Una stanza tutta per sé
Gaïa Guasti est italienne, arrivée en France à l’âge de 18 ans. Des études de cinéma, formation à l’écriture de scénario. Son premier roman était écrit en italien, mais désormais elle a fait le choix du français. Après deux années passées en Ardèche, sa région de cœur, elle est de nouveau installée dans la région parisienne. En résidence pendant deux mois au Chalet Mauriac, Le Mystère Frontenac déjà sur sa table de nuit.
Petit à petit l’écriture littéraire est revenue, ma première passion. J’ai publié mon premier roman "pour la jeunesse" il y a trois ans, écrit en français, chose je croyais impossible. Je ne me sentais pas légitime pour le texte littéraire dans cette langue. Je me suis autorisé à écrire en français sans doute à cause de mes enfants. Comme si j’avais appris la langue avec eux et que je m’y étais autorisée, grandissant dans la langue en même temps qu’eux. Comme si je réapprenais le français avec eux. Ce n’est pas ma langue maternelle, mais peut-être pourrait-on dire que c’est ma langue "filiale" !
Le passage par le cinéma a compté, bien sûr, dans la construction du récit, la structure, la réflexion sur les personnages. Il y a encore beaucoup de scénario dans mes romans. Je raconte par images. Je ne construis rien à l’avance, j’écris en laissant venir le texte. C’est encore plus agréable parce que j’ai intégré les mécaniques d’écriture de scénario, alors le sens du récit et les techniques de rebondissement sont inscris dans ma pratique d’écriture.
C’est merveilleux de se laisser porter par l’écriture. Ensuite il y a toujours un moment, aux deux tiers du récit, où je me retourne pour faire le point, m’interrogeant à propos de ce que je viens d’écrire, ce que je dois couper, modifier, pour gagner en cohérence.
Je viens pour écrire le troisième tome de La voix de la meute, une trilogie fantastique envisagée comme telle dès le départ. Trois personnages, deux garçons et une fille, pris sur trois ans, à trois moments précis de leur vie : les regrets de l’enfance, la crise profonde d’identité traversée à l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte, où ils finiront par trouver leur place. Il fallait donner du temps au récit pour raconter ces passages fondateurs.
J’avais une vue d’ensemble des trois livres, mais il fallait ensuite les écrire chacun leur tour ! Je n’ai pas encore commencé le troisième, si, en fait, j’ai commencé ce matin ! J’ai une idée en tête, je sais où je vais, mais beaucoup de choses encore restent floues. Alors je suis très impatiente de les découvrir, parce que, quand j’écris, je découvre en même temps mon récit, j’ai presque parfois l’impression de le lire, c’est un sentiment extraordinaire, parfois je me dis, ah, tiens, il se passe ça !
Mes enfants ne sont pas encore adolescents, alors je crois que ces textes sont pour moi une sorte d’exorcisme, une sorte de préparation, d’anticipation psychologique !
Une résidence de deux mois, d’écriture littéraire, c’est la première fois, occasion merveilleuse qui offre un temps suffisamment long pour aborder la rédaction d’un roman, en s’extrayant de la soupe du quotidien. En deux mois, je compte vraiment écrire le roman, une première version tout au moins.
Normalement, je dois écrire entre les moments où mes enfants sont à l’école, alors je me retrouve à avoir des heures de bureau ! Mais j’ai découvert un rythme particulièrement efficace, se lever très tôt le matin, à l’aube, aux heures où personne ne peut vous déranger. Une espèce de temps suspendu, très propice à la création. On voit le monde différemment, encore un peu dans le sommeil, donc encore un peu dans les rêves aussi, qui entrent beaucoup dans le processus de création.
J’ai trouvé cela dans les moments de ma vie, en Ardèche en particulier, où j’étais trop prise par le quotidien, n’ayant plus cet espace pour la création. Commencer par une petite balade aux premières lueurs du jour lance extraordinairement bien la créativité. Ici, au Chalet Mauriac, c’est nouveau pour moi, d’avoir tout mon temps, mais je pense que je vais garder ce rythme.
Pour écrire il faut être très auto-disciplinée. Moi, écrire, je n’ai fait que cela, toute ma vie. J’ai une pratique de l’écriture depuis plus de vingt ans, alors j’ai une bonne capacité à l’autodiscipline !
C’est d’ailleurs la raison de ma demande de résidence. La difficulté, l’année dernière, en raison de déménagements notamment, à trouver un espace de concentration. Déjà, pour ces raisons, la fin du deuxième tome avait été difficile. D’autant plus sur une trilogie, où il faut une concentration pour garder la cohérence. Si on perd le fil, on risque de faire des incohérences flagrantes. Aujourd’hui, pour me mettre à l’écriture du troisième tome, il me faut relire les deux premiers et toutes mes notes. Je ne suis plus la même personne que l’année dernière, je ne suis plus dans le même état d’âme, alors je risque de transformer mon personnage en quelqu’un de complètement différent !
Mon éditrice m’a parlé de la résidence, qui me permettrait cette concentration indispensable. Alors j’ai fait ma demande l’année dernière, en plein marasme !
Cet isolement, ici, à la campagne, c’est tout ce qu’il me fallait. Mes romans se passent à la campagne justement, m’y retrouver est donc très important. Même s’il s’agit de villages imaginaires, l’Ardèche a été leur source d’inspiration et, en grande partie, leur lieu d’écriture.
La trilogie explore le sauvage, alors les bruits, les couleurs, les lumières, tout cela est nécessaire et ce qui me manque le plus en région parisienne. Hier, la première chose que j’ai faite a été de me promener dans le parc ! Je ne pouvais rêver mieux que de me retrouver dans un endroit comme celui-ci, même si cela ne m’était encore jamais arrivé sur une durée aussi longue. J’imagine déjà ces longues journées sans fin, qui ne s’arrêtent pas au milieu de l’après-midi…
Si j’ai coupé tous les ponts avec la famille, avec les enfants ?
Ah, non, non ! Je leur parle tous les jours… Je suis italienne tout de même !