Les autres visages de l’Allemagne
Pour sa 25e édition, le Festival international du film d’histoire de Pessac a choisi de mettre au cœur des films et des débats l’Allemagne en essayant d’aller plus loin que le XXe siècle, le nazisme et les guerres. Comme le dit son président d’honneur, Jean-Noël Jeanneney, en "bousculant les stéréotypes". Rencontre avec son directeur qui dirige également le cinéma Jean-Eustache, François Aymé.
La longévité du festival et son succès public signifient que le pari initial, mêler le cinéma et l’histoire, l’évocation et l’analyse, est plutôt réussi. Comment l’expliquez-vous ?
François Aymé : Peut-être parce que le va-et-vient que l’on propose entre les films et les débats est assez rare dans les festivals. On a souvent soit des rencontres avec une large majorité de films soit des colloques avec essentiellement des débats. Pour nous, c’est un enrichissement, cela va dans le sens de la confrontation des deux. Avoir une thématique avec un programme riche permet également une immersion assez profonde. Avec 80 films, 40 débats et 100 invités autour d’un thème, on ne passe pas du coq à l’âne sans cesse comme souvent dans les manifestations. Je crois aussi que le mélange des films de répertoire et la compétition officielle de nouveautés réunissent des publics différents. Si je cherche d’autres raisons, je dirais que le fait d’avoir une équipe soudée depuis le début, avec des compétences différentes, en a fait un vrai lieu de compagnonnage. Tout comme l’équilibre Paris-Province de cette équipe qui permet de faire venir beaucoup d’invités tout en ayant une vraie implantation locale, avec les universitaires et le public régulier du cinéma Jean Eustache. Le festival est évidemment très lié à l’existence du cinéma. Enfin, nos actions avec le public scolaire, que nous organisons six mois à l’avance, payent je pense. Cela fait maintenant plusieurs générations qui sont passées au festival.
Vous affirmez dans ce rendez-vous avec l’Allemagne vouloir dépasser les clichés.
F.A. : C’est l’un des enjeux de cette édition, aller au-delà des automatismes de la pensée sur l’Allemagne : le nazisme, la Shoa, la RDA et la RFA. Ces pans de l’histoire sont bien sûr présents, ils déterminent beaucoup de choses dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Ce pays a un lien complexe avec son passé mais nous voulons aussi retrouver une vision plus longue l’histoire. Il ne faut pas oublier que jusqu’en 1870, l’Europe était fascinée par l’Allemagne. Ce sont les trois guerres qui ont renversé cette image. Si l’on évoque la philosophie, la littérature, la musique, le cinéma, la peinture ou l’architecture, ce pays fait partie des cultures les plus riches du monde. Son cinéma, entre la République de Weimar et la nouvelle vague des années soixante, est vraiment passionnant. Sans oublier tous ses auteurs qui ont fui le nazisme pour les États-Unis. Je crois que l’on a tendance à oublier un peu tout cela. D’ailleurs nous commençons le festival avec Charlemagne dont les Allemands, les Français et les Belges revendiquent l’héritage historique… Pour la partie plus actuelle, si je crois que l’on a des leçons à tirer de l’Allemagne, sur la culture du consensus ou sur le fédéralisme notamment, nous pouvons aussi questionner son modèle économique que l’on présente souvent comme exemplaire.
Si vous deviez choisir un film dans la programmation, lequel et pourquoi ?
F.A. : Ce serait The Mortal storm du Suisse allemand Frank Borzage réfugié aux États-Unis pendant la montée du nazisme. Ce film date de 1940, avant Le Dictateur de Chaplin. C’est le premier film de l’histoire sur le nazisme et il décortique l’avènement d’Hitler au sein d‘une famille recomposée, dont l’un des membres est juif. Il montre comment on choisit son camp et comment c’est compliqué de choisir son camp. C’est une adaptation d’un roman allemand publié en 1937.
Une exposition Fassbinder à l’Espace Histoire Images
En lien avec le Festival, l’Espace Histoire Images de la ville de Pessac, à côté de la médiathèque Jacques-Ellul, a choisi de mettre un coup de projecteur sur l’artiste multiforme allemand Reiner Werner Fassbinder, décédé en 1982 à l’âge de 37 ans. Une exposition qui permet de mieux découvrir un homme qui mettait le pouvoir et l’économie au cœur de toute sa réflexion. Questions à Julien Record de l’Espace Histoire Images.
Est-ce que Fassbinder est encore présent aujourd’hui dans le monde du cinéma ?
Julien Record : Des auteurs comme Xavier Dolan, pour son mélange de mélodrame et de réflexion critique, Almodovar, même s’il a une approche de l’homosexualité très différente, ou encore François Ozon dans ses thématiques, nous semblent avoir un lien avec le cinéma de Fassbinder que nous encourageons à redécouvrir. Avec Werner Herzog, Volker Schlöndorff, Margarethe Von Trotta et Wim Venders, il a incarné le nouveau cinéma allemand dans les années 60, dans un esprit proche de la Nouvelle vague. Sa mort a marqué l’arrêt de ce mouvement. Il a réalisé 40 films en 15 ans. Comme Douglas Sirk, avec qui il a été en relation, il a essayé d’utiliser le mélodrame tout en appelant à la réflexion critique, l’émotion et la distanciation théorisée par Brecht. Il était plutôt anarchiste mais il a dénoncé les cicatrices non refermées du nazisme et le règne de l’argent du système capitaliste. Il pensait que la société était basée sur les rapports de force influencés par l’idéologie, jusque dans le couple. Nous essayons de présenter tout cela avec des affiches de cinéma et des panneaux didactiques, notamment pour replonger dans le contexte de l’époque.
Quel est votre lien avec le Festival ?
J.R. : Nous collaborons avec le festival, nous suivons le thème et nous l’illustrons en donnant la priorité au cinéma. Dans les médiathèques, le grand public a avec le cinéma un réflexe spontané de distraction. Nous faisons de notre côté deux parcours pédagogiques, l’un avec le rectorat de Bordeaux et l’autre avec l’université. C’est un travail auquel nous croyons parce que le cinéma est un médium extraordinaire pour parler de la vie, du monde mais aussi des choses très intimes.