"Lina ne ment jamais" : cartomancie, amours et vérités
La journaliste et autrice rochelaise Géraldine Ruiz livre un nouveau reportage gonzo atypique et sensible1. La reporter propose une réflexion sur la pression sociale qui pèse sur les femmes trentenaires et plus précisément sur leur façon d’aborder le couple, voire le sentiment amoureux de manière générale. Une réflexion où une voyante de Brocéliande, réputée pour ses prédictions fiables et sans chichi, va jouer un rôle central.
Fans d’ésotérisme, s’abstenir. Le récit de Géraldine Ruiz est avant tout celui d’une sceptique, d’une femme de faits, qui va se confronter aux pouvoirs du doute et de la divination. Loin de tenter de prouver l’existence de Dieu ou de s’essayer à des séances d’occultisme dignes de la vogue dix-neuviémiste, la jeune femme part d’un constat : nombreuses de ses amies ont recours à la voyance pour gérer leur quotidien amoureux et l’incertitude dans laquelle il les laisse. Certaines avouent même être devenues addict à la chose, et multiplier les entretiens avec des voyantes trouvées sur Internet, s’exposant parfois à de vraies arnaques. Mais il y a aussi de vraies rencontres. C’est le cas avec Lina, cette femme qui officie à l’orée de la forêt (magique ?) de Brocéliande, en Bretagne. En poste depuis quarante ans, Lina a une réputation solide. Lorsque son existence parvient aux oreilles de la journaliste, celle-ci trouve là un sujet d’intérêt majeur, au regard de tous les témoignages d’amies qui commencent à s’accumuler.
"T’as demandé à Lina ?
On la cite comme le druide du village, toujours avec un rire dans la voix, pour avoir l’air lucide. On y croit sans paraître y croire. C’est un mouvement de balancier, en fonction des humeurs et des lieux. La situation nous échappe."
La plume est vive, intelligente, drôle. La galerie de portraits de ces femmes en mal d’amour ou en quête de réponses permet l’identification et souligne l’universalité du propos. Tout le monde, à un moment de sa vie, peut être amené à se tourner vers la voyance, en dépit d’une éducation scientifique, d’un milieu culturel non croyant, ou tout simplement d’un athéisme patent. Les nombreux voyages de l’autrice vers la petite chambre de consultation de Lina sont souvent prétextes à des récits périphériques, qu’ils soient autocentrés ou restitutifs des épisodes amoureux des amies de la protagoniste. Au fil de l’histoire, on découvre le parcours de cette voyante de vocation, qui donnait le tirage exact du loto lorsqu’elle était enfant. Un don. Oscillant entre le doute acharné et l’envie d’y croire, la journaliste fait hésiter ses lecteurs avec elle. Et si c’était vrai ?
Pas de morale ni de réponse irréfutable pour clôturer le roman. Car oui, bien qu’il s’appuie sur des faits réels, l’autrice sélectionne, réécrit et transforme les événements relatés pour donner naissance à une œuvre au carrefour de la fiction et du reportage. Une frontière ténue, qui s’observe aussi entre les prédictions troublantes de vérité et les limites de leur application au réel. Lina ne ment jamais navigue entre les eaux de la philosophie, de l’ésotérisme et du journalisme d’immersion. Un récit qui laisse perplexe, en proie à des questionnements inédits et peut-être nécessaires sur nos propres croyances.
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1. Géraldine Ruiz est aussi l'autrice de Memphis Rebelle, sorti en 2022. Un reportage gonzo dans lequel elle enquête sur le racisme dans le sud des États-Unis.