La fabrique des images en terres de Chalosse avec Louis Dubergey
Au centre du village de Mugron, dans le sud des Landes, surplombant les terres de Chalosse, se dresse un cinéma art et essai : L’Entracte. Un décor de choix pour la restitution de la résidence en territoire du cinéaste Louis Dubergey, dernière d’une saison de sept projets lauréats de ce dispositif d’éducation artistique et culturelle porté par ALCA. Élus, habitants, enseignants et jeunes sont venus assister, lors d’une belle soirée du mois de juin, à la projection du film que l’auteur-réalisateur a créé avec les élèves du lycée professionnel agricole de la commune. Retour sur une aventure collective, humaine et artistique, qui aura marqué les esprits.
Un territoire rural fourmillant d’initiatives culturelles portées par des hommes et des femmes d’action, un lycée agricole tenu par une équipe d’enseignants dynamiques et engagés, un artiste féru d’éducation populaire et enfant du pays, sans oublier des jeunes enthousiastes, volontaires et curieux, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de ce projet une réussite. Pourtant, le parcours a été semé d’embûches et d’imprévus. Initialement, le projet de résidence de Louis Dubergey s’est écrit autour du séjour programmé sur la commune de Mugron du peintre uruguayen Armando Bergallo. Il devait y résider plusieurs mois afin de partager son univers avec la population en mettant en place des actions artistiques participatives. Louis, de son côté, devait dépeindre avec stylo et caméra tout le déroulé de ces rencontres en intégrant à son propre travail documentaire des actions de médiation autour de la fabrique des images avec les élèves du lycée agricole de Chalosse. Deux résidences imbriquées en quelque sorte, impliquant les élèves dans la transcription d’une démarche artistique plasticienne sur leur territoire. Au dernier moment, le séjour d’Armando Bergallo a été annulé. Il a alors fallu tout réinventer. Mais cela n’a pas découragé les trois enseignantes d’éducation socioculturelle (ESC) coordinatrices du projet1, ni Louis Dubergey, dont la volonté de transmettre et les facultés d’adaptation lui ont permis de dépasser les contingences.
"L’écriture s’est faite en trois temps, explique-t-il. En premier lieu, nous avons dû repenser et réécrire le projet. Pour ce faire, nous avons eu un temps de réflexion en commun, avec l’équipe enseignante. Il y a eu un deuxième temps avec les élèves, une initiation à l’écriture, durant laquelle nous avons travaillé sur différents formats : comment écrit-on une publicité, un reportage, une émission de télévision, les questions pour une interview, etc. Et enfin, un troisième temps, le mien, secret, dans l’ombre, pour faire croire que tout cela n’a pas été écrit… J’ai trouvé mon compte dans ce projet en multipliant les formats, les supports, et en adaptant mon sujet initial de réflexion, qui concerne la fabrication de l’image, à divers degrés de classe, différents âges, etc."
Retrouver la spontanéité
Lorsqu’il s’agit d’éduquer leurs élèves aux médias et à l’image, enjeu d’une importance capitale à leurs yeux, les enseignantes en ESC ne manquent pas d’idées ni d’ambition. Parmi elles, Nathalie Raymond, clé de voûte du projet, a déployé une énergie sans limites pour pouvoir y inclure quatre classes (une Terminale, deux BTSA DATR2 et une Troisième) en développant divers ateliers sur le territoire, devenus chacun un sujet de reportage pour les élèves apprentis cinéastes. Le projet s’est ainsi redéployé en associant de multiples partenaires locaux, un peu à l’image de ce qu’il aurait dû être au départ avec la résidence participative d’Armando Bergallo. "Peut-être que le film va générer autre chose dans la continuité, espère Nathalie Raymond, et que le programme prévu initialement va se dérouler dans l’autre sens, finalement. Car Armando Bergallo a participé à notre projet. Il est venu mener un atelier que j’ai organisé à l’EHPAD afin d’inclure un troisième groupe d’élèves de Terminale, qui sont venus faire un reportage filmé de cet événement." Cinq autres sujets ont été filmés par les lycéens, qui se sont répartis en autant de groupes de travail distincts. La mise en lien des différents objets visuels créés et l’orchestration de toutes les étapes de fabrication de cette production audiovisuelle n’auraient pu se faire sans l’intervention d’un cinéaste professionnel. Louis Dubergey raconte : "La question de la restitution s’est rapidement posée : à quoi l’objet final devait-il ressembler ? Nous avons décidé de créer un objet unique entièrement réalisé par les élèves. Les Terminales et une classe de BTS se sont répartis en six groupes pour travailler sur les reportages : trois sur les interventions d’Armando Bergallo3, et trois autres sujets orientés sur des acteurs du territoire. L’ensemble est accueilli dans une émission de télévision, écrite et réalisée par les BTSA DATR1. Les élèves de Troisième, eux, ont tourné des fausses publicités. Ce film rassemble et relie entre eux tous ces formats différents et, sans dénaturer le travail effectué par les élèves, s’appuie aussi sur un discours autour de l’image et de sa fabrication." Le récit en filigrane se déploie dans une sorte de mise en abîme : le film parle d’un cinéaste qui fait faire des images à des lycéens, qui eux-mêmes filment un artiste en train d’apprendre à d’autres personnes à peindre. En ce sens, ce projet visait aussi à combler une carence, comme l’explique encore Louis Dubergey : "Je trouve qu’il y a un manque cruel d’éducation à l’image, d’une manière générale. Même lorsque j’interviens auprès d’étudiants qui se sont spécialisés dans ce domaine, je constate une insuffisance de culture sur l’image et sur ses différents formats. Pratiquer, apprendre toutes les étapes de fabrication, permet de prendre du recul, d’aiguiser son esprit critique et de comprendre tout simplement qu’une image est toujours fabriquée ; elle passe par le prisme d’une subjectivité et d’une technologie. Dans le cadre de ce projet, j’avais en face de moi des élèves dont ce n’est pas le sujet, et cette forme d’innocence a amené des questions vraiment intéressantes. J’ai adoré cette spontanéité."
Par cet apprentissage à la fois technique et intellectuel, les élèves ont pu toucher du doigt la complexité d’un univers qui leur est à la fois familier – le monde actuel est un réservoir d’images – et totalement étranger. Paradoxe que Salomé, Candie, Rémi et Robin, élèves de BTS, ont pu mesurer par la pratique dans le cadre de cette expérience qu’ils et elles ont tous vraiment appréciée. "Le monde du cinéma en général, c’est quelque chose qu’on n’aborde presque jamais au cours de notre scolarité, confie Robin. On a découvert que derrière tous les films, il y a tout un monde bien plus complexe que ce que l’on voit à l’image. Il y a du montage, du son…. C’est un point de vue auquel on n’a pas souvent accès, qui est subtile et difficile à comprendre." Salomé souligne aussi que la proximité d’âge avec Louis a sans doute facilité une compréhension mutuelle et que cette aventure lui a donné envie de s’intéresser un peu plus au numérique à l’avenir.
Au-delà de l’expérience humaine et artistique, qui sera sans doute inoubliable pour beaucoup de ces jeunes, les objectifs pédagogiques ont été atteints et l’objet final produit englobe tous les aspects du projet, comme le souligne Nathalie Raymond : "C’est un film qui parle de la jeunesse, qui part des élèves et qui parle d’eux. Le format est ludique, kaléidoscopique, il évoque l’imbrication de toutes ces tranches d’âge, le processus, le territoire… C’est comme un conte pour moi, cette histoire."
C’est l’histoire d’un lycée ouvert sur son territoire et partenaire de son animation, et celle de sa rencontre avec un cinéaste engagé : "Par les temps qui courent, rappelle Louis Dubergey, donner la part belle à la transmission, à la curiosité, au partage, ce ne sont pas des mots creux…"
---
1. Géraldine Coulon, Hélène Hincelin et Nathalie Raymond.
2. DATR : Développement, animation des territoires ruraux.
3. En plus de l’atelier à l’EHPAD, le peintre a aussi accompagné des élèves de Seconde dans la création d’une fresque géante sur le thème de la laïcité. Celle-ci a été réalisée sur du papier organique fabriqué par les élèves eux-mêmes, avec l’aide du biologiste Johan Geysen, créateur de ce « Papur » utilisé par Armando Bergallo : http://www.auxpetitssoins.info/detente/agenda/armando-bergallo--johan.html