Vingt-cinq ans de confluences
En 1994, Éric Audinet se lance dans l'aventure en créant les éditions confluences à Bordeaux. Vingt-cinq ans et 500 titres plus tard, il a constitué un catalogue riche qui invente le territoire du Sud-Ouest.
Comment vous êtes-vous engagé dans l'aventure de l'édition il y a vingt-cinq ans ?
Éric Audinet : Cela faisait dix ans déjà que je vivais des livres ou des textes, en qualité d'écrivain, journaliste, enseignant, éditeur. J’écrivais de la poésie et des récits improbables, je m’essayais à la critique littéraire et artistique, j’enseignais la littérature et la culture générale. Avec Olivier Cadiot1 et Pascalle Monnier2, nous avions créé une maison d’édition de poésie microscopique, Quffi & Ffluk, nous lisions Emmanuel Hocquard3 et les auteurs qu’il publiait chez Orange Export Ltd ; puis je m’étais associé, à partir de 1987, en même temps que je retournais à Bordeaux, avec Jacques Sargos, pour créer l’Horizon chimérique4. Ce moment a été très important pour moi, c’est à partir de là que j’ai fait la différence entre ce que je pouvais produire comme écrivain (de la littérature) et ce que je me suis mis à faire comme éditeur : un projet de vie et de productions enraciné dans – ou peut-être, un peu différemment, impacté par – un territoire, le Sud-Ouest, qui est aussi celui de mon histoire familiale, en partie fantasmée par une enfance et une adolescence passées à l’étranger – une extension asiatique et africaine des imaginaires aquitains.
Après mon départ de l’Horizon chimérique, je décidais simultanément et conjointement, en 1994, de créer les éditions confluences et de rester dans le Sud-Ouest, considérant qu’éditer des livres et révéler un territoire, ses paysages, sa vie, ses auteurs étaient presque une même entreprise. Depuis vingt-cinq ans, les livres des éditions confluences, dans tous les domaines abordés, littérature, art, patrimoine, histoire, art de vivre, inventent ce territoire, au sens où le font les archéologues.
Quel type d'ouvrages vouliez-vous promouvoir alors ?
E.A. : Avec cette séparation, au moment de la création des éditions confluences, entre ce que j’espérais écrire et ce que je voulais publier, les choses se sont clarifiées. Inventer le Sud-Ouest dans les livres qu’allait publier confluences, ça a été d’abord deux sujets qui continuent à m’occuper au bout de vingt-cinq ans, Félix Arnaudin5 et Bordeaux, un "pays" et une ville, et aussi une double préoccupation pour les textes et les images. J’ai tout de suite pensé qu’une partie des livres que nous ferions proposerait à la fois des textes et des images – surtout la photographie au début – mais jamais dans un rapport d’illustrations de l’un par l’autre. Quand nous avons réfléchi à ce que nous pourrions faire pour les vingt-cinq ans, j’ai très vite pensé à une "exposition" du travail, "une histoire possible" à partir des "livres d’images", et c’est ce que nous a proposé Nathalie Lamire Fabre à Arrêt sur l’image galerie6. Pour citer quelques exemples de ces livres, je pense à toute l’œuvre d’Arnaudin, à la collection littéraire avec les couvertures de Thierry Lahontâa, la trilogie Cèpes/Chasseur Cueilleur/Pêcheur réalisée avec le photographe Jean-Luc Chapin, à Frontons de Frédéric Lefever, avec des textes de Jean-Paul Callède et d’Iñigo de Satrustegui.
Éric Audinet : Cela faisait dix ans déjà que je vivais des livres ou des textes, en qualité d'écrivain, journaliste, enseignant, éditeur. J’écrivais de la poésie et des récits improbables, je m’essayais à la critique littéraire et artistique, j’enseignais la littérature et la culture générale. Avec Olivier Cadiot1 et Pascalle Monnier2, nous avions créé une maison d’édition de poésie microscopique, Quffi & Ffluk, nous lisions Emmanuel Hocquard3 et les auteurs qu’il publiait chez Orange Export Ltd ; puis je m’étais associé, à partir de 1987, en même temps que je retournais à Bordeaux, avec Jacques Sargos, pour créer l’Horizon chimérique4. Ce moment a été très important pour moi, c’est à partir de là que j’ai fait la différence entre ce que je pouvais produire comme écrivain (de la littérature) et ce que je me suis mis à faire comme éditeur : un projet de vie et de productions enraciné dans – ou peut-être, un peu différemment, impacté par – un territoire, le Sud-Ouest, qui est aussi celui de mon histoire familiale, en partie fantasmée par une enfance et une adolescence passées à l’étranger – une extension asiatique et africaine des imaginaires aquitains.
Après mon départ de l’Horizon chimérique, je décidais simultanément et conjointement, en 1994, de créer les éditions confluences et de rester dans le Sud-Ouest, considérant qu’éditer des livres et révéler un territoire, ses paysages, sa vie, ses auteurs étaient presque une même entreprise. Depuis vingt-cinq ans, les livres des éditions confluences, dans tous les domaines abordés, littérature, art, patrimoine, histoire, art de vivre, inventent ce territoire, au sens où le font les archéologues.
Quel type d'ouvrages vouliez-vous promouvoir alors ?
E.A. : Avec cette séparation, au moment de la création des éditions confluences, entre ce que j’espérais écrire et ce que je voulais publier, les choses se sont clarifiées. Inventer le Sud-Ouest dans les livres qu’allait publier confluences, ça a été d’abord deux sujets qui continuent à m’occuper au bout de vingt-cinq ans, Félix Arnaudin5 et Bordeaux, un "pays" et une ville, et aussi une double préoccupation pour les textes et les images. J’ai tout de suite pensé qu’une partie des livres que nous ferions proposerait à la fois des textes et des images – surtout la photographie au début – mais jamais dans un rapport d’illustrations de l’un par l’autre. Quand nous avons réfléchi à ce que nous pourrions faire pour les vingt-cinq ans, j’ai très vite pensé à une "exposition" du travail, "une histoire possible" à partir des "livres d’images", et c’est ce que nous a proposé Nathalie Lamire Fabre à Arrêt sur l’image galerie6. Pour citer quelques exemples de ces livres, je pense à toute l’œuvre d’Arnaudin, à la collection littéraire avec les couvertures de Thierry Lahontâa, la trilogie Cèpes/Chasseur Cueilleur/Pêcheur réalisée avec le photographe Jean-Luc Chapin, à Frontons de Frédéric Lefever, avec des textes de Jean-Paul Callède et d’Iñigo de Satrustegui.
"Toutes ces collections et ces approches multiples tissent pour moi une toile. À chaque parution, j’ai le sentiment de remplir la nouvelle case d’un puzzle."
Comment les collections ont-elles évolué par la suite ?
E.A. : Les collections ont justement permis de systématiser ce travail d’inventaire que nous voulions mener depuis le début. La collection Traversées dans laquelle des écrivains s’attelaient (roman, récits, essais) à parler du territoire, à moins qu’ils n’en viennent. Les Petits vocabulaires qui est une sorte de bibliothèque du savoir abordant des thématiques de lecture ou de compréhension du monde (pas du tout limité au Sud-Ouest mais dans lesquels le Sud-Ouest se reconnaît largement, la préhistoire, l’histoire de l’art, la mycologie, l’écologie, le Moyen Age). La collection de beaux livres ou celle d’Histoire qui choisissent des "tranches" du Sud-Ouest (la préhistoire, les monographies de Marquet ou de Chaban-Delmas, le Montaigne politique, les Terres Neuves de Bordeaux ou Aliénor d’Aquitaine). Visages du patrimoine en Nouvelle-Aquitaine avec le Service de l’Inventaire et du patrimoine, une sorte d’itinérance dans les villes et les paysages ; Fiction à l’œuvre qui associe un écrivain avec une œuvre du FRAC Nouvelle-Aquitaine MÉCA. J’aime beaucoup aussi une petite collection, Stèles, où je publie des textes un peu à part, des entretiens, de courts essais, récemment un texte de Dominique Pasqualini, un point de vue d’artiste sur la grotte préhistorique7.
Nous travaillons avec de nombreux partenaires (la Région, les Départements, les villes, des commanditaires privés), et ce sont des moments assez excitants puisque nous abordons des sujets que nous n’aurions pas pu traiter tout seul ou même auxquels nous n’aurions pas pensé. Toutes ces collections et ces approches multiples tissent pour moi une toile. À chaque parution, j’ai le sentiment de remplir la nouvelle case d’un puzzle.
Quels sont à ce jour les succès d'édition importants pour votre maison ?
E.A. : Je ne cherche pas vraiment à obtenir de gros succès, mais plutôt à publier des ouvrages et des auteurs qui s’installent dans le temps et trouvent leurs bons lecteurs. Cela a été le cas par exemple, et parmi d’autres, de Une ville bâtie en l’air de Jean-Marie Planes, de Ce que manger Sud Ouest veut dire, de Christian Coulon, de l’Œuvre photographique de Félix Arnaudin, de Préhistoires de France de Jacques Jaubert, que nous venons de rééditer. Ce sont des livres qui, des années plus tard, continuent à exister et, à titre personnel, me donnent envie de les faire vivre.
Il y a aussi des textes plus confidentiels dont je me souviens, dans le détail, toutes les étapes de leur réalisation, et qui seront toujours disponibles au catalogue, par exemple ce roman magnifique de William Margolis, un New Yorkais devenu Bordelais, Au large des îles fauts, le texte de Pascalle Monnier, De l’art de chasser au moyen des oiseaux, sur une photographie de Larry Clarke, de courts essais d’Yves Harté sur la tauromachie (La Huitième couleur) ou Crise, un récit de Bernard Duché.
E.A. : Les collections ont justement permis de systématiser ce travail d’inventaire que nous voulions mener depuis le début. La collection Traversées dans laquelle des écrivains s’attelaient (roman, récits, essais) à parler du territoire, à moins qu’ils n’en viennent. Les Petits vocabulaires qui est une sorte de bibliothèque du savoir abordant des thématiques de lecture ou de compréhension du monde (pas du tout limité au Sud-Ouest mais dans lesquels le Sud-Ouest se reconnaît largement, la préhistoire, l’histoire de l’art, la mycologie, l’écologie, le Moyen Age). La collection de beaux livres ou celle d’Histoire qui choisissent des "tranches" du Sud-Ouest (la préhistoire, les monographies de Marquet ou de Chaban-Delmas, le Montaigne politique, les Terres Neuves de Bordeaux ou Aliénor d’Aquitaine). Visages du patrimoine en Nouvelle-Aquitaine avec le Service de l’Inventaire et du patrimoine, une sorte d’itinérance dans les villes et les paysages ; Fiction à l’œuvre qui associe un écrivain avec une œuvre du FRAC Nouvelle-Aquitaine MÉCA. J’aime beaucoup aussi une petite collection, Stèles, où je publie des textes un peu à part, des entretiens, de courts essais, récemment un texte de Dominique Pasqualini, un point de vue d’artiste sur la grotte préhistorique7.
Nous travaillons avec de nombreux partenaires (la Région, les Départements, les villes, des commanditaires privés), et ce sont des moments assez excitants puisque nous abordons des sujets que nous n’aurions pas pu traiter tout seul ou même auxquels nous n’aurions pas pensé. Toutes ces collections et ces approches multiples tissent pour moi une toile. À chaque parution, j’ai le sentiment de remplir la nouvelle case d’un puzzle.
Quels sont à ce jour les succès d'édition importants pour votre maison ?
E.A. : Je ne cherche pas vraiment à obtenir de gros succès, mais plutôt à publier des ouvrages et des auteurs qui s’installent dans le temps et trouvent leurs bons lecteurs. Cela a été le cas par exemple, et parmi d’autres, de Une ville bâtie en l’air de Jean-Marie Planes, de Ce que manger Sud Ouest veut dire, de Christian Coulon, de l’Œuvre photographique de Félix Arnaudin, de Préhistoires de France de Jacques Jaubert, que nous venons de rééditer. Ce sont des livres qui, des années plus tard, continuent à exister et, à titre personnel, me donnent envie de les faire vivre.
Il y a aussi des textes plus confidentiels dont je me souviens, dans le détail, toutes les étapes de leur réalisation, et qui seront toujours disponibles au catalogue, par exemple ce roman magnifique de William Margolis, un New Yorkais devenu Bordelais, Au large des îles fauts, le texte de Pascalle Monnier, De l’art de chasser au moyen des oiseaux, sur une photographie de Larry Clarke, de courts essais d’Yves Harté sur la tauromachie (La Huitième couleur) ou Crise, un récit de Bernard Duché.
"Avec presque 500 ouvrages à notre catalogue, nous créons aussi cette année, à l’occasion des vingt-cinq ans, une collection de poche, pour faire vivre le fonds."
Quels sont les deux ou trois auteurs compagnons de la maison de toutes ces années ?
E.A. : Les relations professionnelles et affectives avec les auteurs sont évidemment le cœur battant d’une maison d’édition, dans les bons comme dans les mauvais moments, dans les fidélités comme dans les trahisons, dans les premières lectures des manuscrits comme dans les virées post publication. Je dois sans doute à ces relations parmi les moments les plus intenses de ma vie. Il est difficile pour moi de citer tel ou tel. Je peux dire en revanche que je regrette par exemple de ne pas avoir publié La maison du retour de Jean-Paul Kauffmann, L’enterrement à Sabres de Bernard Manciet, tel ou tel livre de Pierre Veilletet.
Quels sont vos projets ?
E.A. : Depuis la création de la Nouvelle-Aquitaine, nous nous sommes concentrés encore davantage sur ce territoire à la fois réduit et immense, dans nos choix éditoriaux comme dans notre réseau de diffusion. De ce point de vue, nous travaillons sur trois projets un peu tentaculaires qui paraîtront dans les mois et les années qui viennent : une Histoire du jazz en Nouvelle-Aquitaine de Philippe Méziat et Emmanuelle Debur, un Guide des sites et lieux de la Préhistoire dans la région, sous la direction de Jacques Jaubert, et un très (trop déjà) gros ouvrage sur les Objets de la Nouvelle-Aquitaine8 qui réunira des historiens, des conservateurs de musée et des écrivains. Avec presque 500 ouvrages à notre catalogue, nous créons aussi cette année, à l’occasion des vingt-cinq ans, une collection de poche, pour faire vivre le fonds.
1 Sept détails assez lents, Quffi &Ffluk. Depuis L’Art Poetic (1988), Olivier Cadiot publie ses livres aux éditions POL.
2 A publié Bayart (1995) et Aviso aux éditions POL et De l’art de chasser au moyen des oiseaux aux éditions confluences.
3 Dernier livre : Le Cours de Pise (POL, 2018). A publié aux éditions confluences Les oranges de Saint-Michel, avec des photographies de Juliette Valery. Emmanuel Hocquard est mort en janvier 2019.
4 D’après un titre de Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914).
5 Œuvres complètes en 9 volumes et Œuvre photographique, aux éditions confluences.
6 Galerie essentiellement consacrée à la photographie, 45 cours du Médoc à Bordeaux.
7 La grotte est un corps, éditions confluences, 2019.
8 Un peu sur le modèle du magnifique livre de Neil Mac Gregor, Une histoire du monde en 100 objets, aux éditions des Belles-Lettres.
E.A. : Les relations professionnelles et affectives avec les auteurs sont évidemment le cœur battant d’une maison d’édition, dans les bons comme dans les mauvais moments, dans les fidélités comme dans les trahisons, dans les premières lectures des manuscrits comme dans les virées post publication. Je dois sans doute à ces relations parmi les moments les plus intenses de ma vie. Il est difficile pour moi de citer tel ou tel. Je peux dire en revanche que je regrette par exemple de ne pas avoir publié La maison du retour de Jean-Paul Kauffmann, L’enterrement à Sabres de Bernard Manciet, tel ou tel livre de Pierre Veilletet.
Quels sont vos projets ?
E.A. : Depuis la création de la Nouvelle-Aquitaine, nous nous sommes concentrés encore davantage sur ce territoire à la fois réduit et immense, dans nos choix éditoriaux comme dans notre réseau de diffusion. De ce point de vue, nous travaillons sur trois projets un peu tentaculaires qui paraîtront dans les mois et les années qui viennent : une Histoire du jazz en Nouvelle-Aquitaine de Philippe Méziat et Emmanuelle Debur, un Guide des sites et lieux de la Préhistoire dans la région, sous la direction de Jacques Jaubert, et un très (trop déjà) gros ouvrage sur les Objets de la Nouvelle-Aquitaine8 qui réunira des historiens, des conservateurs de musée et des écrivains. Avec presque 500 ouvrages à notre catalogue, nous créons aussi cette année, à l’occasion des vingt-cinq ans, une collection de poche, pour faire vivre le fonds.
1 Sept détails assez lents, Quffi &Ffluk. Depuis L’Art Poetic (1988), Olivier Cadiot publie ses livres aux éditions POL.
2 A publié Bayart (1995) et Aviso aux éditions POL et De l’art de chasser au moyen des oiseaux aux éditions confluences.
3 Dernier livre : Le Cours de Pise (POL, 2018). A publié aux éditions confluences Les oranges de Saint-Michel, avec des photographies de Juliette Valery. Emmanuel Hocquard est mort en janvier 2019.
4 D’après un titre de Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914).
5 Œuvres complètes en 9 volumes et Œuvre photographique, aux éditions confluences.
6 Galerie essentiellement consacrée à la photographie, 45 cours du Médoc à Bordeaux.
7 La grotte est un corps, éditions confluences, 2019.
8 Un peu sur le modèle du magnifique livre de Neil Mac Gregor, Une histoire du monde en 100 objets, aux éditions des Belles-Lettres.
Journaliste de 1991 à 2008 (France Culture, Le Monde, Sud Ouest), Serge Airoldi dirige depuis 2008 les Rencontres à Lire de Dax. Auteur de nombreux livres, dont Rose Hanoï (Arléa, 2017) et Si maintenant j’oublie mon île (L’Antilope, 2021), il collabore à des revues. Depuis 2017, il dirige la collection Pour dire une photographie aux éditions Les Petites Allées.