Otto
L’illustrateur et auteur de bande dessinée Charles Nogier publie à la fin du mois de septembre Otto aux Éditions de La Cerise. Ce récit imaginé en 2019, au cours d’une résidence au Chalet Mauriac, nous plonge dans la fuite initiatique d’un jeune chien. Entre la bande dessinée, l’illustration et le cinéma, cette œuvre hybride a trouvé sa place au sein d’une maison d’édition exigeante qui aime présenter des livres ambitieux et s’affranchir des formats et des genres.
[…]
La terre tourne dans le silence
et quelqu’un vit
et marche
et pense
Une ferme et la fumée bleue d’une cigarette
Un moulin et des yeux qui se ferment
Toutes les routes du monde
et les fleuves qui chantent
et ce ciel bleu de ciel
bleu bleu bleu
[…]
(Philippe Soupault, Tête baissée)
Otto est comme un poème de Philippe Soupault, il vacille entre légèreté et noirceur. Par la simplicité du choix de son cadre et de ses couleurs, Charles Nogier nous entraîne dans un récit d’une grande fluidité. Le réalisme et la vivacité de sa peinture créent tout un univers sensoriel. La technique lui vient de l’animation : de la peinture à l’huile sur rhodoïd1. "Il n’y a pas de croquis, confie-t-il. Faire un crayonné rendrait la chose un peu figée… L’intuition devient le baromètre de ce qui est bien ou pas." Il dit aimer le côté hypnotique produit par le fait de dessiner : il se laisse complètement aller dans les volumes, dans les ambiances. Ainsi, il prend le temps de décrire, s’applique à nous faire ressentir.
C’est la nuit. Le ciel s’assombrit. L’orage gronde. Les éclairs traversent l’image, menaçants. Derrière la porte close, le chien est seul, effrayé, comme un enfant. Il s’enfuit sous une pluie battante. Dans la campagne, l’aube chasse enfin les nuages et tout devient bleu. Le brouillard se lève, les gouttes de rosée glissent sur les brins d’herbe et c’est au tour des oies de traverser le ciel. Une longue errance commence pour cet animal perdu qui a quitté le confort et la sécurité de son foyer, comme l’adolescent quitte le nid parental. En parallèle, on suit son jeune maître qui l’attend, s’inquiète et jour après jour part à sa recherche.
On se croirait dans un film d'Agnès Varda, attaché à la terre, au temps qui passe. On savoure la liberté d’aller sans but, on redécouvre l’oisiveté. S’endormir dans les champs, contempler le ciel, jouer, sentir, goûter un papillon, s’arrêter au beau milieu de la route au risque de se faire percuter par un intrus motorisé.
On ressent aussi la solitude de l’animal. La caméra s’éloigne pour le représenter seul et minuscule dans d’immenses paysages inhabités. Puis elle se rapproche pour se focaliser sur sa gueule juvénile et sur l’expression de son regard. Les regards sont particulièrement travaillés.
"Le texte m’écarterait de ce que je dessine. La simplicité que son absence donne à la lecture me plaît… Ce qui marche avec le chien, c’est que je l’incarne vraiment quand je le dessine. J’ai besoin que ce soit intime, physique, incarné." Les personnages de Charles Nogier sont muets, mais l’auteur parvient à nous transmettre leurs émotions, leurs pensées et leurs intentions. On saisit facilement l’élégance et la naïveté du protagoniste, le caractère sympathique du chien errant, la puissance et l’agressivité du chien de chasse. On reconnaît là l’influence de Robert Bresson qui sut si bien communiquer au spectateur la souffrance de cet âne martyrisé, ce pauvre Balthazar.
Le chien fugueur cherche à se faire une place, à combler sa faim, à créer du lien, mais il est repoussé par des congénères protégeant leurs territoires, le narguant derrière des fenêtres closes, prisonniers de leur confort domestique, ou le prenant littéralement en chasse. Après bien des dangers et des déconvenues, il fera la rencontre d’une amitié solide et salvatrice. Un semblable qui l’accompagnera sur le chemin de son foyer où désormais il ne sera plus jamais seul.
Charles Nogier a grandi en Bourgogne. Otto lui permet de faire un pas de côté pour nous parler de lui, pour nous confier à travers des souvenirs et des sensations les enseignements et les blessures de son adolescence : "De grands espaces, être perdu, un ennui aussi… l’amitié, les premières amours… la peur, s’émerveiller du monde et se faire bousculer par les tiens…"
Otto, de Charles Nogier
Éditions de La Cerise
23 septembre 2022
240 pages
25 euros
ISBN : 978-2-918596-25-7
1 Le rhodoïd est un type de plastique créé par Rhône-Poulenc et qui se présente sous différentes formes (feuille, ruban) et de tailles variées.
(Photo : Quitterie de Fommervault)