-Marseille. Elle partage sa pratique de l’écriture dans le cadre d’ateliers auprès de différents publics, notamment pour le festival Oh! Les beaux jours ou dans le cadre du Festival EXTRA! au Centre Pompidou. Elle collabore régulièrement avec la photographe Léna Maria. Ensemble, elles instaurent un dialogue entre écriture et photographie, Les Saisons est le recueil de leurs échanges.