Résidence de Camille Auburtin : "Elle nous a pris au sérieux"
La réalisatrice et danseuse Camille Auburtin a passé six semaines en immersion au lycée Odilon Redon, entre Pauillac et Lesparre. Une rencontre autour de la perception du territoire médocain qui aboutit à la création d’un film par les lycéens.
S’inspirer du travail de l’artiste britannique Andrew Kötting et d’un autre territoire, les côtes anglaises, pour le mêler à sa propre démarche et surtout permettre l’expression artistique de jeunes lycéens, telle était l’équation délicate de la résidence de création de Camille Auburtin en Médoc. Entre 2023 et 2024, durant six semaines, elle a ainsi travaillé avec deux classes du lycée Odilon Redon1, une seconde à Lesparre et une terminale à Pauillac. Basé sur la rencontre entre un artiste et des lycéens, cette Résidence en territoire s’inscrivait également dans un autre projet porté par l’association de création de films documentaires bordelaise La Troisième porte à gauche et la compagnie Translation, "In Situ, du Médoc à Gallivant".
Gallivant2 est le titre du premier long métrage documentaire d’Andrew Kötting, un road-movie sur les côtes anglaises effectué en camping-car avec sa jeune fille handicapée et sa mère, un journal intime auquel se mêlent des rencontres et une perception des paysages. Comme le dit le metteur en scène et réalisateur Denis Cointe, au nom du collectif qui a initié le projet médocain, cet "In Situ" est une façon de "remettre en jeu Gallivant sur un autre territoire pour provoquer une autre expérience du cinéma que l’écran et faire des médiations en cherchant des liens entre les lieux, comme la géographie, le rapport à l’eau, un sentiment de liberté peut-être qui persiste ici. Nous nous sommes immergés en Médoc pendant une année à la rencontre des habitants pour produire des formes audiovisuelles inspirées par la démarche artistique de Kötting." Une première restitution de ces différentes productions a ainsi eu lieu le 31 mai au Domaine départemental de Nodris en présence de l’artiste anglais, des élèves et des habitants rencontrés. Une autre soirée aura lieu en septembre au Verdon3. Ce soir-là, les secondes et terminales d’Odilon Redon, en compagnie de leurs enseignants, ont pu voir leur film de vingt minutes intitulé De Paysages et de rêves. Ils ont travaillé avec Camille Auburtin sur la réflexion, l’écriture, le tournage et pour partie le montage, ils attendaient avec impatience le résultat final.
Artiste, enseignants et élèves
Dans son travail, Camille Auburtin entremêle la danse, la mise en espace des corps, le documentaire et le cinéma expérimental. En s’inspirant de Gallivant (un cinéma dont les lycéens ne sont pas forcément coutumiers), de son côté performatif, ses dispositifs et ses choix comme la désynchronisation du son et de l’image, la réalisatrice a proposé un travail en plusieurs étapes : "Je cherchais un engagement physique, quelque chose d’intime dans la relation à leurs paysages. Ils ont travaillé sur des photographies qu’ils choisissaient ou encore sur le souvenir sonore d’un lieu. Ils ont écrit des textes autour d’une partie de leur corps et ils ont réalisé des images en lien avec ces textes. À partir de tout cela, nous avons tourné des tableaux-paysages à Soulac et au phare de Richard." Tous les lycéens ont écrit, ont choisi leurs places devant ou derrière la caméra durant le tournage, ont ensuite participé aux sélections des images et prémontage. Ils ont également enregistré leurs textes sur leurs images de chorégraphie au cœur des paysages, où l’on entend des phrases comme : "Esquiver la houle au début du printemps / L’infini horizontal du paysage / Ma main blanche comme une page / Cette nature m’est apparue, me percutant par surprise ".
Tout en découvrant avec eux ce Médoc qu’elle connaissait peu, Camille Auburtin a aimé cette longue expérience : " Je suis admirative de leurs textes et de leur maturité pour exprimer leurs émotions et leurs sentiments. Je voulais qu’ils expérimentent concrètement la fabrication d’un film, qu’ils participent à tout. C’est un processus collectif dans lequel des jeunes se sont rendu compte qu’ils avaient quelque chose à exprimer artistiquement." La réalisatrice sonore Laure Carrier a de son côté réfléchi avec eux sur un aspect qui pouvait les dérouter, la désynchronisation du son et de l’image. Soit un son différent de celui normalement présent à l’image : "Nous avons travaillé sur l’enregistrement de leurs voix pour qu’ils se rendent compte comment rendre le texte vivant par la lecture. Puis on a enregistré des ambiances sonores pour le film. C’est assez ludique et technique, cela leur fait comprendre que le son a un vrai pouvoir d’évocation. C’est un appel à l’imaginaire. D’autant plus quand il est différent de celui attendu avec l’image. Avec le son, on peut développer une vraie attention à ce qui se passe autour de nous. " Camille Auburtin a également apprécié celles et ceux dont le rôle est essentiel durant une résidence artistique : les enseignants. Ce sont eux qui travaillent avec les élèves pour préparer les différentes venues de l’artiste, qui organisent les rendez-vous et sorties, qui aménagent le temps scolaire en plus du programme. Sarah Naillou, professeure de lettres à Lesparre, s’est servi de ce projet "comme d’un fil conducteur tout au long de l’année. Camille avait des consignes très claires pour préparer les rencontres, cela n’a posé aucune difficulté. On a fait un travail avec elle que nous ne pouvons pas accomplir seuls. Nous n’avons pas son expertise. Cela fait vraiment du bien de s’ouvrir vers l’extérieur avec une artiste. Les élèves ont mieux compris une démarche et la vie d’un artiste. Ils voient que c’est un travail. Cela les aide aussi à s’épanouir, à se révéler aux autres. Certains élèves dits en difficulté ont produit des textes magnifiques. Nous avons fait un sondage à la fin, 80% des élèves étaient très satisfaits." Pour Pierre Séguéla, professeur de philosophie à Pauillac, les élèves "ont aimé que tout parte d’eux, de leurs idées, que Camille construise avec eux. C’était beau pour nous de voir leurs personnalités que l’on ne perçoit pas forcément ainsi dans le cadre scolaire. C’était touchant d’observer leur engagement et leurs exigences artistiques pour vraiment construire quelque chose. Camille a permis cela. Ils se sentent tout d’un coup capables de choses dont ils se croyaient incapables. En les amenant dans le paysage avec ce projet, j’ai eu le sentiment qu’ils prenaient plus de densité, qu’ils étaient plus présents au monde. Et moi j’ai pu enchaîner sur quelques concepts philosophiques !"
Le projet partagé
Le soir de la projection, les élèves de seconde confirment ces perceptions. Nina : "On n’avait jamais vu de film comme ça avant, et on a découvert tous les métiers du cinéma. J’aimerais y travailler plus tard, être derrière la caméra." Laure : "C’était important pour moi de montrer les beaux endroits d’ici. J’y ai passé toute ma vie, c’est aussi beau qu’ailleurs." Anaïs : " C’est comme si on ne faisait pas vraiment attention aux paysages avant et qu’on avait maintenant un point de vue différent." Du côté des terminales, Maël dit de Camille Auburtin : "Elle nous a pris au sérieux, elle nous a fait confiance pour décider des choses, elle a été à l’écoute. Ça nous a fait du bien aussi de faire autre chose avec les profs, de créer un lien particulier." Clothilde : " C’était un vrai projet partagé, un projet collectif." Romane : "Il n’y a aucune option art dans notre lycée, ça nous a fait du bien d’avoir ce côté créatif." Romain : "Au début, on trouvait ça bizarre le film de Kötting, mais après, on a compris. Il fait réfléchir celui qui regarde. Et en plus maintenant on est là, avec notre film." Maël : "On peut toujours se réinventer, repousser ses limites, être libre. Il y a toujours une part d’infini et de non-dit, c’est ça qui fait un film."
1. L’équipe enseignante qui a participé à encadrer et piloté le dispositif de cette Résidence en territoire était composée de Line Chauvin, Sarah Naillou, Pierre Séguéla, Fabienne Tach
2. Gallivant, Andrew Kötting, documentaire, 100 min (1996)
3. Le 14 septembre 2024 à la Maison de Grave, au Verdon-sur-Mer (33)