À Ouagadougou : cinéma de demain, francophonie et panafricanisme
Au Ouaga Film Lab, ALCA Nouvelle-Aquitaine a récompensé fin septembre un projet de film congolais (RDC), Résilience*. Le réalisateur Joseph Moura et le producteur Emmanuel Lupia seront accueillis en décembre au Poitiers Film Festival. Rencontre avec Martina Malacrida, administratrice et chargée des relations internationales du Ouaga Film Lab.
Martina Malacrida : Oui, je crois que c’est une question de génération. Il y a eu celle des "grands maîtres" – Idrissa Ouedraogo, Djibril Diop Mambety et bien d’autres – mais quand, au début des années 2010, je travaillais au Festival de Locarno, on ne recevait quasiment plus de films africains. Ce vide coïncidait avec la fermeture de beaucoup de salles de cinéma et la fin de certains festivals sur l’ensemble du continent africain. Or, quand j’ai commencé à venir sur les lieux pour comprendre ce qu’il se passait, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui portaient des projets et qui essayaient de faire des films. Malheureusement, elles ne connaissaient pas assez bien le fonctionnement du marché pour pouvoir faire face à des situations économiques difficiles au niveau local.
Le projet du Ouaga Film Lab, il y a quatre ans, c’était donc d’essayer de mettre cette génération en lumière, non pas en les invitant en Europe – ça, je l’avais déjà fait à Locarno – mais en initiant une dynamique là où les personnes vivent, pensent, écrivent, travaillent et veulent continuer à travailler. Et il s’agissait de mettre en place un dispositif animé par des personnes qui sont ici : Alex Moussa Sawadogo, le directeur artistique, est burkinabè, tout comme Ousmane Boundaoné, le directeur administratif. Aujourd’hui, le Ouaga Film Lab accueille des jeunes tandems producteur-réalisateur et la moyenne d’âge est de 30 ans. On sent que des choses commencent à se passer, même dans des pays qui ne produisaient pas de films auparavant. J’espère que les films passés par le Ouaga Film Lab seront programmés en Europe, où l’on s’est concentré ces dernières années sur l’Amérique latine, puis sur l’Asie, l’Europe de l’Est et, dans une moindre mesure, le Maghreb.
Comment cette nouvelle génération se situe-t-elle par rapport à son héritage ?
M.L. : Les cinéastes que je rencontre ont un regard nouveau, ils ne se situent pas nécessairement dans la lignée des maîtres, je dirais même que certains cherchent leur voie indépendamment de l’histoire du cinéma écrite par ceux qui l’ont faite. Il y a des énergies fortes, celles d’œuvres spécifiques, très personnelles. Il se passe ici autre chose qu’en Europe, où l’on peut parfois observer une trop grande prudence en début de carrière. Les jeunes cinéastes que nous accueillons à Ouaga débordent d’envies, ils ont voyagé et parlent plusieurs langues, ils savent qu’ils peuvent faire avec peu : ils ont apprivoisé la dimension créative de la contrainte.
"Il y a des fonds spécifiques où on a de réelles chances d’être retenu en tant qu’Africain – en Suisse, au Luxembourg, en Allemagne, par exemple – et ils sont peu connus."
M.L. : Avant tout, nous avons écouté les besoins. Les professionnels nous ont d’abord demandé un accompagnement dans la recherche de financements. On pourrait penser que tout le monde connaît bien les différents fonds, parce qu’il y a tout sur internet mais, en réalité, à part les grands classiques – comme l’aide aux cinémas du monde pour les francophones – c’est parfois difficile de comprendre précisément les lignes des différents bailleurs de fonds. Or, il y a des fonds spécifiques où on a de réelles chances d’être retenu en tant qu’Africain – en Suisse, au Luxembourg, en Allemagne, par exemple – et ils sont peu connus. Des représentants de ces fonds viennent à Ouaga, ça aide énormément.
Ensuite, il faut souligner que sur environ 150 projets que nous recevons chaque année, nous en choisissons 10 pour participer au Lab : ainsi, nous avons un riche aperçu de l’émergence des talents et nous pouvons consolider des parcours qui s’annoncent forts ou atypiques. Pour cela, nous avons construit un parcours intensif de tutorat, au cours duquel des professionnels chevronnés partagent leurs expériences et offrent un accompagnement artistique solide aux porteurs de projets. Ce sont de longues sessions, ce qui donne le temps à de vraies rencontres, à du partage au sens large entre les personnes.
Parlez-nous d’un projet qui vous a marquée…
M.L. : L’an passé, il y avait un projet de documentaire du Mali, porté par un réalisateur qui est agriculteur et activiste, et un producteur qui est médecin et activiste lui aussi, pour l’agriculture à échelle humaine et contre les multinationales. Le projet a été pris en résidence d’écriture au Groupe Ouest, en Bretagne. Là-bas, notre tandem malien a rencontré un réseau de paysans bretons avec lequel des liens très forts se sont noués : le film a beaucoup avancé et ces rencontres y ont joué un rôle !
"Nous avons aussi envisagé une sorte de Ouaga Film Lab "hors les murs" : comme le Fespaco se tient tous les deux ans, nous pourrions nous caler sur ce rythme et, une année sur deux, nous installer dans un autre pays que le Burkina.
M.L. : Ouagadougou, c’est la ville du Fespaco, un festival panafricain historique, et le Burkina Faso est depuis longtemps une terre de cinéma. La dimension panafricaine du Ouaga Film Lab était donc présente dans ses "gênes" et, dès la première année, l’appel à projets était ouvert aux non-francophones. Pour le moment, nous nous concentrons sur l’Afrique de l’Ouest et du Centre, mais depuis cette année nous avons pu étendre l’appel aux pays des Grands Lacs (notamment le Congo, le Rwanda et l’Ouganda). Nous aimerions ouvrir le Lab à tout le continent, mais il nous faudrait un budget plus important. Nous avons aussi envisagé une sorte de Ouaga Film Lab "hors les murs" : comme le Fespaco se tient tous les deux ans, nous pourrions nous caler sur ce rythme et, une année sur deux, nous installer dans un autre pays que le Burkina. Les perspectives d’avenir ne manquent pas, mais nous devons encore consolider notre implantation ici, pour consolider notre identité et les financements existants. Espérons que le contexte sécuritaire ne va pas se dégrader, ce qui serait très triste pour le pays et nous handicaperait gravement.
*Synopsis du projet : À Kinshasa, Youssef milite depuis des années pour le changement politique. Mais il n’a pas de situation sociale et, absorbé par l’activisme, il peine à assumer son rôle de père. L’histoire de Youssef raconte aussi la première alternance politique de la République Démocratique du Congo, une alternance pour laquelle des centaines de militants ont sacrifié leur vie.