Les éditions Marguerite Waknine, sur le fil du hasard
La maison d’édition Waknine a été créée en 2007 par Séverine Gallardo et Franck Guyon à Angoulême. Leur ligne éditoriale - qui se développe au gré de trois collections : Les Cahiers de curiosités, Livrets d’art et Le Cabinet de dessins - se constitue au bon vouloir des rencontres du temps.
Vous créez la maison d’édition en 2007. Sous quel angle imaginiez-vous cette aventure littéraire et artistique ? L'esprit des cabinets de curiosités au XVIIe siècle semblant primordial…
La maison d'édition a connu deux périodes distinctes : la première s’étale sur cinq ans avec deux collections et des ouvrages sous boîtier, la seconde qui engendre une refondation complète des éditions avec trois collections, la présentation sous protège-cahier. Le mouvement général a pris forme à mesure que nous lui imprimions des variations. En ce sens, nous n'avons pas au sens strict de ligne éditoriale, elle se dessine au cours du temps et n'en est que plus prégnante.
Votre catalogue compte trois collections : Les Cahiers de curiosités, Livrets d’art et Le Cabinet de dessins. À quelles conditions l’idée d’une publication semble évidente ? Pourriez-vous imaginer une quatrième collection ?
Oui, pour une quatrième, une cinquième, une sixième, une mille trois cent quatre‑vingt‑dixième ! Une publication nous semble évidente dès lors qu'elle apporte une nouvelle touche, une nouvelle couleur à ce que nous pouvions imaginer. Il s'agit donc d'être perturbés et de ne pas tomber, surtout, jamais, dans la niaiserie du "j'aime", "j'aime pas".
Il y a peu, la médiathèque intercommunale de Felletin, en Creuse, vous accordait une carte blanche. Dans le cadre de cette exposition, la possibilité de s’attacher à vos livres en tant qu’objets était offerte. Aussi, celle de découvrir des originaux de Feutres de Céline Guichard et des Riches heures de Jean‑Michel Barreaud. Quelle est l’importance de cet événement pour vous ? Est-il à réitérer autant que possible ?
Comme tous les événements publics, celui-ci nous a permis de rencontrer des lecteurs. Paradoxalement, nous ne voyons que très rarement et que très ponctuellement les personnes qui nous lisent et apprécient notre travail. Toutefois, ce genre d'événement ne peut avoir une importance qu'à la condition d'une belle rencontre avec son protagoniste. En l'occurrence, ici, à Felletin, Denis Bernatets.
"Il existe un lien très étroit entre le fait d'éditer et d'avoir une pratique textile. Il y a création de maillage, de lien, de réseau dans les deux cas."
Il existe un lien très étroit entre le fait d'éditer et d'avoir une pratique textile. Il y a création de maillage, de lien, de réseau dans les deux cas. Le dessin et le graphisme en général ont une grande influence dans ma pratique du textile. Beaucoup de dessinateurs développent une approche textile que ce soit par la broderie, la tapisserie ou encore via le motif.
Combien de titres publiez-vous par an ?
Nous publions dix-huit titres par an, diffusés et distribués par les Belles Lettres, et répartis en deux moments sur l'année : neuf au printemps, neuf à l'automne et, à chaque fois, trois titres par collection. Il y a là une scansion qui permet de rythmer à la fois l'élaboration spirituelle des ouvrages et leur élaboration matérielle, puisque nous réalisons nous-mêmes nos ouvrages dans notre atelier : mise en page, impression, façonnage, etc.
Franck Guyon, vous êtes auteur de cinq ouvrages. Si vous publiez aux éditions Hochroth à Paris, vous êtes également l’un des auteurs de votre propre maison d’édition. L’on pourrait penser : une tête pour deux casquettes. N’est-ce-pas déjà réducteur si l’on compte toutes les tâches qui vous incombent ? Êtes-vous un risque-tout ?
Aux éditions Hochroth, effectivement, mais également, pour « parler Nouvelle-Aquitaine », aux éditions du Phare du Cousseix, tenues par Julien Bosc et sises en Creuse. Je ne vois pas vraiment de différence entre publier et être publié, sinon qu'un faisceau de perspectives se déploient et semblent poindre vers un même point, celui de la création, pour dire un bien gros mot. Tout le reste n'étant que littérature, comme dirait l'autre ; ce grand autre ayant pour nom Verlaine.
"De manière évidente, à moins d'être d'une mauvaise foi sans nom, je pense que nous n'avons pas encore lu, ou disons si peu lu, si mal lu, que tout reste à faire."
En 2013, il y a une refondation totale des collections. S’est-il agi de nouveaux principes pour vous guider dans cette action ? Existe-t-il des rencontres qui vous ont confortés ?
Nouveaux principes ? Encore eût-il fallu qu'il y en eût d'anciens. Là où peut-être certains verraient comme une rupture ou un renouveau, nous n'avons, nous, connu, réellement, qu'une sorte de continuité, avec d'autres moyens, d'autres rapports. Notamment avec le monde de l'art contemporain où les artistes envisagent une publication plutôt comme un catalogue de leur travail plastique alors que les dessinateurs pensent la présentation de leur démarche en terme de livre.
À plusieurs reprises vous avez fait paraître d’illustres auteurs tels Rainer Maria Rilke, Victor Segalen. Vous semblent-ils inépuisables ? L’insatiété est-elle vôtre ?
De manière évidente, à moins d'être d'une mauvaise foi sans nom, je pense que nous n'avons pas encore lu, ou disons si peu lu, si mal lu, que tout reste à faire. Donc, illustres ou non, un auteur digne de ce nom nous adresse une invitation. Et cette invitation n'est même pas la sienne, elle le dépasse, amplement, comme s'il fallait toujours avoir à faire avec une parole dont nous ne connaissons ni l'origine ni l'accent. Il s'agirait ainsi d'une parole non signée, sur laquelle de manière bien malencontreuse nous apposons un nom d'auteur, comme si ce dernier avait ici autorité. Au mieux, pourrait-on en sourire.