Lire en Poche : "Le poche a acquis ses lettres de noblesse"
Depuis dix-neuf ans, le salon Lire en Poche revient chaque automne à Gradignan (33). La manifestation promet trois jours de spectacles, dédicaces, lectures, ateliers et débats les 6, 7 et 8 octobre prochains. Le commissaire de l'événement, Lionel Destremau, nous dévoile les nouveautés de cette édition consacrée au genre du suspens et baptisée "Intrigantes intrigues". L'occasion de revenir sur l'histoire et les enjeux actuels du format de poche, en constante évolution.
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Tout d'abord, parlez-nous de cette 19e édition de Lire en Poche. Quelles sont les temps forts et particularités de cette année ?
Lionel Destremau : Notre parrain et tête d'affiche est le romancier Daniel Pennac, qui va pouvoir nous parler de la composition d'un espace romanesque, notamment par le prisme de sa saga Malaussène, qui s'étend sur huit tomes. Nous l'avons aussi choisi pour son implication dans le domaine de la littérature jeunesse. C'est l'auteur de Chagrin d'école, il est très investi sur le volet transmission et pédagogie auprès des jeunes. C'est un pan important de notre mission à Lire En Poche. La littérature jeunesse représente un tiers de la programmation. On travaille en amont avec les établissements et c'est un moment convivial pour les familles qui viennent sur le salon. Les temps forts seront multiples : une lecture dessinée de L'Œil du loup par Mathieu Sapin (c'est une première), un spectacle de Bernard Werber au Théâtre des Quatre Saisons, un spectacle le vendredi soir sur la photographe Vivian Meyer, au Théâtre également, avec qui nous comptons pérenniser une collaboration pour reconduire ce même spectacle chaque année.
Toutes les plumes invitées à Lire en Poche sont-elles forcément éditées sous ce format ?
L. D : Bien sûr, c'est la condition sine qua non. On n'aura pas de primo romanciers de la rentrée littéraire à Lire En Poche ! Mais parfois, il arrive qu'un parrain ou qu'une marraine d'une édition souhaite inviter dans le cadre des cartes blanches, un auteur qui ne soit pas encore sorti en poche. Dans ce cas, cela génère des projets de la part d'éditeurs, qui se lancent dans l'édition poche pour l'occasion.
L'édition en poche n'est pas systématique pour un ouvrage. De quoi témoigne-t-elle ? Est-elle le signe d'un passage à la postérité ?
L. D : Cela témoigne tout d'abord d'un relatif succès de vente ou d'estime du livre en grand format. S'il passe en poche, c'est qu'on considère qu'il détient le potentiel pour atteindre un public équivalent, voire qu'il peut le doubler grâce à l'attractivité du format. Je ne dirais pas qu'il signe un passage à la postérité, mais plutôt que ça lui assure la pérennité. Un format poche se conserve plus longtemps dans les rayons d'une librairie, qui doit chasser les nouveautés de ses tables et vitrines tous les trois mois.
Le Livre de Poche, acteur historique, fête cette année ses 70 ans. En quoi le format a-t-il évolué au fil des décennies et quels sont les nouveaux enjeux ?
L. D : Le poche, dont la qualité première a toujours été l'accessibilité de l'objet comme de son prix, n'est plus cantonné à des "lectures de trains", comme on les qualifiait à son apparition. Il est devenu un objet qu'on offre en cadeau ou que l'on range dans ses étagères de bibliothèque. Le poche a beaucoup évolué en matière de fabrication, de présentation et n'est plus réservé aux précaires. Il s'adresse désormais à tous et couvre tous les genres littéraires. Le format a acquis ses lettres de noblesse. Ce qui a fondamentalement changé, c'est la concurrence éditoriale. Elle est beaucoup plus rude. Il y a soixante-dix ans, seules les grandes maisons d'édition avec une force de frappe importante pouvaient se permettre de faire de si gros tirages. Elles seules en avaient les moyens, quand les autres se contentaient de leur vendre des droits. Aujourd'hui, toutes les petites et moyennes maisons ont sorti leurs propres éditions de poche. Gallmeister en est un très bon exemple avec Totem. Ces maisons se sont mises à travailler à une diffusion de masse, à traiter avec les grandes surfaces. C'est très positif, car cela a ouvert la porte à beaucoup de titres qui n'effectuaient pas le passage autrefois. Cela a contribué à ouvrir le format à d'autres genres et d'autre styles. Le côté négatif de la chose serait la production pléthorique, qui concerne aussi le grand format. Les tirages et les ventes ont chuté, les libraires en prennent moins parce qu'ils ont trop de propositions à présenter à leurs clients. On observe une "best-sellerisation" générale, et le marché du manga qui prend de plus en plus de place. Or, le marché n'est pas extensible à l'infini, surtout quand on sait que le nombre de lecteurs diminue progressivement.
Quand le Livre de Poche est apparu, il a créé une polémique et déplu au milieu élitiste littéraire de l'époque. Quelle serait l'innovation actuelle qui serait capable de provoquer une telle indignation selon vous ?
L. D : Je ne sais pas si on peut parler d'innovation, mais il me semble que ce sont les sensitivity readers qui pourraient poser problème. Si le recours à ces personnes, dont le rôle est de formater les livres pour qu'ils plaisent à tous et soient politiquement corrects, devenait obligatoire pour publier, alors ce serait la mort de la fiction. Mais c'est une pratique qui vient des États-Unis. En France, le travail des éditeurs sur les textes est déjà très important et puis, l'auteur prend son risque en écrivant. Cette pratique serait vraiment inquiétante si elle devait se généraliser.