"à l’infini", plus fort que le quotidien vertigineux
Après avoir interviewé Isabelle Neuvialle, productrice du documentaire à l’infini, diffusé lors du Mois du film documentaire en Nouvelle-Aquitaine, Prologue a souhaité s’entretenir avec son réalisateur Edmond Carrère.
Vous avez été le chef opérateur du film de Claire Durand-Drouhin, Le Monde autrement, où vous avez filmé les ateliers de danse de la réalisatrice dans la Maison d’accueil spécialisée (MAS) de Limoges. Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser à l’infini qui – rappelons-le – est tourné à la MAS Maud Mannoni en Dordogne ?
Edmond Carrère : J’ai découvert ce centre lorsque j’ai travaillé avec la compagnie toulousaine GdRA pour un spectacle intitulé Sujet. La compagnie a été accueillie en résidence en 2013 par l’association Zap’art installée dans l’enceinte du centre hospitalier. À l’époque, je ne me sentais pas légitime pour réaliser un film dans le milieu psychiatrique. Quelques années plus tard, Isabelle [Neuvialle] et Patrick [Séraudie, ndlr] de Pyramide Production m’ont invité à accompagner Claire Durand-Drouhin – réalisatrice, danseuse et chorégraphe – dans son projet de film. C’est à ce moment-là qu’a germé en moi l’idée de faire un film, non sur les personnes en fragilité, mais plutôt sur les soignants. Porter un regard à travers les accompagnants, sur leurs gestes, les relations qu’ils entretiennent avec les patients me semblait très intéressant. Il y avait aussi sous-jacente une question politique : les MAS sont des institutions publiques qui s’occupent des plus fragiles et il me semblait important de partager mon expérience dans ce lieu si peu connu des habitants, pourtant si indispensable… L’accueil formidable du directeur [Mathieu Sajous] et de son équipe a fini de me convaincre de réaliser ce projet. L’idée était de faire un film ensemble : j’étais stimulé parce que je n’avais pas l’impression de « voler » des images et les soignants avaient le sentiment qu’ils étaient accompagnés, qu’ils prenaient du recul sur leurs pratiques.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
E.C. : Le plus compliqué a été de gérer le droit à l’image et les autorisations de filmer. J’ai assisté à plusieurs réunions où l’on a expliqué ma présence et j’ai été vraiment bien accueilli. Seules quelques personnes n’ont pas souhaité être filmées. La première rencontre a été pour moi vertigineuse… Lorsque l’on pénètre dans ce lieu et que l’on va à la rencontre de ces hommes et femmes en grande détresse, on se pose naturellement des questions – et c’est la question centrale du film : comment peut-on vivre là, comment peut-on accompagner ces personnes ?
Edmond Carrère : J’ai découvert ce centre lorsque j’ai travaillé avec la compagnie toulousaine GdRA pour un spectacle intitulé Sujet. La compagnie a été accueillie en résidence en 2013 par l’association Zap’art installée dans l’enceinte du centre hospitalier. À l’époque, je ne me sentais pas légitime pour réaliser un film dans le milieu psychiatrique. Quelques années plus tard, Isabelle [Neuvialle] et Patrick [Séraudie, ndlr] de Pyramide Production m’ont invité à accompagner Claire Durand-Drouhin – réalisatrice, danseuse et chorégraphe – dans son projet de film. C’est à ce moment-là qu’a germé en moi l’idée de faire un film, non sur les personnes en fragilité, mais plutôt sur les soignants. Porter un regard à travers les accompagnants, sur leurs gestes, les relations qu’ils entretiennent avec les patients me semblait très intéressant. Il y avait aussi sous-jacente une question politique : les MAS sont des institutions publiques qui s’occupent des plus fragiles et il me semblait important de partager mon expérience dans ce lieu si peu connu des habitants, pourtant si indispensable… L’accueil formidable du directeur [Mathieu Sajous] et de son équipe a fini de me convaincre de réaliser ce projet. L’idée était de faire un film ensemble : j’étais stimulé parce que je n’avais pas l’impression de « voler » des images et les soignants avaient le sentiment qu’ils étaient accompagnés, qu’ils prenaient du recul sur leurs pratiques.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
E.C. : Le plus compliqué a été de gérer le droit à l’image et les autorisations de filmer. J’ai assisté à plusieurs réunions où l’on a expliqué ma présence et j’ai été vraiment bien accueilli. Seules quelques personnes n’ont pas souhaité être filmées. La première rencontre a été pour moi vertigineuse… Lorsque l’on pénètre dans ce lieu et que l’on va à la rencontre de ces hommes et femmes en grande détresse, on se pose naturellement des questions – et c’est la question centrale du film : comment peut-on vivre là, comment peut-on accompagner ces personnes ?
Le parti pris a été de montrer qu’il existe une relation, une humanité. De l’amour existe, il est le moteur de la rencontre, il permet de rester. Des questions existentielles surgissent, la difficulté est plutôt là… Techniquement, j’ai naturellement adopté une forme légère car il est impossible de venir en équipe. La proximité et le contact avec les personnes sont importants. Le langage passe aussi par le corps.
La caméra s’intéresse de près aux mains, ces mains qui rassurent, dialoguent, caressent, apaisent…
E.C. : C’est aussi un enjeu du film : montrer qu’il y a un langage particulier, non constitué de mots, mais plutôt de relations avec le corps, proche d’une chorégraphie. En observant le corps, on comprend les choses…
Des séquences très touchantes entre les patients et les accompagnants, particulièrement avec Mathieu, le directeur du centre, qui est un peu la figure du père. Il y a aussi une grande tension. À chaque instant tout peut basculer…
E.C. : Effectivement, on passe très rapidement d’un état de stress, de peur, de colère, à un moment de calme. C’est très déroutant. L’image du père de famille a fait surgir une question qui court tout le long du film. Où se situent les personnels professionnels ? On voit bien qu’ils sont très proches des résidents, plus peut-être même que les familles dont ils ne sont pas censés prendre la place : ils sont là au quotidien. Ils ont appris pendant leur formation à garder une distance. Pourtant un attachement les lie à leurs patients. Les mots, les gestes, les images, les "standards" sont constamment mis à l’épreuve.
"C’est l’invention, la créativité qui permet d’être présent, de résister à ce quotidien."
Le film fait ressortir les mots, les gestes répétés des accompagnants avec une infinie patience, sujet qui a donné le titre au film…
E.C. : Cette répétition génère la fatigue, voire l’épuisement des personnels, et rend difficile l’exercice de ce métier. D’un point de vue cinématographique, il y avait là un enjeu : comment faire évoluer une histoire de répétition ? Les accompagnants peuvent-ils évoluer dans cette répétition et dépasser ce mur du quotidien ? Cette question concerne chacun d’entre nous aussi… C’est Magali qui fournit une des réponses lorsqu’elle créé des marionnettes pour faire comprendre à Bernard que non, ce n’est pas possible, qu’il n’y a pas de solution. C’est l’invention, la créativité qui permet d’être présent, de résister à ce quotidien.
Votre film a quelque chose de particulier : il n’y a pas de musique – excepté un petit passage où un résident écoute la bande son de L’As des as… Il y a aussi des sortes de parenthèses poétiques et silencieuses où la caméra s’échappe du lieu confiné du centre pour filmer la nature…
E.C. : La façon de filmer est très classique, très directe. Il y a beaucoup de choses qui apparaissent dans le film. Les sons sont très puissants dans ce lieu : l’atmosphère dans les couloirs, les paroles, les bruits, les cris… Avec Florent Mangeot [le monteur du film, ndlr], nous avons pris le parti d’être simplement à l’écoute et de ne rien ajouter à ces sons parfois très impressionnants émotionnellement. La musique ne s’est pas révélée nécessaire. Nous avons ressenti le besoin de respirations silencieuses. S’il n'y a pas de composition musicale dédiée, avec Fabien Bourdier [mixage], nous avons traité les sons directs comme une partition musicale. En replaçant des sons et des atmosphères sonores qui accompagnent et construisent la dramaturgie du film.
Des projets en ce moment ?
E.C. : À travers le documentaire, j’explore de nouveaux territoires et j’essaie de ne pas m’enfermer dans une catégorie. Actuellement, je suis en écriture de fictions et développe un court métrage que je vais tourner en 2019 pour une sortie en juillet prochain.
E.C. : Cette répétition génère la fatigue, voire l’épuisement des personnels, et rend difficile l’exercice de ce métier. D’un point de vue cinématographique, il y avait là un enjeu : comment faire évoluer une histoire de répétition ? Les accompagnants peuvent-ils évoluer dans cette répétition et dépasser ce mur du quotidien ? Cette question concerne chacun d’entre nous aussi… C’est Magali qui fournit une des réponses lorsqu’elle créé des marionnettes pour faire comprendre à Bernard que non, ce n’est pas possible, qu’il n’y a pas de solution. C’est l’invention, la créativité qui permet d’être présent, de résister à ce quotidien.
Votre film a quelque chose de particulier : il n’y a pas de musique – excepté un petit passage où un résident écoute la bande son de L’As des as… Il y a aussi des sortes de parenthèses poétiques et silencieuses où la caméra s’échappe du lieu confiné du centre pour filmer la nature…
E.C. : La façon de filmer est très classique, très directe. Il y a beaucoup de choses qui apparaissent dans le film. Les sons sont très puissants dans ce lieu : l’atmosphère dans les couloirs, les paroles, les bruits, les cris… Avec Florent Mangeot [le monteur du film, ndlr], nous avons pris le parti d’être simplement à l’écoute et de ne rien ajouter à ces sons parfois très impressionnants émotionnellement. La musique ne s’est pas révélée nécessaire. Nous avons ressenti le besoin de respirations silencieuses. S’il n'y a pas de composition musicale dédiée, avec Fabien Bourdier [mixage], nous avons traité les sons directs comme une partition musicale. En replaçant des sons et des atmosphères sonores qui accompagnent et construisent la dramaturgie du film.
Des projets en ce moment ?
E.C. : À travers le documentaire, j’explore de nouveaux territoires et j’essaie de ne pas m’enfermer dans une catégorie. Actuellement, je suis en écriture de fictions et développe un court métrage que je vais tourner en 2019 pour une sortie en juillet prochain.
Après des études universitaires à Nantes, elle a intégré le domaine de la communication et de l’édition au sein de la revue 303 d’art et de patrimoine de la Région des Pays de la Loire. Après un long parcours au Centre régional des lettres d’Aquitaine, devenu Arpel, puis Écla Aquitaine en tant que responsable de la communication et des publications, elle poursuit une activité d’écriture en free-lance.