Zones de fictions
Lauréat d’une résidence Cinéma au Chalet Mauriac, Christophe Herreros y a passé 3 semaines en juillet 2024, naviguant entre sa chambre et le Cercle Ouvrier afin de faire avancer le développement de son projet de long métrage de fiction Y a pas d’amour. Pour me parler de son film, Christophe a évoqué son passé, ses rencontres, son goût pour l’hyper-réalité et pour cette culture américaine au sens large qui traverse son œuvre.
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Vous avez réalisé des courts-métrages plusieurs fois primés. J’ai visionné Petit Ruban et j’ai eu envie de voir le long tout de suite ! On a l’impression que ce court représente le premier tiers de votre film à venir Y a pas d’amour. Aviez-vous dès le départ l’idée d’un développement en long-métrage ?
Christophe Herreros : C’est une histoire qui se prête facilement à un développement. La fin est ouverte et amène une interrogation et les retours sur ce film ont été très positifs. Maintenant, l’idée est de déployer l’histoire et de développer le background du personnage principal puisqu’on sait peu de choses sur lui dans le court. Ça me permet aussi de travailler autour de l’univers familial, l’univers routier, l’aliénation du travail, la condition animale et de répondre à cette question : est-ce que cette voix d’enfant est réelle ? C’est un film sur un personnage porté par une croyance et qui va se mettre en péril pour suivre ses intuitions.
Petit Ruban signifie en CB [citizen band] "route départementale ou nationale". Est-ce que ça a un autre sens pour ce court ?
C.H. : Routes de traverses. Un titre poétique et métaphorique.
Satya Dusaugey, l’acteur principal du court-métrage, crève l’écran.
C.H. : Je l’avais découvert dans le court-métrage Un adieu de Mathilde Profit dans lequel il jouait un père, qui emmène sa fille à Paris pour ses études. Dans Petit Ruban, il a vraiment habité le rôle.
Votre premier court, Jack Haven, est un docu-fiction. Quel en est l’origine ?
C.H. : J’étais parti dans le Maine aux États-Unis à la recherche d’une ville fictive dans le réel, et j’ai réalisé une série de films, de reenactments de la série Murder, She wrote/Arabesque avec une aide à la recherche du Cnap (Centre national des arts plastiques). Une partie de mon travail de plasticien consiste à réfléchir à la notion de fiction et à la frontière ténue entre réalité et fiction. C’est là que j’ai rencontré Jack. J’ai tout de suite vu un acteur, un personnage : ses tatouages, cette manière de parler, il portait en lui quelque chose de profondément faux et d’intensément juste. Je le voyais évoluer entre la réalité et la fiction. Il était exactement dans cette zone de friction. À ce moment-là, il était clean depuis deux mois et était en quête de rédemption. J’ai tout de suite eu envie de faire un film sur lui et je le lui ai proposé. J’y suis retourné une fois pour écrire plus en détail puis pour réaliser le film en 2021, il était resté clean depuis quatre ans.
J’ai envie de dire un mot sur cette magnifique phrase de conclusion de Jack Haven "Je n’ai plus peur maintenant car je sais que où que j’aille, je suis là. "
C.H. : Jack m’avait dit cette phrase cinq ans avant, dans le sens : où que j’aille, je serai là et ça ne servira à rien de fuir mes problèmes. Je pouvais utiliser cette phrase de manière pessimiste "je sombrerai quoi qu’il arrive" ou optimiste "ma propre présence est une force". J’ai choisi une fin heureuse.
Le long-métrage que vous préparez s'intitule Y a pas d’amour. Pouvez-vous nous le pitcher ?
C.H. : Philippe, chauffeur routier d’une quarantaine d’années fait la rencontre inattendue d’un petit garçon de 8 ans par l'intermédiaire de sa vieille radio CB. Après plusieurs jours d’échanges radio, il a l’intuition que l’enfant est en danger. Il décide alors de changer d’itinéraire pour partir à sa recherche, au risque de perdre son travail et plus encore.
C’est donc le même pitch que le court-métrage.
C.H. : À quelques détails près, oui, mais ce n’est pas le même film. Si l’idée de base est la même, le long-métrage va beaucoup plus loin. Avec ma co-scénariste, on a beaucoup travaillé l’idée de zones. La zone de l’intimité, de la famille, la zone de tout ce qui est France, abattoirs, travail, transit, livraisons, tout ce qui lui met des coups de pressions dans sa vie. Certaines scènes se passent en Espagne, c’est la zone plus exotique, celle du voyage. La zone frontalière est la zone centrale du film. Un morceau de France et un morceau d’Espagne qui passe par la montagne, les Pyrénées. Là, ce territoire est travaillé comme une zone floue, un endroit mouvant et indéfini ou tout peut apparaître. Le personnage est en transit permanent, il traverse et évolue dans ces différentes zones et chacune influent sur lui au fur et à mesure que le film progresse.
Pourquoi avoir choisi les Pyrénées comme décor ?
C’est un décor que je connais bien et que je trouve plastiquement et narrativement intéressant. Je suis né pas très loin, à Carcassonne et, avant de rentrer aux Beaux-Arts de Paris, puis au Fresnoy, j’ai été étudiant aux Beaux-Arts de Tarbes. Quant à cette notion de traverser la frontière, elle est proche de mes origines. Mes grands-parents l’ont traversée, par les Pyrénées, je viens de l’immigration espagnole, culture dont j’ai été complètement coupé…
La montagne est intéressante d’un point de vue scénaristique parce que c’est un endroit difficile d’accès pour les camions et où les ondes radio ne passent pas ou mal. Elle est inconfortable pour un chauffeur routier et elle est par essence mystérieuse et inaccessible. La météo change vite, il y a la forêt, des bêtes sauvages, des décors indéfinis et qui peuvent être dangereux. Associé à la notion de frontière, ça devient un territoire vraiment intéressant.
Et le monde des routiers ?
C.H. : Mon père était mécanicien pour une boîte de chauffeurs routiers. J’ai grandi avec eux et leurs histoires.
Le thriller, un choix artistique ?
C.H. : Plutôt un thriller social. J’ai construit ce film comme un road trip circulaire. J’aime le genre thriller qui s’inscrit dans le social. C’était une manière pour moi de parler du monde des routiers, mais en enserrant le personnage dans quelque chose qui le dépasse et le force à sortir de sa boucle.
Quelles sont vos références en matière de cinéma ?
C.H. : Ici, comme références, je pourrais donner As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, Jusqu’à la garde de Xavier Legrand ou les films de Jeff Nichols mais j’ai des références tellement multiples… Je regarde beaucoup de choses, et pas seulement du cinéma, tout m'intéresse et tout peut potentiellement me nourrir. Culture mainstream ou cinéma d’auteur, ça m’est égal. J’ai grandi avec une culture vidéo club et j’ai construit ensuite ma culture cinéphile plus pointue.
Que vous apporte ce temps de résidence au Chalet Mauriac ?
C.H. : J’ai pu finaliser une nouvelle version de scénario. Faire des allers-retours avec ma productrice. Ces trois semaines de travail ont été précieuses. Je suis rentré plus en détail dans les scènes et j’ai également travaillé plus en détail sur l’iconographie. Cette tranquillité m’a aussi permis d’avoir du recul sur mon scénario.
À quand le tournage ?
C.H. : Le développement du film avance très bien et on entrera en financement en suivant. Tout suit son cours !
(Photo : Alban Gilbert)