"Latinos in the USA" : le Festival Biarritz Amérique latine investit de nouveaux territoires
Le Festival Biarritz Amérique latine aura bien lieu du 28 septembre au 4 octobre malgré la pandémie mondiale qui a provoqué l’annulation de plusieurs festivals majeurs cette année. Son délégué général Antoine Sébire présente à Prologue cette édition un peu particulière au regard de sa thématique et d'une programmation marquée par la crise sanitaire.
Vous avez choisi de maintenir le Festival Biarritz Amérique latine malgré les contraintes sanitaires actuelles. Pourquoi proposez-vous une édition en présentiel cette année ?
Antoine Sébire : C’est banal de le dire mais le cinéma est un lieu de rencontres et de partage et nous tenons à montrer les films dans les conditions pour lesquelles ils ont été conçus. On ne veut pas céder à la panique. Mais jusqu’à l’ouverture, il vaut mieux envisager le pire pour être prêts à faire face à tout changement de situation.
Dans quelle mesure cela va-t-il impacter le festival ? Comment allez-vous vous adapter ? Les intervenants sud-américains vont-ils pouvoir se rendre en France ?
A.S. : Moins de films ont été produits, d’autres ont été retardés ou annulés. Certains n’ont pas pu boucler la post-production à temps pour le festival. Seuls les professionnels dont les pays n’ont pas fermé leurs frontières et ceux qui vivent en Europe pourront se déplacer (environ 40% d’entre eux). Et sur le plan logistique pur, les mesures sanitaires compliquent tout et nécessitent des recrutements supplémentaires. Et puis certains partenaires privés se sont désistés. Si l’on y ajoute des recettes de billetterie réduites, c’est toute l’économie du festival qui est bouleversée. Les rencontres de co-production seront hybrides (virtuelles et en présentiel). Les concerts gratuits de musique latino ont dû être annulés.
Quelle est la thématique cette année ? Et pourquoi ce choix ?
A.S. : "Latinos in the USA" est la thématique transversale du festival (films et rencontres universitaires). 9 films sont sélectionnés. L’ambition est de montrer les réalités de ces diasporas aux États-Unis, pas forcément conformes à l’image véhiculée par les médias. Nous nous efforçons depuis trente ans de réfléchir et d’informer sur les réalités latino-américaines contemporaines. Mais ça nous a demandé pas mal de travail. Quand on fait un focus sur le cinéma uruguayen, c’est simple, on le connait par cœur. Les États-Unis, en revanche, ce n’est pas notre territoire historique.
"Ce qui ressort de la sélection cette année, c’est l’envie d’expérimenter de manière ludique, de faire des propositions de cinéma innovantes formellement."
Quels films seront sélectionnés ? Et pour quelles raisons ?
A.S. : Notre responsabilité est d'être au plus près des mouvements qui traversent les cinémas sud-américains aujourd’hui. Nous sommes sensibles aux nouvelles formes, à des genres peu explorés et qui déjouent les attentes. Ce qui ressort de la sélection cette année, c’est l’envie d’expérimenter de manière ludique, de faire des propositions de cinéma innovantes formellement. Le public attend souvent du cinéma latino un traitement naturaliste, avec une forte charge politique et sociale. C’est un pan important de la production, mais nous, on essaie de montrer des propositions plus inédites. Concernant les documentaires, idem. On a choisi des films qui flirtent avec l’essai, qui interrogent les frontières entre fictions et documentaires. Ça peut être des sujets lourds mais distordus par une forme esthétique renouvelée.
Y a-t-il parmi les films présentés des coproductions avec la Région Nouvelle-Aquitaine ?
A.S. : On est heureux quand ça arrive mais c’est loin d’être systématique. Ça fait un peu moins de dix ans que le fonds de soutien au cinéma de la Région s’est ouvert aux coproductions internationales. Cette année, deux films sont coproduits avec la Région : La Fortaleza du Vénézuélien Jorge Thielen Armand et Gaucho Basko du Brésilien Carlos Portella, une coproduction France 3 Nouvelle-Aquitaine, soutenue par la Région et accompagné par ALCA.
"Un festival est un moment idéal pour montrer un film sur le cinéma en train de se faire."
Y aura-t-il des films à suivre en avant-première ou en séances spéciales ?
A.S. : En avant-première, il y aura un film franco-colombien Vers la bataille d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux et deux films brésiliens, Todos os mortos de Caetano Gotardo et Marco Dutra, et En attendant le carnaval de Marcelo Gomes. En séances spéciales, on verra Serial Kelly de René Guerra, pas totalement terminé à cause des contraintes actuelles - c’est notamment pour cette raison qu'il nous semble pertinent de le montrer. Et un documentaire, El Father plays himself de Mo Scarpelli, sur le tournage de La Fortaleza. Un festival est un moment idéal pour montrer un film sur le cinéma en train de se faire.
Quels seront les intervenants présents lors des Rencontres de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine (IHEL) ?
A.S. : On pourra discuter avec des chercheurs et des experts (politologues, historiens, diplomates, géographes…) qui travaillent sur la condition des Sud-Américains aux États-Unis et les relations entre les deux continents. Ce sont des discussions de haut niveau accessibles au plus grand nombre et c’est toujours complet ! C’est un espace qui produit de la pensée en la vulgarisant, on y apprend énormément de choses.
Quel sera le programme des rencontres professionnelles avec BAL-LAB ?
A.S. : Le BAL-LAB (le laboratoire du festival) propose des Rencontres de coproduction et une résidence d’écriture, soutenue par ALCA. Tous les cinéastes qui présentent un film ont la possibilité de candidater pour leur prochain projet. On invite des professionnels du cinéma français à découvrir les projets des cinéastes et on les fait se rencontrer. La nouveauté, c’est un partenariat avec le CNC qui offrira une bourse de 5000 € d’aide au développement d’un film, choisi par un jury de trois personnes.
"Pour les producteurs de la région, c’est super de connaître des cinéastes dont le travail est montré en début de carrière, dans un cadre moins formel que le marché du film cannois par exemple."
Dans quelle mesure ce laboratoire accélère-t-il la coopération entre les producteurs français et les créateurs latino-américains ?
A.S. : Pour un producteur français qui s’intéresse à la coproduction internationale, le festival de Biarritz est un vivier de cinéastes ambitieux et énergiques. L’âge moyen des réalisateurs sud-américains quand ils tournent leur premier film tourne autour de 25 ans, c’est à dire 10 de moins qu’en France. Beaucoup de pays ont développé une politique de soutien au cinéma qui favorise l’émergence de nouveaux talents. Et c’est clairement à Biarritz qu’on a le plus de chance de les croiser.
En quoi consiste la résidence de La Prévôté organisée avec ALCA et que permet-elle ?
A.S. : Historiquement, La Prévôté est une résidence à Bordeaux dédiée aux écrivains. Aujourd’hui quelques places sont réservées aux cinéastes étrangers. Pendant trois semaines, on leur propose un accompagnement personnalisé pour mener à bien leur projet de film. Une bourse de 1500 € leur permet de faire face à leurs dépenses pendant la durée du séjour. Et leur voyage est également pris en charge.
Quel sera le programme des Rencontres de coproduction (avec la Région, ALCA et le CNC) ?
A.S. : Le CNC et ALCA viendront expliquer comment sont financées les coproductions. La Fabrique du cinéma expliquera elle aussi son dispositif aux jeunes cinéastes latinos. Il y aura des rendez-vous en "one to one" entre coproducteurs et cinéastes. On organise également des espaces de rencontres ("networking", petits-déjeuners, dîners), dans le cadre des journées professionnelles du festival.
En quoi cela est-il important pour le festival, pour le cinéma latino-américain en général et les producteurs néo-aquitains ?
A.S. : L’économie du cinéma en Amérique latine est assez artisanale, c’est en partie une économie de la débrouille. La coproduction permet de financer ces films, qui vont s’ouvrir à d’autres espaces de diffusion. Ces collaborations artistiques internationales peuvent être très enrichissantes. Et pour les producteurs de la région, c’est super de connaître des cinéastes dont le travail est montré en début de carrière, dans un cadre moins formel que le marché du film cannois par exemple. Ils ont vraiment le temps de voir les films et de rencontrer ceux qui les font.
Le mot de la fin ?
A.S. : La solidarité entre festivals et le soutien aux films issus de la diversité sont indispensables. Ils souffrent en premier lieu de la crise qui touche l’industrie et, dans ce contexte, le rôle des festivals est plus important que jamais.