Sortie sèche : entre action artistique et thérapeutique
En janvier 2022 débutaient des ateliers de réalisation de court métrage de fiction auprès de patients-détenus à la SAS1 et de personnes sous main de justice suivies au centre médico-psychologique Espace Vienne. Deux soignants, Basile Charpentier, psychomotricien, et Sonia Billy, infirmière, ont mené ce projet en collaboration avec la société de production poitevine Hybrid Films, le Centre hospitalier Laborit de Poitiers et avec le soutien de l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine. Cinq participants se sont essayés à l’écriture de scénario et à la réalisation et cela a donné le court métrage Sortie sèche. Le film retrace le parcours de Marius, un ancien détenu qui reprend en main sa vie à la fin de sa peine. Les coordinateurs du projet nous détaillent la visée de cette expérience, à la fois thérapeutique et créative.
Comment ce projet cinéma est-il né ?
Sonia Billy : L’innovation de l’unité sanitaire de la SAS, c’est d’avoir l’objectif de porter ensemble, en milieu pénitentiaire, à la fois le somatique des détenus et l’accompagnement de personnes qui relèvent de troubles psychiques.
Basile Charpentier : Dans cette nouvelle unité, l’idée est de développer au maximum des actions thérapeutiques hors les murs. Cela comprend des activités psychocorporelles autour du sport, de la relaxation, du yoga, etc. Comme j’exerce aussi en tant qu’auteur-réalisateur2, j’ai eu envie de proposer un projet qui rejoint mes deux métiers. La réalisation et la production de courts métrages sont un vecteur très riche : il s’agit de faire un objet commun, de travailler la notion de groupe, de sortir progressivement les patients, de les ré- intégrer dans la cité, d’aller voir des partenaires, de rencontrer des techniciens, etc. C’est le projet parfait, à la jonction de la thérapeutique, du professionnel et de l’artistique !
S. B. : La mise en place logistique est une partie dans laquelle je me suis investie, car avant d’être infirmière, j’ai une expérience d’administratrice de production de compagnie de théâtre. J’avais les outils et une forme de réseau pour arriver à me projeter.
Du travail préparatoire au tournage, comment s’est passée l’implication des participants ?
B. C. : On a mené douze ateliers, dont cinq autour de l’écriture, une fois par semaine, pour balayer toutes les étapes de la construction d’un film. Ensuite, il y a eu une semaine de tournage, trois de post-production et des séances de diffusion. Les participants ne se connaissaient pas ; il fallait créer une dynamique, comprendre quel était leur univers. Nous avons commencé par regarder divers courts métrages, très différents. Ensuite, nous avons écrit un scénario en reprenant ensemble les règles dramaturgiques de base. Au fur et à mesure, on essayait d’affiner pour trouver notre personnage principal et construire son objectif. Il y a eu un gros travail sur l’élaboration de l’histoire.
S. B. : Concernant le scénario, les participants ont trouvé ce qu’ils avaient en commun pour raconter cette histoire : la sortie de prison et la réinsertion dans la vie professionnelle. Avant le tournage, nous avons abordé toutes les professions liées au cinéma pour enrichir leur expérience. Et à partir de l’atelier technique, leur implication est devenue concrète puisqu’ils étaient dans l’action.
Quel a été l’impact de ce projet sur les participants ?
B. C. : Sur le moment, ils étaient là, vraiment impliqués, très investis. Ce sont des petites graines qui sont semées, des moments qui restent. Pour des personnes sous main de justice, voir leur nom au générique d’un film qu’elles ont réalisé, c’est incroyable !
S. B. : Ils ont pris conscience du métier de comédien. Ça les a embarqués. Et côté technique, c’était assez valorisant pour eux d’être à la manœuvre. Le fait de projeter le film sur grand écran dans une salle de cinéma et de leur donner ensuite la parole pour un échange avec le public fut un moment très émouvant. Ce sont souvent des personnes qui n’ont pas la prise de parole facile. Ils avaient le trac, mais ils étaient tellement enthousiastes de parler de ce qu’ils avaient fait qu’ils ont réussi à le surpasser.
B. C. : Il y a de nombreux aspects qui se travaillent d’un point de vue thérapeutique : l’estime de soi, la relation aux autres, le travail sur les émotions, la cognition, etc. On doit se souvenir du texte pour pouvoir en parler aux comédiens et apprendre à projeter une émotion sur un acteur. Pour ceux qui sont incarcérés, ils ont perdu beaucoup de repères. Il faut reconstruire des choses qui peuvent nous paraître – nous qui sommes dehors et libres – totalement anodines, mais pour eux, ce n’est plus si facile : la ponctualité, la mobilité... La prison amène à la passivité. Notre rôle est de leur faire comprendre qu’ils vont reprendre une place dans la cité. Dans ce genre d’atelier, on réinsuffle un peu de sens, de vie et de mouvement. Cela peut paraître pas grand-chose, mais c’est essentiel pour qu’une fois dehors, ils ne se plantent pas, ou le moins possible.
S. B. : Ces acquis se transposent lors d’un entretien avec un employeur, par exemple : être à l’heure, savoir se présenter, se positionner... Car au début des ateliers, on leur demandait de s’exprimer, de parler d’eux.
En matière de réciprocité, qu’est-ce que ce genre d’expérience vous apporte dans votre activité professionnelle ?
B. C. : D’un point de vue artistique, c’est vraiment intéressant, et d’un point de vue humain, ce sont des expériences très riches ! Quand tu peux permettre à ces personnes de faire un film – pour certains, c’est un peu le rêve d’une vie –, c’est très positif. Nous restons des soignants dans ces ateliers, mais en dehors de la prison, on sort du soin traditionnel et du quotidien de travail. J’adore ces moments.
S. B. : Nous sommes tous dans un état d’esprit « hors les murs », que ce soient les patients ou nous-mêmes, et cela est très motivant.
Quelle sera la suite après Sortie sèche ?
S. B. : On renouvelle l’expérience des ateliers de réalisation cette année3. Pour le scénario, nous avons essayé de sortir de la situation d’une personne placée sous main de justice, d’être sur une création un peu plus élargie. Par rapport au contenu des ateliers, nous avons eu plusieurs retours de professionnels soignants ou du public disant : « On ne voit pas tous les participants à l’écran, comment ça se passe pour eux ? » Cela nous a donné envie d’enrichir le projet avec un making of4.
B. C. : En effet, l’idée est venue de proposer un making of du court métrage qui soit vraiment un objet filmique à part entière, type documentaire, pour montrer l’envers du décor. Il servira pour nos journées professionnelles, mais aussi de souvenir pour les participants.
S. B. : Le making of est confié à une équipe différente ; l’un de nos collègues prendra le relais avec d’autres patients : le projet s’étend et on délègue.
B. C. : On aimerait faire graviter de nouveaux ateliers autour de ce projet. Il y a déjà eu cette démarche avec la mise en place d’un atelier cuisine suivi par d’autres détenus qui sont venus tous les jours du tournage nous apporter un goûter. Il y aura donc ce making of et peut-être un autre groupe qui va fabriquer des costumes, des décors... L’idée, c’est qu’il y ait plusieurs groupes thérapeutiques avec des collègues qui viennent participer au projet sur des temps forts. C’est un travail porté par l’ensemble de l’équipe de l’unité sanitaire de la SAS et cet aspect collectif nous tient à cœur. S’il y a un maximum de personnes qui peuvent s’investir sur des temps particuliers, alors ce sera réussi.
1. La Structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) a vu le jour en septembre 2020,
notamment grâce à une collaboration entre le Centre hospitalier universitaire et le Centre hospitalier Laborit de Poitiers et à un financement de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Destinée à accueillir des personnes détenues condamnées à de courtes peines ou en fin de peine, la SAS est engagée dans une dynamique d’insertion.
2. Basile Charpentier, psychomotricien, est aussi un auteur-réalisateur. Il a notamment scénarisé le court métrage Le Corps des vieux, en 2016, et écrit et réalisé le court métrage Apibeurzdé, en 2020, tous deux produits pas la société poitevine Hybrid Films.
3. Projet soutenu financièrement par le CH Laborit et l’association Apsyleg, l’ARS, la Région Nouvelle-Aquitaine et la Drac au titre de la convention Culture et Santé (sous réserve).
4. Le projet de making of du court métrage bénéficie d’un soutien dans le cadre du dispositif Passeurs d’images coordonné notamment par la FRMJC Nouvelle-Aquitaine.