Tout le monde a un teckel sauf moi
Dans Tout le monde a un teckel sauf moi, publié en 2023 aux éditions Biscoto, Charlotte Pollet nous livre un premier album illustré élégant, peuplé de chiens courts sur pattes, d’humour et de poésie. Elle y aborde deux thématiques qui lui sont chères : l'amitié et l'obsession, que l'on retrouvait déjà dans Pipistrelli, sa précédente et première bande dessinée1.
Tout le monde a un teckel, sauf Assa… Même la Tour Eiffel a un teckel, c’est dire. Sur la couverture, une grande petite fille est affalée sur son lit, le sourire à l’envers. Ici, pas de caprices, pas de colère, seulement une enfant profondément désespérée. Assa se languit, elle est entourée d’objets et d’images représentant, je vous le donne en mille, des teckels !
Le caractère obsessionnel de l’histoire est appuyé par un travail au normographe aussi fou et précis que celui de Chris Ware : des droites et des courbes parfaites tracées avec soin et régularité donnent naissance à des dessins d’une grande finesse mis en valeur par des choix de couleurs harmonieux.
La typographie s’amuse parfois avec les illustrations pour décrire cette frustration vécue par tous les enfants, depuis que les enfants existent. Très peu de mots, mais de grandes images qui portent la question du désir et nous invitent à ne pas confondre l’objet et le compagnon. Charlotte Pollet explique : "Le spécisme qui régit notre rapport aux autres animaux est un terreau tristement peu fertile pour nouer des relations dignes avec le reste du vivant."
Fantasmes partout, teckels nulle part
Assa vit avec son papa, sa maman, et son obsession pour les teckels.
Elle est seule dans sa chambre, va seule chez l’épicier. Elle choisit une seule pâtisserie et semble passer beaucoup de temps à observer les choses et les personnes qui l’entourent. Surtout celles qui ont un teckel.
Le petit lecteur s’amuse à compter puis à démasquer les chiens qui peu à peu se dissimulent dans les illustrations. Il embrasse l’adorable museau rose qui apparaît en pleine page et on le surprend à caresser les chiots qui tètent le sein de la jolie maman teckel à poil long. Il comprend la photo découpée, la mine déconfite d’Assa et lui aussi, à la fin, souhaiterait avoir un teckel ou au minimum, voudrait-il voir Assa sourire.
Au fil des pages, nous comprenons ce que ressent véritablement le personnage.
On se laisse porter par cette histoire absurde, à la limite du surréalisme. On suit les lignes fluides puis on plonge dans l’épure des couleurs lumineuses pour vivre avec Assa une obsession un peu folle. Un voyage peuplé d’hallucinations poétiques où les teckels ont remplacé les limaces dans les salades et se retrouvent jusque chez le coiffeur, dans la forme prise par les cheveux tombés par terre.
Charlotte Pollet raconte qu’étant enfant, elle désespérait d’avoir un chat. Elle tannait ses parents qui un jour sont revenus avec… une vieille chienne obèse, sauvée de l’euthanasie.
Assa, contrairement à l'autrice, possèdera-t-elle l’animal de ses rêves ? Suspense.
Ma vie de teckel
Tout ce que je dévoilerais, c’est qu’à la fin, la petite fille ouvre grand son sourire pour laisser paraître deux morceaux de sucre blanc : des dents du bonheur écartées comme les bras de ceux qui accueillent un nouvel ami.
"Certains jours, avoue l’autrice, le monde est trop grand et on se sent un peu teckel." Alors, quoi de mieux qu’un compagnon pour affronter le monde et peu importe si c’est un coq, un cochon ou vieux corniaud tacheté à poils drus ?
Nous serions tout de même en droit de nous demander pourquoi la petite Assa s’est vu attribuer une telle fascination pour les teckels quand Antoine de Saint-Exupéry choisissait, lui, une jolie compagne armée d’épines pour imprégner toutes les pensées du Petit Prince. À ce propos, la sémillante Charlotte Pollet répond : "La hauteur de leurs pattes me bouleverse." Elle dit adorer "ces petits chiens dont la perception du monde se passe à 15 cm, un étage qui concerne en général les pieds des autres espèces…"
Avec cette fantaisie, ce goût pour l’absurde, et cet humour premier degré, on comprend pourquoi l'autrice se sent bien chez Biscoto. Cette année, la maison d’édition angoumoisine fête ses dix ans en tant que journal2 "plus fort que costaud", dix ans de perles graphiques, de publications intelligentes et audacieuses. Dix ans que Biscoto "fait des farces sans prendre les enfants pour des dindes".
1 Pipistrelli est paru aux éditions Biscoto en 2019. L'ouvrage fut sélectionné pour le prix Pépite BD du salon de Montreuil et le Fauve BD Jeunesse du festival d’Angoulême 2020.
2 Biscoto est un journal jeunesse qui publie depuis 2013 et se lance dans l'édition de livres jeunesse en 2016.
(Photo : Quitterie de Fommervault)