Comme dans les tableaux du Douanier Rousseau…
Deux mois après la publication de leur bande dessinée Les Frontières du Douanier Rousseau aux éditions Michel Lafon, Thibaut Lambert et Mathieu Siam se sont retrouvés au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien, pour créer ensemble une conférence dessinée autour de l’univers du peintre. La vie et l’œuvre de cet artiste, si riches et pleines de contradictions, méritaient bien que les deux auteurs s’y attardent un peu…
Déjà deux livres parus1, une exposition présentée au Musée national des douanes à Bordeaux de février à mai dernier et pourtant, Mathieu Siam et Thibaut Lambert étaient loin encore d’avoir épuisé leur sujet. L’histoire a commencé en 2020, pendant le premier confinement. Mathieu a profité de ce temps étiré pour se plonger dans la vie de Rousseau jusqu’à en faire son compagnon de route : "Dans cette période un peu chaotique, le soir, je lisais du Rousseau : des livres de et sur Rousseau. Je faisais mon miel de tout ce que j’avais lu, puis le peintre et les personnages autour de lui prenaient corps, ils venaient me visiter, comme une sorte de présence… Pourtant je ne suis pas croyant, mais je suis forcé de constater qu’ils m’ont accompagné durant cette période si particulière. Et quand Thibaut s’est mis à dessiner Rousseau, il me parlait de lui au présent : 'Là, en ce moment, on est sur les quais…' Donc quand le livre a été terminé, est restée l’idée de continuer avec Rousseau. Il n’était pas vraiment parti et nous en avions encore besoin."
Pour autant, il était évident pour les deux auteurs qu’il ne s’agissait pas d’écrire une suite à la bande dessinée, car celle-ci fonctionne de manière autonome, sa scénarisation est aboutie. De la même façon, la conférence dessinée commence par un postulat de départ pour parvenir à une fin dans une construction cadencée et finie. "Le parti pris était de ne pas avoir la même structure que celle de la bande dessinée, explique Thibaut. Dans la conférence, notre approche est beaucoup plus linéaire, on est vraiment dans une frise chronologique : l’histoire commence à Laval, la période des douanes, etc. Il y a malgré tout quatre chapitres qui marquent des moments forts de sa vie." Ce principe posé, il a fallu ensuite s’atteler à tout ce qui compose ce genre de création – décor, musique, interlude, etc. –, ce qui, pour des auteurs-illustrateurs, n’allait pas forcément de soi, comme le confesse Thibaut : "Ce travail nous sort de notre zone de confort. C’est un peu une mise en danger, parce que nous ne sommes pas acteurs, ni conférenciers…", "ni historiens de l’art !", renchérit Mathieu, qui évoque par ailleurs un sentiment de retour à ses jeunes années : "Je retrouve des sensations de l’enfance, lorsqu’on montait des spectacles avec trois draps suspendus pour émerveiller nos parents, et cela me rapproche de Rousseau. C’est agréable et en même temps, ça fait peur…" Aussi, pour pallier cette inquiétude, trouver leur place et une légitimité en tant que "conférenciers", les deux auteurs ont joué la carte de la sincérité : "Il fallait trouver l’angle pour expliquer pourquoi on était là, raconte Mathieu, et nous avons finalement décidé de jouer nos propres personnages, c’est-à-dire un scénariste et un illustrateur. Nous espérons ainsi que le public sera plus indulgent avec nous, car nous lui expliquons que ce n’est pas notre cœur de métier mais qu’on a envie, qu’on est enthousiastes."
Les deux auteurs se sont d’abord improvisés techniciens pour mettre au point les questions de caméra, d’éclairage, etc., ce qui n’est pas évident lorsqu’on est novices en la matière et que l’on doit se débrouiller seuls. Mais pour ce qui est de la création musicale, ils ont été accompagnés dans leurs recherches, notamment par le fils de Mathieu qui a finalement composé tous les morceaux dans un esprit minimaliste et épuré en contraste avec l’univers plutôt bric-à-brac que représente le décor. Celui-ci, entièrement réalisé à quatre mains – comme tout le reste, d’ailleurs –, nous plonge en premier lieu dans un atelier bohème et chaleureux comme devait l’être celui du peintre. Ce premier décor disparaîtra ensuite pour nous transporter dans un univers onirique que nous ne dévoilerons pas…
Le Douanier Rousseau était un homme de contrastes, et les décalages mis en place tout au long du spectacle font écho aux contradictions du personnage mis à l’honneur. Ainsi, sans trop en dire sur les surprises qui ponctuent la conférence, citons simplement l’autodérision de ses créateurs, apportant une forme de légèreté aux propos néanmoins érudits et pédagogiques, ou encore le plaisir qui surgit lorsqu’Apollinaire côtoie la Compagnie créole…
Entraînant le spectateur dans un panel d’émotions variées – du rire aux larmes, de la curiosité à l’étonnement –, Mathieu et Thibaut nous mènent à la découverte d’un univers pictural détonnant pour l’époque, prémices à l’émergence du cubisme comme l’explique Mathieu : "Rousseau ne parle pas de ce qu’il voit, il peint une idée. C’est d’ailleurs ce qui va interpeller Picasso et tous les avant-gardistes." Mais si filiation il y a, celle-ci est simplement suggérée, "sans chercher à trop guider l’interprétation du spectateur mais plutôt en le laissant faire son propre cheminement", conclut Mathieu.
Humilité et enthousiasme, fluidité d’un travail à deux au service de l’histoire qui nous est contée, autant de qualités unissant ce duo d’artistes qui, visiblement, apprécie de créer ensemble. Nous ne serons donc pas étonnés d’apprendre qu’un nouveau livre à quatre mains est déjà en cours…
1 Outre la bande dessinée Les Frontières du Douanier Rousseau, sortie en mars dernier aux éditions Michel Lafon, Mathieu Siam a également publié un livre jeunesse sur le même peintre, En descendant le fleuve, aux éditions Léon Arts et Stories (février 2022).