"Ximinoa", un singe en été
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La réalisatrice Itziar Leemans dissèque les rapports de domination entre une jeune Basque et sa patronne parisienne, au cours d'un job d'été à Saint-Jean-de-Luz. L'esthétique exigeante de Ximinoa/Le Singe conjuguée à l'étude naturaliste des relations humaines ont valu au film une sélection pour le prix du court métrage des lycéens de Nouvelle-Aquitaine, Haut les courts !
Comment s'inscrit Ximinoa/Le Singe dans votre filmographie ?
Itziar Leemans : Ximinoa occupe une place particulière, car je viens du monde du documentaire. J'ai déjà
réalisé deux longs métrages documentaires sur Cuba, Parque Lenin et Boca Ciega, cependant je désire depuis toujours me diriger vers la fiction. La réalisation de Ximinoa, mon premier court métrage de fiction, a pris deux ans, soit un an et demi d'écriture et de recherches de financements, une semaine de tournage et environ deux mois de post-production.
Quel est le thème de votre court métrage ?
Itziar Leemans : Ce film est à mes yeux une dénonciation de la violence de classe. D'une part le comportement des employeurs de June est inadmissible, d'autre part il correspond à un grand mépris à l'égard de la culture basque. L'espace clos de la maison bourgeoise où l'on entend uniquement le français est opposé à la vie de June qui se déroule en basque avec sa grand-mère et ses amies. L'unique rencontre du basque et du français a lieu lors de la scène d'humiliation, lorsque le père et la mère de Constance demandent à June de chanter en basque au milieu du repas, devant leurs amis. Je suis très satisfaite de cette scène. D'après les retours que j'en ai eus, elle génère beaucoup d'émotions, suscite parfois de la gêne, voire des larmes. La scène réussit à montrer la violence de classe et le racisme ordinaire.
Pouvez-vous expliquer plus en détail ce passage-clé du film ?
Itziar Leemans : En vérité, cette séquence est le point de départ du scénario et du film. À l'occasion de mon premier job d'été, j'ai dû m'occuper de plusieurs enfants et lors d'un repas on m'a demandé de chanter en basque devant une trentaine de personnes. Cet épisode vécu est devenu le scénario de ce court métrage bien des années plus tard. Au moment du tournage, j'ai eu peur de cette scène difficile avec beaucoup d'acteurs. C'est en effet la seule scène où j'ai accordé de la place à l'improvisation : chacun pouvait broder à partir des trois phrases mises à leur disposition. En tant que réalisatrice, c'était un véritable défi de diriger des acteurs non professionnels et au final je trouve que l'image est magnifique. La scène est aboutie. Par ailleurs, c'était très important de choisir la chanson idéale, celle de Mikel Laboa basée sur la nostalgie de l'amour maternel. La chanson de June exprime sa pensée à ce moment-là. Le chant constitue un espace de résistance car June raconte l'amour reçu lorsqu'elle était enfant devant une femme incapable de s'occuper de sa fille. June est prise au piège, mais son chant n'est pas une défaite ou une soumission.
La figure du singe n'est-elle pas ambivalente puisqu'elle permet dans une autre scène d'établir une relation amicale entre June et Constance ?
Itziar Leemans : En effet, le singe peut aussi être porteur d'une animalité positive. En jouant à imiter le singe, June parvient à faire rire la petite Constance qui souffre de manque d'affection. June et Constance sont reliées parce que l'enfant est spontanée, elle n'a pas encore assimilé tous les jugements de sa classe. De plus, la dimension positive du singe tient à la liberté qu'elle octroie à June pour transgresser les codes et monter sur la table en poussant des cris. Ainsi le film met en avant deux scènes intenses autour de la figure du singe : la première est un jeu consenti et émancipateur, la seconde une humiliation.
Quelle importance esthétique accordez-vous aux images, aux décors et à l'espace ?
Itziar Leemans : Comme je suis directrice de la photographie, j'accorde une importance essentielle à l'image.
Avec son luxe et ses décors écrasants, la maison bourgeoise est présentée comme une prison dorée. Les plans fixes rendent son immensité particulièrement étouffante. J'ai voulu faire éprouver le malaise de June face à la pesanteur de la maison. De plus, je joue avec le contraste des différents espaces, notamment par la mise en parallèle des deux cages d'escaliers : le colimaçon étroit et sombre du HLM s'oppose à l'escalier énorme et lumineux de la maison bourgeoise. Lors du plan final où les deux filles courent ensemble sur la plage, j'ai aussi filmé un espace de liberté qui correspond à une bouffée d'oxygène. C'est d'ailleurs la seule fois du film où la caméra bouge. En plus de l'image, le travail sur le son procure une ambiance qui souligne les émotions. Il y a des basses lors des scènes d'intérieur et plus de légèreté pour les scènes d'extérieur qui servent de contrepoint à l'étouffement.
Quelles influences cinématographiques avez-vous convoquées pour la réalisation du film ?
Itziar Leemans : J’avais en tête deux courts métrages espagnols : Luisa no está en casa de la réalisatrice Célia Rico et El Adios de Clara Roquet. Le premier se situe dans un appartement populaire, le second prend place dans une maison bourgeoise, mais dans les deux cas, j'ai éprouvé une véritable sensation d'étouffement. J'ai aussi beaucoup apprécié les images et les cadres soignés, le travail sur les couleurs et les plans fixes de leur cinéma naturaliste. J'ai puisé dans ces courts métrages des éléments pour le découpage et l'esthétique visuelle de Ximinoa.