Saint-Just-le-Martel, centre national et international du dessin de presse
Alors que le ministre de la Culture a annoncé le 7 janvier sa volonté de créer une maison du dessin de presse, Saint-Just-le-Martel, en Haute-Vienne, accueille depuis 38 ans le Salon international de la caricature, du dessin de presse et d'humour, qui dispose depuis 2011 d'un centre permanent avec une capacité d'exposition de 2000 m2. Rencontre avec son codirecteur Guy Hennequin, qui revient sur l'histoire d'un salon et d'un centre reconnus par les dessinateurs du monde entier.
Comment avez-vous réagi à l'annonce du ministre de la Culture de créer une maison de la presse satirique ?
Guy Hennequin : Nous avons été surpris d'apprendre ce projet lors de l'annonce du ministre. Bien que nous entretenions des rapports avec la Drac Nouvelle-Aquitaine à Limoges, le ministre et le ministère ne nous ont jamais contactés. Ce qui est pour le moins frustrant : le ministère démontre ainsi qu'il n'a pas connaissance de l'existence du Centre international de la caricature, du dessin de presse et d'humour de Saint-Juste-le-Martel, qui accueille depuis près de quarante ans des dessinateurs et journalistes du monde entier. Nous souhaitons être partie prenante du projet et allons ainsi recevoir Vincent Monadé, missionné pour faire des propositions au ministre. Étant fortement attachés au territoire, nous serions ravis que ce projet lui donne de la visibilité, à la condition qu'il maintienne ce lien au territoire.
Le Salon international de la caricature, du dessin de presse et d'humour existe depuis près de quarante ans, étant à la fois ancré dans le territoire néo-aquitain et reconnu internationalement. Comment s'est construite cette histoire ?
G.H. : Le premier salon de l'humour a été monté en 1982 par le foyer des jeunes de St-Just sous la conduite de Gérard Vandenbroucke, maire de la commune [qui deviendra président de la Région Limousin puis vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine, ndlr]. Lors de la cinquième édition, en 1986, Michel Polac suggère la création du prix de l'humour vache (allusion au célèbre ruminant limousin). Cette même année, Loup emporte le premier prix de l'humour vache. La vache va alors beaucoup ouvrer pour la promotion du salon : elle prendra le nom de Justine et montera à Paris pour prendre le métro. L'année suivante, elle montera sur la tour Eiffel, puis dans le funiculaire de Montmartre, en boite de nuit et dans un magasin de porcelaine. Elle sera offerte tous les ans au dessinateur le plus vache de l'année et, pire, elle sera embrochée et grillée sur place le jour de l'inauguration ! Ce rite sacrificiel lui vaudra la sympathie des dessinateurs du monde entier, au point d'en faire la mascotte du festival. Aussi paradoxale que soit l'utilisation de cet animal pour symboliser une liberté qui lui est confisquée la plupart du temps, et l'humour dont il est, entre nous, totalement dépourvu, elle est pour autant l'image des liens qui se sont tissés entre les éleveurs et le festival pour porter haut les symboles de notre identité territoriale.
"En 2015, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, les dessinateurs du monde entier expriment leurs réactions en envoyant 250 dessins au Centre de St-Just."
Parmi les temps-forts de notre histoire, je retiens la délocalisation en 1998 de l'équipe complète de Charlie Hebdo (Philippe Val, Charb, tous les journalistes et dessinateurs) à St-Just pour tenir sa conférence de rédaction dans le train et animer le salon. Quelques années après, à la suite de l'affaire des caricatures de Mahomet en 2005, et à l'initiative de Plantu, naît "Cartooning for Peace". L'exposition est montée ici et sera exposée à l'ONU en présence de Koffi Annan, Plantu, les dessinateurs internationaux de "Cartooning for Peace" et une délégation de St-Just, dont Gérard Vandenbroucke. En 2015, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, les dessinateurs du monde entier expriment leurs réactions en envoyant 250 dessins au Centre de St-Just. Ces dessins feront l'objet de l'exposition "Les crayons de la liberté" (2019). Enfin, il y a deux ans, nous avons intégré le comité directeur des états généraux du dessin de presse, en collaboration avec la Mairie de Paris. L'objectif est de produire des recommandations pour promouvoir la liberté d'expression, l'égalité, l'éducation et la paix en vue des Objectifs de développement durable de 2030 de l'ONU.
L'association dispose depuis 2011 d'un Centre permanent. Que permet cette installation ?
G.H. : Le bâtiment a été inauguré officiellement pour la 30e édition du salon. Cet ensemble de béton, bois et verre, financé avec l'aide des Départements, de la Région, de l'État et de l'Union européenne, abrite sur 2000 m2 notamment deux salles d'exposition et un fonds documentaire. Le Centre est à la fois un musée, avec un fonds documentaire et artistique permanent et des expositions temporaires, et le lieu d'accueil du salon annuel. Il permet également de recevoir des spectacles, des conférences, des ateliers et des animations. Il est aussi doté d'une halle polyvalente, utilisée pour les expositions pendant le salon et pour les activités sportives, tout au long de l'année, par les élèves des écoles de la commune.
"Nous remettons chaque année le prix de l'humour vache - Barrigue en 2019 - et celui du crayon de porcelaine, récompensant un professionnel de presse en région - Marc Large en 2019 pour le documentaire Chaval, danger d'explosion [produit par Marmita Films et soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine]."
Quelles sont les activités du Centre, pendant et en dehors du salon ?
G.H. : Le salon est évidemment le temps-fort de l'année. Il est le fruit du travail passionné d’une équipe enthousiaste de bénévoles, qui transforment une commune de 2600 habitants, que rien par ailleurs ne prédisposait à cela, en une capitale incontestable de la caricature, du dessin de presse et d’humour, lieu où éclosent de multiples sourires, ceux des milliers de visiteurs du salon, ceux aussi plus acides ou plus tendres, plus lucides et plus impertinents, des 400 ou 500 dessinateurs qui, d’une cinquantaine de pays, adressent leurs dessins à St-Just-le-Martel. Nous remettons chaque année le prix de l'humour vache - Barrigue en 2019 - et celui du crayon de porcelaine, récompensant un professionnel de presse en région - Marc Large en 2019 pour le documentaire Chaval, danger d'explosion [produit par Marmita Films et soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine]. Nous avons remis l'année dernière à Pierre Ballouhey le premier prix Gérard Vanderbroucke, en hommage à celui qui a fondé le festival et qui nous a quittés en février 2019.
L'édition 2020 aura lieu du 26 septembre au 4 octobre. Nous n'avons pas défini de thème parce que les dessinateurs n'en font qu'à leur tête ! Mais nous devrions revenir sur les cinq ans des événements à Charlie Hebdo, sur le Brexit et d'autres sujets.
En dehors du salon, nous proposons toute l'année des expositions. Jusqu'au 17 avril, nous accueillons l'exposition "Les Crayons de la Justice", exposition collective de dessins de presse judiciaire de Cabu, Sylvie Guillot, Noëlle Herrenschmidt, Dominique Lemarié, Michel Pichon, Benoît Peyrucq, Plantu, Riss, Tignous et Tournade. Nous consacrerons ensuite une exposition à l'œuvre de Jean Bosc, puis viendra le temps du salon.