Marin Ledun, "Le Projet Hakanā"

Le Projet Hakanā est un thriller d’anticipation paru aux éditions Rageot en 2023, pour lequel Marin Ledun a bénéficié d’une résidence d’écriture au Chalet Mauriac en 2021. De nombreuses fois primé pour ses œuvres, Marin Ledun est un auteur exigeant, un chercheur invétéré qui se documente pour servir et argumenter ses récits. Avec Le Projet Hakanā, il signe un roman écologique, politique et social basé sur l’histoire des îles Marquises.

Sept scientifiques et douze adolescents supervisés par le docteur Anne Gauthier sont envoyés au XVI^e siècle sur l’île de Nuku Hiva, dans l’archipel des Marquises Nord du Pacifique Sud, au titre du programme TR-ADN. Tous sont français et viennent du XXII^e siècle. Ce voyage dans le temps et dans l’espace est possible grâce à la reconnaissance par des machines du code génétique de chacun.

En 1592, le peuple Marquisien n’a pas été encore colonisé, mais en 2 175, l’archipel des Marquises a disparu, il n’en reste que de vieilles photos dans les livres d’Histoire depuis que les océans sont morts et que le monde est devenu ce qu’il est devenu.

La mission Hakanā que doit remplir cette équipe venue du XXII^e siècle consiste à évaluer les capacités d’adaptation des adolescents au climat biologique, bactérien et viral de Nuku Hiva au XVI^e siècle. Ces jeunes ont été sélectionnés pour leur ressemblance génétique avec les familles du XXII^e siècle, les futurs colons qui viendront prendre possession des Marquises. Les botanistes, quant à eux, recensent les espèces animales endémiques et évaluent leur possible intérêt et/ou menace dans les domaines alimentaire, agricole et médicinale pour cette colonisation à venir. Le docteur Gauthier et l’équipe scientifique sont là pour préparer le terrain des futurs échanges entre 1594 et 2175, pour l’avenir de l’Humanité.

Afin que la mission réussisse, des règles strictes ont été établies :

• La règle du silence : les adolescents ne doivent rien révéler sur eux aux Marquisiens, sur l’endroit et l’époque d’où ils viennent, sur la technologie TR-ADN, sur le Projet Hakanā.
• La règle de non-contact : pourtant immunisés et stérilisés avant la mission, les adolescents ne doivent avoir aucun contact de quelque nature que ce soit avec la population autochtone.

Mais au fil du temps, les règles sont transgressées. Les adolescents découvrent une beauté du monde qui leur est inconnue, un peuple heureux, en harmonie avec la nature et l’océan. L’envie de s’amuser et de profiter de la vie se fait plus forte que leurs obligations, et des rapprochements entre les jeunes des deux communautés s’opèrent inexorablement. De fait, la loi du silence devient trop lourde à porter, et fait surgir un problème de conscience : en leur cachant la raison de leur présence, les jeunes de la mission Hakanā ont le sentiment de trahir la confiance de leurs hôtes. À cela s’ajoute la honte, celle de leurs mensonges, de ce que leurs ancêtres ont fait subir aux Marquisiens, de feindre d’ignorer tout ce qui allait arriver au fil des siècles. Cela, c’est Rim qui le leur a dit - rien dans les livres d’Histoire ne mentionne ces faits : tout ce qu’elle a appris sur l’histoire des Marquises et la colonisation, elle le tient du Docteur Gauthier. Et c’est encore Rim qui les a incités à apprendre la langue des Marquisiens, pour comprendre leur culture. Parce que Rim est tombée amoureuse de Moana, un jeune guerrier. Alors elle se devait de lui raconter la beauté menacée par la faute des hommes, de l’océan vidé de ses poissons, des forêts de bois de santal dévastées, des lois édictées pour anéantir leur culture. Rim raconte à Moana le voyage dans le temps, la technologie TR-ADN, la mission Hakanā, un projet qui bouleverse les lois de l’évolution et met en danger la civilisation marquisienne, la raison de leur présence, les premiers colons. Moana a tout accepté, ils se sont mariés, et contre toute attente, bien qu’elle ait été stérilisée, Rim est tombée enceinte.

Ce 13 novembre 1594, la mission se termine. L’équipe est rapatriée en 2175. Tous rentrent, sauf Rim qui en est à son huitième mois de grossesse : le TR-ADN ne reconnait plus son code génétique. Le Consortium Européen comprend alors que l’adolescente a transgressé les règles et a mis en danger le projet de colonisation. Elle est désormais une fugitive pour ces gens puissants et dangereux, la pire menace que la Terre des Hommes n’ait jamais eu à affronter, même au XVII^e siècle quand les premiers colons ont débarqué en apportant maladies, alcool, mépris et ivresse de pouvoir. Même au début du XX^e siècle quand le peuple Marquisien a oublié qui il était, a perdu sa culture, et a failli s’éteindre.

Ce 13 novembre 1594, lorsque Rim manque à l’appel, Les Forces Spéciales du Consortium Européen, des soldats-tueurs de la pire espèce, sont aussitôt envoyées à Nuku Hiva, prêts à massacrer tous ceux qui se dresseront sur leur passage pour les empêcher d’atteindre leur cible : Rim, Moana et leur enfant.

Mais ce que le Consortium n’a pas prévu, c’est que le peuple Marquisiens est prêt à en découdre avec ces assaillants du futur. Ces derniers mois, parce que les adolescents ont parlé, ils se sont préparés pour défendre leur île, leur peuple, pour protéger la Terre des Hommes.

Marin Ledun est essayiste et auteur de pièces radiophoniques, mais il s’inscrit principalement comme auteur de roman noir (Gallimard - collection La Série Noire, Le Diable Vauvert, les éditions In8, Ombres noires pour la littérature adultes, Syros, In8 et Rageot pour la littérature jeunesse). Marin Ledun est un chercheur, il pousse ses investigations sur les sujets qu’il traite, donnant à ses romans une richesse de contenu et une construction complexe du récit, à l’image de la complexité de l’être humain. Il se plonge dans l’Histoire, remonte à la source pour comprendre les mécanismes qui ont forgé le présent. Il constate, étudie, analyse les causes et les conséquences, reconstruit la chronologie des faits et identifie les acteurs, pour rendre compte et construire la fiction comme un témoin.

Le Projet Hakanā est un roman social, politique et écologique à l’ossature complexe et fouillée, ne dérogeant pas au souci d’exigence de l’auteur.

Au-delà du désastre écologique qui semble être la première motivation du roman et la mise en œuvre d’un projet de survie par les dirigeants Européens du XXII^e siècle, Marin Ledun pose une question essentielle : "comment en sommes-nous arrivés là ?", et met en lumière l’histoire du peuple Marquisien, un désastre social, écologique et culturel, un des exemples des conséquences de la colonisation dont la finalité est l’extinction d’une civilisation au profit d’une autre. Aussi, si par le passé, la colonisation a eu des conséquences désastreuses, elle est pensée dans Le Projet Hakanā comme un moyen de survie pour les populations du futur : pour ceux qui détiennent le pouvoir, il n’y a pas d’autres solutions que d’appliquer ce qui, par le passé, a déjà causé des dégâts irréversibles. Mais pour les membres de la mission Hakanā qui découvrent ce que fut le monde au XVI^e siècle, avant la colonisation, une prise de conscience s’opère : la colonisation pensée comme une solution est en réalité une impasse pour l’Humanité.

Marin Ledun alterne le récit entre les deux époques. L’enquêteur principal Simon Weber chargé d’interroger les membres de l’équipe revenus de Nuku Hiva sur ce qui s’est passé sur l’île, et ce qui a conduit Rim à enfreindre les règles, est le personnage par lequel se révèlent la dangerosité du Projet Hakanā, et les failles d’un système conçu sur le pouvoir et la technologie, un système dans lequel les dirigeants semblent avoir oublié que l’Homme est doté d’un esprit critique, éprouve des sentiments, peut faire preuve d’empathie, et tomber amoureux. Des dirigeants qui semblent avoir oublié que pour ces raisons-là, l’Homme peut se dresser contre l’autorité pour défendre ce qui lui semble juste. Des dirigeants qui semblent avoir oublié la définition même de l’Humanité. 

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Le Projet Hakanā, de Marin Ledun
Éditions Rageot, 224 pages