Mathilde Souchaud cherche l’embrouille
C’est jour de fête au lycée du Bois d’Amour de Poitiers. 150 élèves se bousculent dans l’amphithéâtre de l’établissement pour assister à une séance d’écoute de podcasts concoctés par leurs soins, dans le cadre des ateliers d’écriture menés par l’autrice Mathilde Souchaud via le dispositif Résidence en territoire. Femme de théâtre, elle a initié les lycéens à la dramaturgie, avec une méthode bien particulière. Une expérience collective, créative et marquante.
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Retrouver l’oralité
Pour arriver à l’accomplissement sonore "Les embrouilles, le podcast qui sème la zizanie", Mathilde Souchaud a imaginé un chemin d’étapes par lequel les élèves ont pu construire leurs histoires progressivement. Des histoires de conflit, car "au théâtre, il n’y a pas de scène sans conflit", explique-t-elle. Les quatre classes de seconde et la classe de terminale membres du projet sont parties enregistrer le récit d’une personne de leur choix. Retour en classe, avec la mission de retranscrire à l’écrit le témoignage dans son intégralité : tics de langage, hésitations, toussotements… Le discours, dans toute son oralité. Les lycéens ont ensuite formé des binômes ou trinômes de travail, et ont ajouté des éléments de fiction aux histoires recueillies. Ils sont partis sur Mars, en Amazonie, au Moyen Âge, dans le futur. Puis, les apprentis écrivains ont dressé les portraits-robots des personnages, et rédigé un monologue intérieur pour chacun d’entre eux. Dernière et cruciale étape, l’écriture de la scène dialoguée.
"Je voulais partir de l’oralité pour arriver à l’oralité, explique l’autrice en charge des ateliers. Nous avons produit un total de 15 scènes et d’environ 25 monologues intérieurs par classe ! Tout a été enregistré et monté avec le concours de Lionel Papon, qui s’est occupé de la partie technique de l’affaire. J’ai gardé les histoires qui se prêtaient le mieux à l’oralité et six élèves volontaires ont accepté de venir les enregistrer dans le super studio dont dispose le lycée. Au final, je lis les titres et les didascalies, et les élèves lisent leurs histoires. C’est une cocréation."
Mais place au spectacle, ou plutôt, à l’écoute.
Un test de grossesse trouvé dans une poubelle de la maison, une mouette qui peste contre les humains pollueurs, un père et une fille qui s’écharpent, un sauvetage de chatons rocambolesque dans une animalerie, une histoire d’amours interdites au Moyen Âge… Les élèves n’ont pas manqué d’imagination, ni d’humour pour raconter ces conflits, éminemment théâtraux.
Saluts et apartés
Une brochette de courageux élèves prend le micro à la fin de l’écoute pour dire sa gratitude envers l’autrice. "Cette expérience avec Mathilde nous a permis de mieux travailler notre imagination, de prendre confiance pour raconter notre histoire à l’oral. Nous avons tous apprécié devenir les auteurs de notre propre histoire. Nous ne pourrons jamais l’oublier".
On ravale son émotion, parce que les professeures1 prennent le relai, avec un poème à base de rimes en ure. Après avoir fait sonner écriture avec ouverture, murmure avec aventure, un "merci Mathilde", franc et sincère, ponctue la fin des interventions. Ou presque. L’autrice s’approche pour dire elle-même quelques mots gentils, mais la commission de sécurité de l’établissement en aura décidé autrement. Une alarme retentit dans les murs et tous les lycéens se lèvent, prêts à se livrer à l’exercice du feu, si fictif soit-il. Pas de discours pour Mathilde donc, mais l’exercice sécuritaire tournera court et le buffet aux mille bonbons, qui attendait patiemment d’être assailli, peut enfin débuter. Les élèves trouvent quand même le temps de remettre à Mathilde Souchaud une boîte remplie de poèmes, de lettres, et de fleurs en origami.
Éva est en seconde, et confie qu’elle a puisé son histoire première chez une comédienne en visite au lycée. Une histoire dans laquelle la jeune fille est amoureuse d’un jeune homme, que la maman n’approuve pas, mettant fin à l’idylle. Éva et sa camarade l’ont transposée au Moyen Âge, l’amant est devenu un brigand surnommé l’Ombre et la jeune femme, une princesse, bien entendu. "J’écris déjà des poèmes", lance Éva. Gaspard aussi affirme être de la graine d’auteur. "Je veux devenir écrivain plus tard. Mais je n’avais jamais essayé d’écrire du théâtre, donc c’était une expérience intéressante. Ça pourra m’aider pour écrire les dialogues entre les personnages." Quant à Rihanna, qui a travaillé à partir d’un conflit entre sa mère et un voisin peu compréhensif sur le bruit de la perceuse, elle affiche un enthousiasme égal à celui de ses camarades. "C’était vraiment bien, de faire autre chose que juste les cours. La méthodologie, c’est-à-dire d’aller chercher l’histoire, de rassembler tout, de reformuler… ça m’a aidée dans mon expression écrite. Je voudrais écrire un livre un jour, mais je n’en ferai pas mon métier !" conclut-elle, intraitable.
Anne-Sophie Brangier, professeure de français, fait montre elle aussi, d’une certaine exaltation à l’égard du dispositif. "Mes élèves, ça les a transformés. J’en ai qui sont venus en seconde générale pour voir, lance-t-elle d’un air entendu, et participer à des projets comme celui-ci, ça donne du sens à leur venue. Quant à Mathilde, c’est avec une émotion particulière que nous l’avons reçue cette année, parce qu’elle a été elle-même élève au Bois d’Amour. La transmission est bien là".
1. L’équipe enseignante qui a participé à encadrer et piloté le dispositif de cette Résidence en territoire était composée de Elyse Lafont, Gaelle Chinon, Joële Jodet, Anne-Sophie Brangier, Sylvie Charrier, Agnès Rondeau et Lionel Papon.