Beata Umubyeyi Mairesse : "J'espère la vieillesse pour avoir, enfin, le temps de lire tout mon soûl"
Parmi les cinq auteurs nommés pour la dixième édition de La Voix des lecteurs dont la révélation du lauréat sera annoncée en ligne le 17 novembre prochain, Beata Umubyeyi Mairesse a répondu au questionnaire de Proust "La madeleine, le canelé et le macaron". Rencontre avec l’auteure de Tous tes enfants dispersés, publié aux éditions Autrement.
"Les mots sont comme des rayons X ; si l’on s’en sert convenablement, ils transpercent n’importe quoi" (Aldous Huxley) : Quel est votre mot préféré ?
Beata Umubyeyi Mairesse : Un seul ? Non, je n’aime les mots que quand ils sont en bande, entrelacés, bien sapés. Qu’ils soient prêts à s’enjailler ou noués autour d’un deuil, les mots sont à l’image de notre littérature-monde : en relation constante.
"La musique, c’est du bruit qui pense" (Victor Hugo) : Quelle musique vous aide à penser, à écrire ?
B.U.M. : À chaque livre, un disque ou un morceau que j’écoute en boucle en écrivant. Pour Tous tes enfants dispersés, c’était une berceuse de Chopin. Pour le prochain roman, c’est 1958 de Blick Bassy.
"Une heure de lecture est le remède souverain aux dégoûts de la vie" (Montesquieu) : Quels sont vos livres de chevet, ceux qui accompagnent votre vie ?
B.U.M. : Pas toute ma vie, car il y a eu différentes périodes, des lectures parfois très diverses. Mais en ce moment : Nadine Gordimer, Imre Kertész, Audre Lorde, Austerlitz de Sebald et un petit livre sur le "bon parler" d’autrefois au Rwanda intitulé Imvugo y’abakurambere.
"Sur les étagères des bibliothèques, je vis un monde surgir de l’horizon" (Jack London) : Quelle place accordez-vous à la lecture ?
B.U.M. : Centrale. J’ai lu beaucoup et tôt ; l’écriture, elle, est arrivée tardivement, comme un écho : ma gratitude à tous les livres qui m’avaient sauvée. Mais comme je dois gagner ma croûte et élever mes enfants, le temps pour la lecture s’est réduit. J’espère la vieillesse pour avoir, enfin, le temps de lire tout mon soûl.
"Les métiers sans ennuis sont les métiers qu’on ne fait pas" (Alain) : Quel est le métier que vous n'auriez pas aimé faire ?
B.U.M. : Un métier qui aurait détruit mon corps (comme mineur) ou mon âme (comme policier).
"Faut arrêter d’apprendre aux enfants des comptines dégoulinantes de bons sentiments. On sait bien que ça n’arrivera jamais. En plus, en temps de Covid, vous imaginez les litres de gel hydroalcoolique ?"
"Tout portrait qu’on peint avec âme est un portrait non du modèle, mais de l’artiste" (Oscar Wilde) : Où se situe la part autobiographique de vos écrits ?
B.U.M. : Dans les représentations des autres surtout. On a trop longtemps lu les fictions des auteur(e)s originaires (ou) d’Afrique comme des traités d’ethnographie. Je revendique mon droit à l’imaginaire, comme tout le monde.
"Si tous les gens du monde voulaient se donner la main" (Paul Fort) : Quelle suite donneriez-vous à cette comptine ?
B.U.M. : Faut arrêter d’apprendre aux enfants des comptines dégoulinantes de bons sentiments. On sait bien que ça n’arrivera jamais. En plus, en temps de Covid, vous imaginez les litres de gel hydroalcoolique ?
Que vous inspire ces mots de Boris Vian ? "Il est évident que le poète écrit sous le coup de l’inspiration, mais il y a des gens à qui les coups ne font rien."
B.U.M. : J’aimais beaucoup Vian à 15 ans. Je ne comprends pas cette phrase, tout comme je suis restée déconcertée par J’irai cracher sur vos tombes, en le relisant récemment. Je suppose que je n’aime plus vraiment Vian.
"Je ne crois pas à l’au-delà mais j’emmènerai quand même des sous-vêtements de rechange" (Woody Allen) : Si un dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire ?
B.U.M. : Avant les plates excuses et tout le bazar, j’aimerais qu’Il ou Elle m’indique où sont les miens.