"Anzu, chat-fantôme" - Un film haut en couleurs
Anzu, chat-fantôme, long métrage d’animation japonais initié par Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita avec la société Shin-Ei, a été accompagné par Miyu Productions. Implantée en Nouvelle-Aquitaine, Miyu a remporté en 2023 le Cristal et le César avec Linda veut du poulet ! et la Palme d’Or du court métrage d’animation pour 27. Rencontre avec le directeur artistique Julien De Man.
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Dans Anzu, chat-fantôme, on suit la petite Karin, une jeune fille élevée par un père endetté aux mauvaises fréquentations, qui fait face au deuil de sa mère. L'enfant se voit confiée à son grand-père, moine d’une petite ville côtière de la province japonaise. La vie au temple sera ponctuée de rencontres avec Anzu, un chat humanoïde et serviable dont l’apparence tout en rondeur, de style kawaï1, dénote avec son comportement parfois inconvenant. Entre ces deux caractères bien trempés va se développer une relation traversée par la rédemption. Quelle a été votre approche dans la narration visuelle de ce récit et comment s’est déroulée la collaboration avec les deux réalisateurs japonais ?
Julien De Man : Quand je suis arrivé, le film était en train de se tourner en prise de vue réelle. Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita assuraient la direction d’acteurs et le montage du film. Ce montage vidéo a servi de base pour l’animation et pour les décors. À la lecture du scenario, on comprend que l’histoire se déroule en été, et il y avait cette envie de sentir la chaleur pesante du Japon et la végétation des campagnes japonaises. Cela m’a fait penser aux peintures de Pierre Bonnard que j’affectionne particulièrement. Sa peinture m’émeut beaucoup, et m’accompagne dans mon travail depuis longtemps. J'ai trouvé que le projet se prêtait bien à ces associations de couleur et ce travail sur la lumière.
J’ai surtout travaillé avec Yoko Kuno, qui s’occupait en particulier de l’animation et de la fabrication du film. En tant que directeur artistique, j’ai surtout été impliqué la définition du style graphique du film à travers la réalisation d’images définitives, sur la création de la méthode de fabrication, la supervision des décors et le choix des couleurs des personnages. Pour la fabrication des décors en France, l’équipe japonaise préparait des fichiers techniques sur l’image filmée, avec des indications sur ce qu’il fallait changer ou ajouter (par exemple ajouter une grande statue de Buddha à coté du temple du grand-père, qui n’était pas présente sur le lieu du tournage). Pour préparer le travail de couleur (décors et personnages) et pour avoir une idée globale de couleurs du film, j’ai fait, avec l’aide de l’équipe décor, un colorboard, sortes de vignettes rapides en couleur de la plupart des plans du film, que je faisais valider à Yoko en amont. La communication passait par une traduction car l’anglais et le français n’est pas pratiqué par l’équipe japonaise. Alex Dudok de Wit, notre chargé de production, parlait japonais et nous a été d’une aide très précieuse.
Le manga de Takashi Imashiro, dont est issue l’histoire, se concentre sur des scénettes du quotidien de ce chat géant et ses méditations philosophiques sur la nature humaine. Le film, lui, se présente comme un récit initiatique, celui du personnage de Karin, une adolescente volontaire et indépendante, créé pour l’adaptation cinématographique. Avez-vous lu le manga avant de commencer le travail ou avez-vous plutôt souhaité vous détacher du travail préexistant ?
Julien De Man : Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de lire le manga, il a été peu édité, et n’a pas été traduit. Nous avions les images du livre en référence, mais elles ont davantage servi pour le design des personnages réalisé par Yoko. Alex Dudok de Wit l’avait lu. L’histoire a apparemment beaucoup changé, notamment avec l’ajout du personnage de Karin, de la thématique du deuil et de la relation mère-fille.
Dans le film, on passe du comique burlesque et de l’humour potache à des thématiques autour de la disparition d’un être cher, et de la peur de l’abandon…
Julien De Man : Oui le film mélange plusieurs styles, c’est un peu un ovni. C’est un mélange surprenant, on se demandait à quoi ça allait ressembler, avec ces personnages kawaii1 dans des décors réalistes. Mais le film est drôle et parle à tout le monde.
Dans le film, on voyage entre le monde réel où se côtoient humains et fantômes et le monde de l’au-delà habité de créatures surnaturelles et de Yokaïs, sortes d’esprits issus du folklore japonais dont le comportement oscille entre espièglerie et malveillance. Comment aborde-t-on ce passage entre deux univers et la création graphique autour de ces figures ?
Julien De Man : Cela est beaucoup passé par la couleur, et les contrastes. Le monde réel est souvent représenté en extérieur, avec une végétation baignée dans une lumière chaude, et la fraicheur dans les ombres passe par des nuances de couleur qui vibrent. Dans le royaume des morts, on est dans quelque chose de plus sombre, plus rouge, terne sans aller dans le gore. Dans les passages à Tokyo, les décors sont plus froids et gris. Yoko a souhaité un contraste entre les gens de la ville, qui sont plus réalistes, et les gens des campagnes qui ont un visuel plus stylisé. La préparation conceptuelle de Yoko était impressionnante : tout était précis, analysé, juste, et rien n’était laissé au hasard. Ses retours et commentaires étaient systématiquement justifiés, expliqués, et au service du film. C’est en grande partie ce qui nous a permis de nous accorder facilement malgré la distance et nos cultures différentes. Mais c’est aussi parce que nous avions en France une équipe de rêve, qui a fait un travail impressionnant, c’est un savoir-faire qui est à féliciter. Le groupe était soudé, ce qui a apporté une super ambiance alors que le rythme était très serré.
Vous avez travaillé sur d’autres films d’auteurs ayant un lien avec le Japon tels que La Tortue Rouge ou Saules aveugles, femme endormie, qui faisaient aussi appel à des techniques d’animation proches. Qu’est-ce que ces expériences en art et essai ont apporté à votre travail sur Anzu, chat-fantôme ?
Julien De Man : J’ai contribué, en tant que chef décors, à la fabrication de La Tortue Rouge, à Angoulême. Il n’y avait pas d’équipe japonaise malgré la coproduction avec le studio Ghibli. Nous avions quelques vidéos d’acteurs en référence. Anzu et Saules aveugles, femme endormie ont été réalisés en rotoscopie2, avec un dessin sur image filmée. C’est vrai qu’il y a une continuité dans ces trois films, qui utilisent une forme de réalisme pour créer une image et un univers singulier.
Vous êtes allés au festival de Cannes pour y présenter le film en avant-première, puis au festival du film d’animation d’Annecy, où le film était en compétition. Que retenez-vous de ces premières rencontres avec le public ?
Julien De Man : À Cannes, c’était la première fois que j’entendais des réactions authentiques dans la salle, c’était très chouette de découvrir quand le film fait réagir. Il y avait beaucoup d’enfants qu’on entendait rire. On n’a plus de recul sur le film quand on travaille dessus. Les projections en festival offrent des publics de gens intéressés. À Annecy, c’est un public très dynamique et expressif. Beaucoup de spectateurs ont trouvé le film particulier. Certains ne s’attendaient pas à quelque chose d’aussi drôle, d’autres ne s’attendaient pas à être aussi émus. C’est aussi à Cannes et à Annecy que j’ai pu rencontrer et passer plus de temps avec l’équipe japonaise et les réalisateurs Yoko et Nobuhiro.
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1. Kawaii : signifie "mignon" en japonais.
2. Technique cinématographique permettant de retracer image par image les contours d'un élément filmé en prise de vues réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d'animation. Les mouvements sont ainsi reproduits de manière fluide et réaliste.