Les saisons de l’écriture chez Romane Biron
Romane Biron est l'autrice de deux livres où le roman danse avec la poésie, à moins que ce ne soit l'inverse : Le Diable en pantoufles1 et Les Étoiles finiront par parler2. Lauréate Roman 2024 de la résidence du Chalet Mauriac, elle a prévu de travailler sur son troisième livre qui traite de la justice restaurative.
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L'autrice me reçoit dans son laboratoire-bibliothèque, avec les arbres du parc comme témoins silencieux de notre conversation. De la voix de Romane émerge une délicatesse qui me berce. Un long dialogue commence, dont voici quelques bribes éclairantes sur son processus d'écriture.
En quoi la résidence au Chalet Mauriac a-t-elle aidé votre travail ? Qu’en avez-vous retiré ?
Romane Biron : Je suis parfois pleine de subterfuges pour me détourner de l’écriture. Dans le cocon du Chalet, de jour comme de nuit, j’étais comme happée par mes personnages et par l’histoire qui petit à petit se dévoile sur la page. J’ai trouvé refuge dans la bibliothèque les jours de pluies, entourée des livres d’anciens résidents qui sont passés dans ses murs et y ont laissé leur empreinte. C’étaient mes adjuvants.
Votre résidence s’est passée en deux temps ?
R.B. : Oui, deux saisons, l’été puis l’automne. Deux temps, deux chemins d’écriture si différents. En arrivant cet été, je souhaitais directement entrer dans les pas de la justice restaurative qui était mon projet. J’ai finalement écrit d’un jet un tout autre manuscrit : Un brouillon de papa (titre provisoire). La douceur d’un père pour sa fille est venue caresser ma plume. Un papa qui ouvre sa fille "aux méandres de la forêt, au mugissement du vent, à la valse de la pluie…". J’avais besoin de me redonner du baume au cœur avant d’entrer dans un sujet plus confrontant. C’est à l’automne que, revenue au Chalet, j’ai redessiné les contours de mon projet sur la justice restaurative. J’ai cherché longuement la voix de mes personnages, des agresseurs et des victimes. Avec la volonté de ne pas enfermer ni les uns, ni les autres, dans leur case, avec l’idée de sortir des représentations du bien et du mal.
En quoi le nouveau livre sur lequel vous avez travaillé en octobre est dans la continuité de vos deux précédents ?
R.B. : La parole muselée est au cœur de mes récits. Dans mon premier roman Le Diable en pantoufles, c’est la parole de l’enfant qui est confisquée et qui précipite le drame dans l’Allée du Silence. "C’est une de ces maisons standard, agrémenté d’un jardin gentiment entretenu. Les balconnières de géraniums sont d’un rouge académique. Tout est aligné. La façade est impeccable. Ici, on cultive les apparences.".
Dans Les Étoiles finiront par parler, le poids des secrets trouble le rapport amoureux. "Nos baisers ne sont pas les mêmes. Chacun garde sa bouche. La sienne m’est interdite." Et dans ce nouveau livre, ce sont les alliés du silence qui sont à l’œuvre. Le déni pour les victimes. Le clivage pour les auteurs d’agressions. "Les ténèbres sont les miennes. J’aurai préféré ne pas voir", c’est comme si tout ce qui s’était passé arrivait en dehors de soi.
Comment le lieu de résidence a-t-il influencé votre travail ?
R.B. : J’avais choisi le Chalet Mauriac aussi pour son parc arboré. Je l’ai maintes fois imaginé, ce parc et ses arbres. Je l’ai découvert et redécouvert dans la chaleur de l’été et la douceur automnale. Peu à peu je me suis installée en forêt pour écrire. Une petite table et un tabouret ou sur un chablis. J’ai essayé de percer la forêt et son ambivalence. Tantôt enveloppante et douce, tantôt angoissante et sauvage. Je me suis promenée entre chien et loup dans cette forêt, comme dessinée au fusain. Et parfois de nuit. Cela prend du temps pour y être vraiment. La forêt ne se laisse pas faire. Il ne suffit pas d’y passer. C’est ce temps suspendu de la résidence qui a permis que les empreintes du chalet et de sa nature s’imprègnent en moi et dans la matière des mots.
Quelle a été votre relation avec les autres résidents ?
R.B. : Écrire aux côtés d’autres résidents, d’autres compagnons de l’encre et de l’écran, c’est une chance inouïe. Une résidence au Chalet Mauriac, c’est à mon sens une sacrée caisse de résonances. Les images d’un résident, les mots d’un autre ont ricoché sur moi et peut-être mes mots ont trouvé un écho quelque part. Il y a eu ces feux vécus de 2022, il y a eu les images de Petit ruban de Christophe, les discussions entre deux thés, sur les écureuils, le féminisme, les vertus de la cuisine italienne... Tout cela nourrit (je conseille l’osso buco de Daniela) l’imaginaire ou le contredit. Tout comme le territoire dans lequel s’ancre les œuvres. Et la magie des rencontres impromptues ou agencées par le Chalet. Grâce au travail des fées qui s’y dévouent (Aimée et Gaëlle). Une des belles rencontres de cette résidence est celle de l'autrice Ysiaka Anam qui m’a offert son regard de sociologue et de psychologue sur mon projet Un brouillon de papa (titre provisoire).
Quels sont vos projets pour la suite ?
R.B. : Cette résidence a ravivé l’envie de travailler et d’écrire avec d’autres. Dessinateurs, scénaristes... Bref, de croiser le fer et les mots avec d’autres pratiques, d’autres artistes.
Vous qui avez déjà performé par la danse votre précédent roman, pensez-vous que vos deux nouveaux livres nés de cette résidence pourront trouver une autre forme d'expression au-delà du langage ?
R.B. : J’aime bien l’idée du livre qui sort des murs du livre. Pour Les Étoiles finiront par parler, j’ai créé une performance dansée, hors du livre, pour en partager l’univers. J’entre dans la peau du texte des deux personnages, l’homme vertical, au cœur droit et la femme au cœur vif. D’ailleurs, mon écriture passe nécessairement par le corps, par la force du corps, c’est un acte qui m’engage pleinement. Il m’arrive de danser pour chercher le mot juste. J’envisage de poursuivre des performances au-delà du livre. Une personne est venue me raconter qu’après avoir vu la performance, elle avait lu mon livre. C’était son premier depuis le temps des lectures obligatoires. C’est aussi ce que je perçois dans mon rôle d’écrivain, aller chercher des lecteurs tapis au lointain. J’ai quelques idées des formes que ces livres prendront. Cela dépendra aussi des rencontres chemin faisant. Pour la dernière, un musicien et une chorégraphe m’ont accompagnée dans ce travail. J’envisage la forêt comme prochaine destination pour écouter des bribes du livre. Les oreilles de la forêt sont puissantes.
1. Le Diable en pantoufles, Maelström éditions, 2017
2. Les Étoiles finiront par parler, éditions Parole, 2022